Colin Heine, La Forêt des araignées tristes, Ed. ActuSF, collection les 3 souhaits, février 2019

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Dogan Oztel

illustration de couverture par Dogan Oztel

4ème de couverture

Bastien est paléontologue : sa spécialité ? Étudier les créatures étranges qui naissent de la vape, ce mystérieux brouillard aux propriétés énergétiques extraordinaires qui a recouvert le monde et menace de l’engloutir un peu plus chaque jour. Tour à tour victime d’un dramatique accident en apparence banal duquel il réchappe de justesse et témoin d’un attentat, où sa survie ne tient à nouveau qu’à un fil, il voit son destin basculer. Le voilà pris dans l’engrenage d’une affaire d’espionnage d’envergure internationale, sous les feux croisés d’une société secrète d’assassins, de brutes armées et d’une agence de détectives aux méthodes douteuses. Sans compter qu’une créature cauchemardesque, tout droit venue des Vaineterres, ces zones perdues dans un océan de vape, semble bien décidée à lui faire la peau…

Né à Paris, Colin Heine habite désormais en Autriche où il enseigne l’allemand. Après avoir fait ses premières armes dans la traduction et pratiqué le jeu de rôle pendant de nombreuses années, il signe avec La Forêt des araignées tristes un premier roman bluffant de maîtrise. Jonglant entre intrigue politique et aventure, horreur et critique sociétale, il cisèle un univers Belle Époque envoûtant, à l’ambiance steampunk teintée de gothique.

Avant-propos

Je remercie tout d'abord Samantha et les Éditions ActuSF pour leur confiance et l'envoi de ce service presse qui inaugure mon partenariat avec eux !

J'ai tout de suite été attirée par la merveilleuse couverture, dont l'illustration est signée Dogan Oztel, le titre (moi qui adore la Nature, les araignées… je suis bien servie !), et ensuite par le synopsis. J'ai vu passer plusieurs chroniques présentant plusieurs points communs : l'histoire qui ne correspond pas aux attentes suscitées par la 4ème de couverture, des longueurs, un héros décevant… Eh bien, rien de tout cela pour moi ! Aussi, je vous propose de ce pas ma chronique sur La Forêt des araignées tristes, Pépite de l'Imaginaire 2019, de Colin Heine. Une lecture que j'ai trouvé très addictive, avec un mélange de genres comme je les aime, un panel de personnages truculents et bien campés, des décors très visuels et des mélanges d'intrigues, le tout sous fond social et écologique.

Mots clefs

steampunk - aventure - Belle Époque - intrigue politique - critique sociétale - détective - roman choral - premier roman - exploration - bestiaire mystérieux - gargouilles - post-apocalyptique - société secrète - horreur

Quand il évoquera plus tard la série d'événements qui faillit lui coûter la vie, Bastien de Corville se dira que tout a commencé par une gargouille en rut.

Colin Heine, La Forêt des araignées tristes, Ed. ActuSF, collection les 3 souhaits, février 2019

L'art du voyage

Colin Heine signe avec La Forêt des araignées tristes son premier roman. Le point culminant de celui-ci est sans conteste l'univers, un mélange de steampunk et de Belle Époque. Suite à un événement catastrophe, la vape, brume toxique dans laquelle nage un bestiaire menaçant et quasi inconnu, le monde a changé de visage. Vite remis au labeur, les hommes ont reconstruit, s'aidant paradoxalement de l'ignium (qui produit de la vape) pour leurs machineries. Gale, reflet post-apocalyptique de Paris, est une ville verticale, les grands et les moyens en haut, et les ouvriers en bas, dans le bas monde, zone malfamée. Colin Heine nous fait passer à travers ces différents "niveaux" tout au long du récit ; le contexte d'avant-guerre met en avant les révoltes sociales avec notamment les injustices et la vie dure des ouvriers tandis que les riches s'enrichissent grâce à leur travail pénible et létal.

La Forêt des araignées tristes nous emmène aussi en exploration, dans les Vaineterres plus précisément, région éloignée et dangereuse méconnue qu'on aimerait cartographier. De l'Omniexposition (autre version de l'Exposition Universelle), en passant par la flotte expéditionnaire, le musée, les hautes sphères avec un puissant sociétaire de gargouillerie de la ville, la boutique d'un fleuriste enrobé, une croisière de luxe à bord du Gigantique, mais aussi par une morgue ou encore le bureau de Bastien et les rues Galloises, les décors très visuels sont ramifiés entre eux et les personnages, entre eux et les intrigues.

