Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Lucie Mazel

illustration de couverture par Lucie Mazel

4ème de couverture

En Angleterre, les légendes ont été mises sous clé depuis longtemps. La fée Rêvage complote pour détruire cette prison et retrouver son pouvoir sur l’humanité. Elle a même glissé un changeling dans le berceau de la reine…

Mais Philomène, voleuse aux doigts de fée, croise sa route. Philomène fait main basse sur une terrible monture, des encres magiques, un chaudron d’or et même cette drôle de clé qui change de forme sans arrêt. Tant pis si les malédictions se collent à elle comme son ombre… Philomène est davantage préoccupée par ses nouveaux compagnons parmi lesquels un assassin repenti et le pire cuisinier du pays. Tous marchent vers Londres avec, en poche, le secret le plus précieux du royaume.

Des personnages empreints d’une légèreté désespérée, une aventure aussi féerique que profondément humaine. Élisabeth Ebory renoue avec le merveilleux des anciens récits, sans nier leur part d’obscurité.

Avant-propos

Tout d'abord, je remercie à nouveau Jérôme et les Éditions ActuSF pour l'envoi de ce service presse !

La Fée, la Pie et le Printemps, initialement paru dans la collection Bad Wolf et qui connaît ici une réédition en format poche, ne m'était pas inconnu. En effet, ce titre faisait partie de ma wishlist, mais étant donné des étagères presque pleines à craquer et un budget non extensible, je ne me l'étais pas encore procuré… Aussi ai-je été très heureuse qu'il figure dans la proposition des services presses !

Grande amoureuse de La Sève et le Givre de Léa Silhol*, le côté "fée de récits anciens", fées ambivalentes, de la présentation du roman d'Elisabeth Ebory m'avait d'emblée conquise. Car La Fée, la Pie et le Printemps renoue avec des figures plus complexes et plus humaines, loin des petites fées dispensant leur poussière étincelante. Ajoutez à cela de l'humour, des personnages têtus, calculateurs, naïfs… et vous obtenez ce mélange détonnant qui m'a ravie !

* petite note : Léa Silhol a d'ailleurs beaucoup encouragé Elisabeth Ebory dans le domaine de l'écriture. L'anthologie Mythophages, dirigée par Léa Silhol aux feux Éditions L'Oxymore, comporte à son sommaire une nouvelle d'Elisabeth Ebory, Caniculaire, texte déjà bien marqué par son style et son attrait pour les thématiques féeriques/mythologiques.

Mots clefs

fées - changeling - Londres - féerie - humanité - prison - ambivalence - humour - destinée - aventures - voyages - libre arbitre - légende - XIXème siècle - époque victorienne - reine

Clem, tout à fait indemne, se tourne vers moi, puis vers ma victime, puis vers moi. Il n'en croit pas ses yeux.
— Il devrait se réveiller, dis-je pour le rassurer.
J'ai tiré sans raison valable - et je m'en mords déjà les doigts.
— Il devrait ? Avec une balle dans le crâne ?
Je saute au pied de l'arbre.
— Ce n'est pas une vraie balle de toute manière…
— En tout cas, c'est un vrai pistolet que vous avez là !
— Regardez, il respire…
Ma victime est juste sonnée. Un peu… Dison… un peu choquée. Le sort que j'ai lancé avec la plume n'avait que ce but : éteindre pour un temps un adversaire un peu trop pressant. L'arme exécute les sorts que je lance, ni plus ni moins… Je ne sais pas vraiment comment cela fonctionne. Ni si les sortilèges peuvent être défaits. Mais qui cela intéresse ?
Sur ces entrefaites, l'homme que Clem avait terrassé d'un coup de genou bien placé trouve assez de force pour se relever et s'enfuir sans demander son reste.
— C'est le moment de fouiller celui-ci… dis-je pour changer de sujet.
— Ah oui, c'est vrai.

Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019

Trames

Avec La Fée, la Pie et le Printemps, Elisabeth Ebory nous propose son premier roman. En parallèle de l'image féerique et mythologique de la tisserande, l'auteure tisse deux trames dans son récit. En effet, nous suivons parallèlement Philomène et Rêvage, deux fées très différentes l'une de l'autre. Que ce soit par leur âge, une jeune et une âgée (même si physiquement cela ne se voit pas), comme leur caractère, l'une est naïve bien qu'un peu hautaine, trop insouciante, tandis que la seconde se montre calculatrice et bien plus proche des humains qu'elle ne le pense. Leur puissance magique diffère également, plus importante chez les créatures plus âgées. L'environnement dans lequel elle nous sont présentées se distingue : un presque bucolique, en forêt, lors d'une rencontre inattendue avec de prochains compagnons de voyages, et un gris, sous la pluie en plein Londres. Malgré ces couleurs annoncées, point de manichéisme sous-latent, ce que j'apprécie particulièrement. Il ne s'agit pas d'une énième histoire de la "gentille fée contre la méchante fée".

Philomène comme Rêvage ont chacune leur objectif, avec cependant un même but : Londres. Dès lors, nous nous doutons que leurs routes vont se croiser, quant à leurs objectifs… ils risquent d'entrer en collision !

Dans le cab, cahotant à travers les rues de Londres, passant des environs de Saint Savior's à Blackfriars Road, de Westminster à Piccadilly, Rêvage fixe le coffre sur ses genoux.
Elle n'a pas de tendresse dans son regard de plume morte. Elle n'a pas vraiment de sentiment au fond de sa carcasse, mais elle se rend compte, en passant ses doigts sur les ferronneries rouillées, qu'elle a atteint son but… et cela l'étonne encore.
La fée, c'est-à-dire, n'est pas une jeune écervelée qui a juste eu une idée en tête grandiose pour se faire remarquer. Sur sa peau marbrée, il n'y a pas de rides, mais d'imperceptibles marques, à peine visibles dans la lumière du matin. Autour de ses lèvres, l'ombre d'un sourire ironique ; sur son front, le poids de la vigilance…
Rêvage est une fée ancienne: son histoire commence avec les rêves des hommes. Leurs souhaits sont les trésors qu'elle doit veiller. Mais aujourd'hui, la seule chose qui l'occupe est son trésor personnel, dévorant, brûlant… Elle est en quête de pouvoir.
Pouvoir fuir.
Pouvoir tout changer.
Pouvoir régner…

Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019

Contexte

La Fée, la Pie et le Printemps prend place en Angleterre, au XIXème siècle, en juin 1837 précisément (historiquement, cette date fait directement allusion au début du règne de la Reine Victoria au Royaume-Uni). De là à ce que les fées ou autres créatures féeriques vivent soit en harmonie soit en cachette des humains ne figure pas au tableau. Une légende raconte que ces deux mondes sont séparés l'un de l'autre. Pire : une prison représente celui des fées ! Imaginez un territoire gris, envahi par le froid et le brouillard… eh oui, voilà où sont forcées de demeurer les créatures féeriques. Mais alors, que font Philomène et Rêvage sur les terres fermes (terres humaines) allez-vous demander ? Et bien, elles ont tout simplement pris la poudre d'escampette, autrement dit, elles se sont servi des raccourcis, sortes de chemins de traverse qui relient bien des endroits, tels les fils d'une toile d'araignée. Les gardiens de la prison ? Oh, un mythe, qui ne visait sans doute qu'à empêcher les fées à regagner les terres fermes.

Calculatrice, Rêvage a monté un plan depuis des années, car elle veut régner dans l'ombre sur le monde des hommes ET celui des fées. Elle a orchestré son plan avec un changeling, interchangeant la place de la nouvelle-née future reine d'Angleterre avec une nouvelle-née fée). Mais en rejoignant Londres, elle ne récolte pas les graines qu'elle avait semées… Le mantra "on est toujours mieux servi que par soi-même" prend alors tout son sens. Son acolyte réprimandé, elle va essayer de rattraper le tir, mais qui est ce fée qui se met en travers de son chemin ?

