L'Homme Maigre, Xavier Otzi, Ed. Luciférines, février 2017

Publié le par Maude Elyther

couverture par Hekx

couverture par Hekx

4ème de couverture

Hybride mi-homme mi-bête, Djool dissimule sa nature et vit dans la solitude d’un cimetière de campagne. Quand il ne creuse pas la terre, il explore les plaisirs de la surface, joue du blues sur sa guitare, s’autorise des virées à Lyon, se passionne pour la télévision, découvre la saveur des aliments cuisinés. Sa vie bascule le jour où il croise la route de Konrad, un taxidermiste maniaque à la recherche d’une dépouille humaine pour composer sa plus belle chimère. Convaincu d’avoir trouvé un ami, Djool lui révèle ses souffrances et Konrad lui promet d’y mettre un terme. En échange, il doit l’aider à voler un corps.

Xavier Otzi livre un récit aussi poétique que sombre, un thriller cryptozoologique où le fantastique émerge dans un univers urbain très réaliste. L’Homme maigre est un conte moderne, celui d’un individu rejeté par la ville qui, tenu en marge comme la créature de Frankenstein, cherche sa place en interrogeant notre part d’animalité.

L'homme et l'animal, le bestial et le civilisé : c'était l'objet de son art, de ses réflexions. Que l'on chasse le sauvage, il revenait toujours. Il n'avait jamais quitté le cœur de l'homme.

Xavier Otzi, L'Homme Maigre, Ed. Luciférines

Avec pour thèmes l'animal, l'homme, les chimères (notamment ici par leur création), je ne pouvais pas passer à côté de ce (premier) roman de Xavier Otzi, paru aux Éditions Luciférines en février 2017 !

L'Homme Maigre relate la rencontre de deux êtres totalement différents : un hybride, fossoyeur de profession, et un taxidermiste, obsédé par la réalisation de sa plus grande Œuvre.

Le premier est touchant par sa quête d'humanité qui ne le fait pas même s'interroger sur sa nature particulière, alors que le second, au travers de sa routine perfectionniste, cherche la reconnaissance, pour sortir de l'ombre de la figure de son père. Une amitié atypique vont les mener tantôt à quelques confessions, tantôt à des scènes assez fantasques (je pense par exemple au cadeau que souhaite faire Djool à Konrad alors qu'il se trouve dans la morgue).

― (…) Ils [les animaux sauvages] nous fascinent autant qu'ils nous dérangent, parce que le sauvage est ancré au plus profond de chacun, même le plus citadin d'entre nous. On le chasse mais on ne veut pas l'anéantir (…)

Xavier Otzi, L'Homme Maigre, Ed. Luciférines

De l'animal qui veut être homme, il y a l'homme trop civilisé...

Ces deux personnages sont parfaitement maîtrisés, chaque scène, chaque détail est savamment orchestré de façon à ce que le lecteur les côtoie de près, en même temps qu'il leur découvre sans cesse de nouvelles facettes.

De premier abord classique sur le plan de la "créature" confrontée aux hommes, notamment par leur violence, par leur hypocrisie (on pense au personnage de Frankenstein dont Xavier Otzi adresse un clin d’œil direct dans son roman), l'histoire se teinte d'une touche de fantastique et de thriller.

Djool, qui n'est pas tout à fait humain, va par le biais de sa rencontre avec Konrad ressentir la nécessité de quitter la vie qu'il mène actuellement. Dès le départ on sait que Konrad cherche à se servir de Djool car lui ce qu'il l'intéresse avant tout, c'est de trouver de la peau humaine pour réaliser son Œuvre. Alors que cet improbable duo s'essaye à la cohabitation, Konrad se retrouve en parallèle confronté à l'insistance de son frère aîné, Toni, un policier, qui s'inquiète de la disparition de leur paternel...

...la maîtrise des personnages m'a impressionnée ! Entre Djool qui s'improvise ami fidèle (tandis que petit à petit la colère va monter) et Konrad, le perfectionniste, qui peine de plus en plus à masquer son impatience face à la réalisation de ses chimères. Tous les éléments sont là, disséminés dans les pages ; comme les pièces d'un puzzle : tout est lié.