Dans cet univers, les moyens de transports sont pour l'essentiel linéaires : trams et treums (trams suspendus), mais aussi volantes, avec les dirigeables/zeppelins. Et puis il y a les gargouilles. Créatures de pierre se nourrissant de sang, elles se perchent et dorment en hauteur. Ce moyen de déplacement se répand grâce aux sociétés de gargouillerie, sorte d'hôtel étapes pour les voyageurs et leur monture.

L'univers dépeint montre donc de nombreuses ressemblances avec le nôtre, tout en ayant ses particularités.

À un certain moment, reprend-il, la peur s'est transformée en quelque chose d'autre. Ou plutôt… Je n'avais plus peur de mourir, j'avais peur de la mort en elle-même. C'est incompréhensible, je sais. Mais je ne saurais vous décrire ce sentiment autrement. Car je savais que j'allais mourir. J'en avait la certitude. Et avec elle se dressait devant moi la perspective de ma propre disparition, qui devenait une réalité tangible. C'était comme si un visage hideux s'était brusquement mis à m'examiner et plongeait ses yeux dans les miens. Un visage qui ne pouvait être que mon unique avenir possible.

Colin Heine, La Forêt des araignées tristes, Ed. ActuSF, collection les 3 souhaits, février 2019

Des personnages truculents

Pour ma part, les personnages de La Forêt des araignées tristes sont également un point fort. Roman choral, nous suivons plusieurs personnages. Narré à la 3ème personne, chaque chapitre s'articule plus spécifiquement autour d'un personnage, mais pas systématiquement. Comme les intrigues, ils se croisent pour finalement se rejoindre, avancer et se pousser. L'auteur a fait dans la diversité : Bastien, paléontologue pas très affirmé qui semble perdre son temps, Agathe, sa domestique qui n'a pas sa langue dans sa poche et qui materne et le pousse à se secouer, Ernest, son ami explorateur qui lui ramène des trouvailles et échantillons lors de ses expéditions. Et puis, Anatole, fleuriste sociopathe et enrobé, Hargne, détective charmeur et flegmatique, ou encore Angela, ex-ouvrière de Germanie en fuite. Voilà pour la galerie des rouages conducteurs, auxquels s'ajoutent un couple de criminels à gage, un sociétaire de gargouillerie, un inspecteur pas très futé, un inventeur insaisissable, un duo d'hommes de main…

Je n'ai pas trouvé qu'il y avait trop de personnages, j'ai d'ailleurs beaucoup apprécié l'écriture qui prend le temps de décrire leur environnement, leur vie, leurs habitudes (Ernest et son cigare, Bastien et ses contemplations de Gale depuis la fenêtre de son bureau…) : j'ai vraiment eu la sensation d'entrer dans l'univers de chacun d'entre eux. Je ne me suis pas perdue entre les personnages ou entre les intrigues, et je me suis beaucoup amusée à lire les dialogues qui, pour moi, font bien ressortir les différents caractères.

Bastien Corville ne fait pas l'unanimité, mais je trouve intéressant de ne pas avoir un héros qui brille par son intelligence et investigue comme un professionnel. Bastien est un peu le monsieur tout le monde. Il aspire à la tranquillité, prenant le temps de travailler son encyclopédie sur les animaux, ou monstres selon le point de vue, de la vape. Il va lui arriver des aventures rocambolesques alors que son tempérament ne s'y prête pas de prime abord. Si au début il ne fait pas montre d'esprit avec une certaine pièce à conviction qu'il a récupéré d'un accident/attentat durant lequel il a failli mourir, plus loin il se confrontera à un assassin indicernable, au dirigeant d'une société secrète criminelle, et fera face à sa façon, malgré son effroi et sa couardise, à l'effroyable créature qui semble le pourchasser. Ses défauts le rendent humain, je me suis attachée à lui, sensible et amusée de sa relation avec Agathe.

Ernest Gulliver, chef d'expédition et ami de Bastien. Ses habits éliminés, son cigare entre les dents et son caractère bon vivant lui donnent des airs de cow boy. Son nouveau contrat d'expédition va l'emmener dans les Vaineterres, territoire reculé et dangereux. S'il promet à Bastien de lui rapporter de nouveaux échantillons (peut-être une autre partie du squelette d'un éclaboussang), il va devoir faire avec la présence d'un détective à bord de sa flotte, Hargne. Il doit ramener le détective sain et sauf et faire voile sur les zones que celui-ci lui indiquera. Mais que cherche-t-il ? Ernest ne tarde pas à comprendre qu'il s'est laissé abuser par le caractère charmeur de l'homme, d'ailleurs celui-ci va lui occasionner des pertes… Et quel est ce monstre gigantesque auquel il récupère un morceau de griffe ? Pour ma part, j'ai beaucoup apprécié les altercations entre Ernest et Hargne, le premier arrivant à faire perdre son flegme au second. Et la façon dont Hargne retire son épingle du jeu… !