Quant à Philomène, notre pie voleuse, elle décide de suivre la piste que lui a indiqué un sort d'encre sur un phénomène qui l'inquiète : un étrange froissement du monde, le fait d'une fée puissante, à n'en pas douter ! Sur sa route, elle va rencontrer un curieux trio, Clem, Vik et Od, vite rejoints par S, des humains avec lesquels elle s'étonne de faire voyage jusqu'à Londres ; le charme de Clem sans doute… Pourtant, elle se méfie d'eux et la réciproque se ressent. Et puis, que cachent-ils ?

Bâtie il y a bien longtemps par ceux qui avaient peur du noir pour les habitants de leurs nuits, il existe une prison. Nul ne sait vraiment où elle se trouve - d'aucuns diraient "sous les tertres"…
Où qu'elle soit, la prison est perdue dans un épais brouillard, et ses habitants aussi. Ils sont fées et démons, monstres et merveilles, et tous rêvent de retrouver un jour la terre des hommes - les terres fermes. Malheureusement, ils sont enchaînés par de solides liens : les légendes.
Il y avait bien longtemps, des dieux-gardiens existaient. Ils sillonnaient la prison et leurs pas retentissaient sous la coupole grise des nuages.
Il y a bien longtemps…
Puis le pas de la garde se fit rare. Discret. Silencieux enfin.
Les géôliers devinrent une rumeur. Redoutée, effrayante - mais une rumeur tout de même.
Entre la peur de briser d'anciennes lois et l'envie de liberté, un rai de doute apparut.
Les anciens essayèrent d'étouffer cet espoir. (…)

Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019

Fées

La figure de la fée est centrale pour Elisabeth Ebory, elle la positionne même sur un piédestal car cette créature représente autant l'humain, le féerique que le divin/la mythologie. Pour ce dernier point, je pense notamment à la chasse sauvage, dirigée par Odin (mythologie nordique), ou comme celle sous son versant féerique dans La Sève et le Givre de Léa Silhol. Les fées, dans leurs différences, ressemblent aux humains. Avec La Fée, la Pie et le Printemps, des thèmes profondément humains sont apportés : la maternité, l'intolérance… Les fées sont ici ambivalentes. Ni bonnes ni mauvaises, elles possèdent leurs propres règles : Philomène court après la liberté, tandis que Rêvage, calculatrice et mégalomane sur les bords, a décidé de mettre un projet visionnaire. La première, notre pie voleuse, bien que solitaire et plutôt hautaine au début du récit va tout de même s'attacher, quand bien même demeurent des risques. Quant à la seconde, si elle refuse tout obstacle sur son chemin, ne souhaite-t-elle pas le meilleur (selon son plan) à certaines graines de fées… ? Ambivalentes. Complexes. Humaines. Telles sont les fées d'Elisabeth Ebory.

Les fées parlent aussi de destiné. Quoi de mieux que l'image de la marraine fée (qui obsède l'auteure) pour aborder ce sujet ? Les marraines penchées sur le berceau d'Aurore pour lui offrir chacune un don… Avec La Fée, la Pie et le Printemps, les créatures magiques montrent plutôt une réticence à la destinée : Philomène choisit le présent et l'insouciance, même face à une malédiction. Rêvage, marquée par les stigmates du passé, se tourne sur la construction d'un projet visionnaire, totalement à l'encontre des mœurs féeriques. Elisabeth Ebory instaure ici la notion de libre arbitre en guise de fil rouge.

Le rêve bat la cadence lente d'une cuillère dans un chaudron. Des feuilles de lierre sortent de la marmite, métalliques, des roses trémières, des rouages d'horloges, et tant de belles choses toutes d'or…
C'est le chaudron que j'ai volé à la sorcière, dans cette lointaine Sibérie !…
Au-dessus de moi, les pigments des cieux sont si intenses qu'ils m'en grillent les yeux. Au loin, dans un vieux dialecte fée, la sorcière hurle sa malédiction :
— On te volera ce qui t'est précieux, tu trouveras plus cruelle que toi, plus retorse, et cette créature mauvaise s'occupera de ton sort pour l'éternité, crois-moi !
Ses mots me frappent à l'abdomen, comme des coups de poing, mais je me moque d'elle. Que pourrait-elle contre moi ? Mon arme la tient en respect et je file déjà !

Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019

Écriture

À travers La Fée, la Pie et le Printemps, l'ambivalence des fées se ressent également dans l'écriture. Une certaine froideur digne de la placidité féerique autant qu'une légèreté pétillante, avec des dialogues et des situations humoristiques, se dégagent des lignes. Le tout planté dans des décors parfois spectaculaires (l'Arbre des Rêves par exemple) ou désolés et sauvages (la Sibérie). Pour autant, les personnages ne sont pas rigides, ils ont de la profondeur, de la complexité, tout l'intérêt de l'ambivalence qui les habille. Philomène, par exemple, se révèle attachante sous ses airs naïfs et trop insouciante.

Elisabeth Ebory alterne son récit, chapitre après chapitre, par une narration à la première personne du singulier pour Philomène, à la troisième personne du singulier pour Rêvage, de même pour quelques chapitres consacrés à Vik et S. Le tout permet une vision d'ensemble sur tout ce monde, cernant plusieurs intrigues et points de vue.

En amoureuse de la littérature, j'ai adoré le style d'Elisabeth Ebory, qui n'hésite pas à inclure quelques fantaisies comme quelques lignes de dialogue sous forme théâtrale. Sa plume pétille, enchante, nous emmenant de la forêt au brouillard déprimant et effrayant de la prison des fées, des rues de Londres et de tavernes au Buckingham Palace, de l'hiémale Sibérie à la France… via les raccourcis !

Pour finir

J'ai adoré La Fée, la Pie et le Printemps ! Pour l'écriture, le leitmotiv des fées ambivalentes, les aventures et voyages, la légèreté pétillante et l'humanité sous-jacente.

À peine ce roman refermé, j'ai mis le nez dans l'anthologie Mythophages pour découvrir la nouvelle, Caniculaire, d'Elisabeth Ebory (anthologie que je n'ai pas encore lue d'ailleurs… ) ! Il va s'en dire que je vais suivre l'actualité littéraire de cette auteure de près ! (découvrez le lien ci-dessous à propos de ses projets 2019) Dans l'immédiat, je suis heureuse de posséder dans ma PAL Novae, une novella publiée aux feux Éditions La Griffe d'Encre [maison d'édition que j'ai découvert sur le tard à l'image de L'Oxymore et dont je regrette profondément qu'elles aient toutes deux dû mettre la clef sous la porte].

À lire aussi

* La Sève et le Givre de Léa Silhol. Une œuvre à lire absolument pour les amoureux de la littérature et de la Féerie et du folklore. L'un de mes coups de cœur à vie, il va s'en dire. C'est d'ailleurs en découvrant cette merveille que je me suis dirigée dans mes écrits vers ce style personnel et lyrique qui ne me quitte plus ; pour dire à quel point ce roman m'a marquée !

* L'Étrange Cabaret des Fées Désenchantées d'Hélène Larbaigt (découvrez ma chronique). Un roman graphique coup de cœur : féeries et mythologies au programme, avec au sommaire des fées terriblement humaines sous leur ambivalence. Voyages et spectacles garantis !

* Les Sœurs Carmines de Ariel Holzl, une trilogie d'urban fantasy gothique et décalée dans une époque victorienne où vous croiserez des créatures fantastiques, mythologiques, monstrueuses ou encore féeriques (selon les tomes) au détour de courses poursuites et autres aventures rocambolesques, même au pensionnat de la cadette des sœurs ! (retrouvez ma chronique du premier tome)

* Fées, weeds & guillotines de Karim Berrouka (qu'il va falloir que je me procure)

Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019
Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019

Deux livres qui ont inspiré Elisabeth Ebory

* Les Fées de Brian Froud et Allan Lee (si vous ne connaissez pas les illustrations féeriques - au double sens du terme - de Brian Froud, c'est le moment !)

* Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke

Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019Elisabeth Ebory, La Fée, la Pie et le Printemps, Éditions ActuSF, collection Hélios, mai 2019
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L
Je l'ai dans ma PAL numérique, il faut vraiment que je m'y mette !!
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M
Je ne peux que t'y encourager :) C'est une lecture que j'ai grandement appréciée !!