Son œuvre devait se poursuivre sur des bases neuves, avec un matériau noble ; un cadavre. Exit l'artefact de cire ou de plâtre, le collage de plastique et de carton. Il laissait ces fadaises aux artistes contemporains, aux bobos et aux illuminés. Lui avait d'autres ambitions. Tous ses efforts ne servaient qu'un but, la connaissance. Il ne créait pas seulement comme un artiste, il recréait ce qui avait existé. Comme dans un rituel indien, ses gestes lui permettaient de revenir aux origines du monde et des êtres. Ab origine.

Xavier Otzi, L'Homme Maigre, Ed. Luciférines

La création est au cœur de la vie et des pensées de Konrad : au-delà de ses dessins d'enfant, de ses voyages et de la cryptozoologie, il veut recréer des créatures originelles, qui se révèlent ses chimères personnelles. Ces êtres sont hybrides, d'où son désir de trouver un cadavre pour en récupérer la peau.

Du perfectionnisme à la manie, il n'y a qu'un pas.

Pour sa démarche, le taxidermiste a créé une nouvelle discipline : la cryptoanthropozoologie. C'est alors qu'il cherchait un cimetière isolé qu'il fait la rencontre de Djool. Il pense manipuler celui-ci pour qu'il l'aide dans son entreprise d'exhumation puis de vol, cependant que la relation amicale qu'il s'efforce de faire paraître va pousser le fossoyeur à se confier... Lorsqu'il est témoin de sa véritable nature, Konrad l'étudie en cachette ; mais cela ne lui révèle pas grand chose.

Évidemment, entre l'obsession du taxidermiste pour ses chimères hybrides et sa pièce secrète où il expose ses grandes œuvres, l'on se doute bien que la présence de Djool chez lui va précipiter les choses. Entre leur lamentable tentative de repérage pour subtiliser un cadavre, le fait de cacher le fossoyeur, et le frère de Konrad qui ne cesse de revenir à la charge concernant la disparition et autres affaires de leur père, la patience du taxidermiste perfectionniste s'effrite au fil des pages. Et Djool remarque ses sottes d'humeur, lui qui ne cesse d'apprendre et de découvrir des hommes, il ne va être que davantage sensible au comportement de son ami. Mais même alors qu'il se sent blessé, qu'il sent la colère monter, il va rester, s'enlisant davantage dans de maladroits faux pas en cherchant à prouver son amitié envers le taxidermiste.

Le taxidermiste mettait l'art de la naturalisation au service d'une nouvelle science. Pour étudier ces êtres, il les fabriquait. Chacune de ses réalisations était une créature disparue dont il préparait le retour, la renaissance.

Xavier Otzi, L'Homme Maigre, Ed. Luciférines

Le démiurge de chimères.

L'homme est animal. L'animal est homme...

"(...) qui veut faire l'ange fait la bête" écrivit Blaise Pascal.

Voilà toute la complexité de l'être humain : résidus archaïques / animalité, dénaturation / humanimalité. Konrad possède cette forme d'arrogance de se placer au-dessus des autres par le biais de la création de sa grande Œuvre. Obsession, manie et plus le poussent à explorer sous un angle de savant fou son projet qui dépasse l'Art. Au début, sa volonté peut paraître louable...elle devient discutable dès lors que l'on se rend compte de la façon dont il met la main sur son matériau d'exception (la peau humaine). Imaginez un taxidermiste travaillant seul et en cachette sur le compte d'une étrange fièvre... Car il ne s'agit pas là d'une thèse illustrée à renfort de croquis et de sources cryptozoologiques, ethnologiques ou encore zoologiques, mais de la réalisation d'une obsession, au travers d'une démarche éthique discutable...

La passion de Konrad fascine autant qu'elle dérange. De même que sa relation avec Djool rend mal à l'aise, sentiment renforcé par l'alternance des points de vue des personnages. Le décor et les ambiances sont criants de réalisme : le cimetière où vit et travaille Djool, le cabinet de travail de Konrad, puis sa pièce d'exposition dont on finira par franchir le seuil, en passant par le magasin de musique où le fossoyeur, guitariste de blues, se rend de temps en temps, ou encore le cabanon où le taxidermiste prépare ses dépouilles... : tension et répulsion côtoient solitude et espoir, passion maniaque et atmosphère de cabinet de curiosités.