Je ne vais pas m'étaler ainsi sur tous les personnages, mais tous ont leurs particularités, leur passé, leur jugeote ou non, leurs caractères et leur univers se marquent d'emblés. J'ai adoré en détester certains, retenir mon souffle pour d'autre, rire et suivre leurs échanges etcétéra. Aucun personnage n'est de trop, je n'ai souffert d'aucun sentiment de longueur durant ma lecture.

Prenez donc ce qu'on vous donne, essayez de ne pas vous faire dérouiller trop vite et mettez-vous au boulot. Il faut retrouver cet inventeur du diable.

Colin Heine, La Forêt des araignées tristes, Ed. ActuSF, collection les 3 souhaits, février 2019

Intrigues & aventure

Comme pour les personnages, différentes intrigues se mêlent, elles se recoupent pour aboutir sur une même longueur d'onde. Pour autant, Colin Heine pose tout au long du récit des indices, sans donner toutes les réponses aux questions. Ce que j'ai aussi bien apprécié : au lecteur de faire quelques conclusions, de réfléchir sur certains concepts. La Forêt des araignées tristes m'a plongée dans l'euphorie de l'aventure. La lecture est ponctuée par des tensions : la révolte ouvrière (les ouvriers exploités dès l'enfance, qui se déforment sur des machines, qui vivent avec si peu), le contexte d'avant-guerre dont on ne saisit pas l'origine. Mais aussi l'extension des gargouilleries, qui implique la cartographie de territoires dangereux, la menace de l'effroyable créature des Vaineterres qui arrive à Gale. Le tout avec un soupçon de fable écologique : la catastrophe première qui introduit le récit fait sans nul doute écho à la pollution (la vape dans l'univers de Colin Heine), or, par le biais de la reconstruction et des machineries actuelles, les hommes produisent de la vape.

Dans ce contexte, Bastien se retrouve mêlé dans des affaires trop grandes pour lui, affaires qui le conduisent à se retrouver dans le radar d'un assassin indicernable appartenant à une société secrète. Pour sauver sa vie, il entreprend, grâce à Agathe et Ernest, de s'emparer d'une invention dangereuse, invention liée à son premier accident à bord de la nacelle pilotée à distance. Entre assassin, détective, complot, arme de guerre, politique, peut-être aussi espionnage industriel, le paléontologue materné, malgré sa gaucherie, parviendra à faire preuve de courage, même si bienheureux qu'il soit d'être ainsi entouré !

Les intrigues se mêlent et enchaînent les décors et les personnages, comme autant de fils de la toile de l'univers que nous présente ici Colin Heine, univers qui comporte de nombreux parallèles avec le nôtre le tout à la sauce de l'imaginaire.

C'est étrange, fait doucement le détective. Tout continue toujours. Notre situation présente n'a pas d'issue. Et pourtant tout va continuer d'une façon ou d'une autre. On ignore comment. On n'imagine pas la suite, mais elle est là… Elle est déjà là. Ça va vous paraître paradoxal, mais j'apprécie grandement ces moments impossibles de l'existence. Où la réalité des choses nous montre qu'elle nous dépasse.

Colin Heine, La Forêt des araignées tristes, Ed. ActuSF, collection les 3 souhaits, février 2019

La Nature

Les personnages truculents et les intrigues multiples sont au service de cet univers post-apocalyptique teinté de steampunk à la Belle Époque, avec un nuage d'horreur sous fond d'aventures rocambolesques.

Nature humaine. Le pouvoir se joue sur l'échiquier des intrigues : s'enrichir en vendant des informations, remporter la guerre à venir, s'énorgueillir de la paternité du Gigantique, se hisser au-dessus des hommes, manipuler à ses fins. En parallèle à cela, le feu s'agite chez les ouvriers exploités, aussi bien en Gallande qu'en Germanie. La tension sociétale fait battre la nature humaine, forge les révoltes chez les opprimés et distille davantage le goût du luxe pour les autres. Et nous avons Bastien, qui consacre ses journées à l'élaboration de son encyclopédie. Son activité autant que son projet semblent vains, alors que les expéditions poussent plus loin dans les territoires envahis par la vape, ce brouillard étrangement énergétique dans lequel vivent des espèces inconnues. Le paléontologue ne voit pas ces créatures comme des monstres, mais comme des animaux ; des animaux ayant évolués à cause de la vape sans doute. Mais voilà que l'un deux le poursuit…