Son père fantasque lui avait transmis l'amour des mythes. Depuis son plus jeune âge, il avait baigné dans les eaux du déluge mésopotamien, les mers des voyages d'Ulysse, et cultivé un goût immodéré pour les créatures chimériques. Peu à peu il avait imaginé son bestiaire, dessiné chacun de ses représentants avec un soin méticuleux. Comment les faire exister, s'incarner ? La vie du taxidermiste semblait n'obéir qu'à des principes rigides, désuets. En réalité, elle prenait sa source dans ses rêves d'enfant.

Xavier Otzi, L'Homme Maigre, Ed. Luciférines

L'instinct animal de survie, par la création maladive ou la volonté d'être libre. Tel est à mes yeux le fil rouge sous-jacent de L'Homme Maigre.

Xavier Otzi interroge ici sur l'homme et l'animal, ce qui construit ceux-ci. Konrad les associe tandis que Djool semble en être une possible illustration. En ce qui concerne le taxidermiste, tout commence dès son enfance, par ses rêves et ses dessins, puis ses relations familliales. Le côté imaginaire et artistique se transforme en caractère perfectionniste pour finalement révéler une passion/obsession véritablement maniaque.

En parallèle, Djool s'attache à générer de l'humanité en lui : il joue du blues, tente de se familiariser avec la cuisine. Cet homme hybride est tout simplement heureux de trouver un ami en la personne de Konrad ! Vulnérable et naïf, un instinct plus animal apparaîtra, au fur et à mesure qu'il s'indignera des comportements de rejet et de violence à son égard.

De l'animal ou de l'homme.

Jusqu'où peuvent mener les obsessions ?

Je ne parlerais pas ici du dénouement, mis à part qu'il m'a surprise ! (eh oui, je me suis fait avoir alors que, comme je le disais plus haut, toutes les pièces du puzzle étaient là !)

Pour conclure

L'Homme Maigre fut pour le coup une "lecture orientée", c'est-à-dire que de par les thèmes, annoncés par la 4ème de couverture, en figurent plusieurs que j'aborde régulièrement dans mes travaux d'écriture, et notamment dans ma trilogie (dont je rédige actuellement le dernier opus).

Bonne pioche aux vues des liens avec plusieurs références qui se sont imposés :

Le Nécrophile de Gabrielle Wittkop

Vanessa de Vincent Tassy (nouvelle paru dans l'Anthologie Créatures aux Editions de la Madolière)

Dans un autre registre que L'Homme Maigre, l'intégrale Fées et tendres Automates m'avait également marquée par l'opposition puis la confrontation entre le monde féerique des automates (tout en notes froides et délicates) et celui des hommes (tout en teintes chaudes et violentes).

À partir du chaos, organiser la vie, retrouver le souffle. Exhumer ce qui avait été oublié. Re-connaître.

Xavier Otzi, L'Homme Maigre, Ed. Luciférines

Et bien sûr je ne pouvais pas ne pas faire apparaître ici aussi l'exposition "Humanimalité : portrait d'une double énigme" de la plasticienne Agata Kawa.

J’y suis dans la remise en question permanente de l’anthropocentrisme qui nous a gagné depuis des siècles en occident, en nous conditionnant pour ne percevoir la réalité qu’à travers la seule perspective humaine. Or pour moi, c’est précisément parce qu’on nous a toujours appris à nous considérer séparés de la nature et différents d’elle, que nous avons fini par prendre le droit de la dominer, de s’en servir comme un propriétaire arrogant, sans rituel et sans besoin de réciprocité, et sans lui prêter nul caractère sacré. Disons qu’une bonne partie de nos maux actuels, provient en partie sans doute de ce premier regard biaisé sur le monde.

Agata Kawa : à la recherche de notre « humanimalité » oubliée

Agata Kawa explore les frontières poreuses entre humain et animal, mais aussi entre conscience et animalité. Selon la définition de Georges Bataille, l’homme est l’animal qui n’accepte pas son donné naturel et le nie. Ce donné naturel, c’est sa nature elle-même, son animalité : un être vivant au destin fini, participant de la continuité du monde. …"Ce que nous cherchons précisément la plupart du temps, par peur de la mort, à nier ou à refouler." Pour elle, de ce point de vue, l’art permet d’aller là où la raison n’a plus court.

Agata Kawa, Humanimalité (Wind Investiture Magazine)

L'Homme Maigre, Xavier Otzi, Ed. Luciférines, février 2017
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Publié dans chronique personnelle

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