Nature effroyable. Avec Bastien et cette créature, j'en reviens au titre et à la 4ème de couverture. Si comme beaucoup je m'attendais à davantage d'explorations et de découvertes dans les Vaineterres, j'ai finalement aimé découvrir une facette moins tangible dans ce roman. Il se peut que ce soit là uniquement mon propre ressenti, mais je vois un lien entre Bastien et l'Araignée qui le poursuit. Un lien psychique créé entre le paléontologue et la créature. Bastien a failli mourir dans la vape, il a eu le sentiment qu'un "visage hideux" le contempler, un visage représentant son avenir. A-t-il été intoxiqué, contaminé, par ce brouillard énergétique ? Puis Ernest lui rapporte de son expédition dans les Vaineterres cette gigantesque griffe sur laquelle il s'écorche. Dès lors, l'Araignée semble le poursuivre… Le poursuivre ou bien répondre aux intenses émotions de peur et de panique qu'il va ressentir, confronté à plusieurs reprises à des dangers mortels ? Est-elle là pour le tuer ou pour le sauver ? Elle est abominable, avec ses mandibules et son souffle mortuaire, et pourtant, si son intention était de le tuer, il me semble qu'elle y serait parvenu… D'ailleurs la dernière scène demeure mystérieuse, bien qu'elle aille dans le sens de ma compréhension d'un lien psychique ou quelque chose d'approchant. Bastien et l'Araignée se sont-ils séparés pour de bon, ou ont-ils fusionné ?

One shot

La Forêt des araignées tristes est un one shot, cependant je ne cache pas mon intérêt pour plusieurs pistes qui permettraient un second tome ! J'aimerais voir embarquer Bastien, Ernest, Hargne (oui, j'adore le duo que présentent l'explorateur et le détective !), Agathe et Angela pour une expédition dans les Vaineterres par exemple.

L'acier se déchire tout à côté de lui, comme une peau sous le tranchant de serres sales. L'odeur gagne en intensité et Bastien se demande s'il est possible de se vider l'estomac et les poumons en même temps. Le métal crie et il perçoit le cliquetis de mandibules démesurées. La lumière diminue alors qu'un corps gigantesque, un corps d'animal impossible se meut près de lui, pénétrant dans la cabine par l'ouverture pratiquée dans la coque à coups de pointe, le monde de la vape et de ses horreurs violant celui des hommes. Une respiration caverneuse résonne, emplissant la cabine d'exhalaisons fétides.

Colin Heine, La Forêt des araignées tristes, Ed. ActuSF, collection les 3 souhaits, février 2019

Pour conclure

La Forêt des araignées tristes est présentée sous la forme d'un roman choral : avec personnages, décors et intrigues multiples dans un monde steampunk et Belle Époque qui ressemble au nôtre. J'ai pour ma part apprécié l'univers des personnages et le mélange de plusieurs intrigues qui conduisent Bastien dans des aventures rocambolesques et des affaires qui le dépassent. Il n'a pas l'étoffe pour de tels événements, et pourtant, je lui ai trouvé un lien plus profond avec les mystères de la vape et des créatures qu'elle renferme.

J'ai été déçue de ne pas croiser plus d'araignées, d'autant plus que le titre m'a parlé d'emblé, pour autant, j'ai émis quelques réflexions qui dégrossissent le mystère.

S'il n'y aura pas de second tome, alors que j'entrevois une suite, j'ai lu que Colin Heine a pour projet d'écrire un autre roman dans le même univers. En ce qui me concerne, il ne fait aucun doute que je garderai ça à l'œil !

Pourquoi continuer ?
Il réprime une bouffée de larmes et pousse un gémissement à l'idée qu'il va finir sa vie ici, au milieu des couverts et des casseroles. Si seulement il était cynique, il pourrait en rire. Mais c'est lui. C'est sa vie. Il n'a pas la force de voir là-dedans un trait d'humour de l'univers.
Il s'approche d'un évier en tremblant. Un peu de sang sur le sol, est-ce vraiment insupportable comme idée ? Qui s'en soucierait s'il parvenait à débarrasser tous les passagers de la bête ? Non, autant faire les choses le mieux possible. C'est absurde, mais ce sera l'évier.

Colin Heine, La Forêt des araignées tristes, Ed. ActuSF, collection les 3 souhaits, février 2019

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F
Comme toi, j'ai vu toutes les chroniques "négatives" sur ce roman, j'ai failli regretter ma demande de SP pour ce titre. Et puis au final, ce roman n'a pas été ce que j'attendais, mais m'a totalement ravie ! Comme quoi, il faut toujours se faire sa propre opinion ;)
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M
J'ai vu les avis négatifs après ma lecture en fait, j'en ai écarquillé les yeux tant j'avais vécu ma lecture différemment haha Je ne sais pas si c'est parce que je suis auteure aussi que je vois différemment, ou si c'est tout simplement ma sensibilité, mais c'est sûr qu'en général il vaut mieux se faire sa propre opinion :)