Robert Silverberg, Le dernier chant d'Orphée, Éditions ActuSF, collection Hélios, avril 2019

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Benjamin "Zariel" Chaignon

illustration de couverture par Benjamin "Zariel" Chaignon

4ème de couverture

On dit qu’il pouvait, par son chant, charmer les animaux et les arbres, sa voix fit chavirer les sirènes elles-mêmes. Mais son cœur appartenait à Eurydice, et lorsque la mort vint la lui ravir, Orphée se présenta aux portes des enfers, armé de sa seule lyre, afin de reprendre à Hadès l’âme de sa bien-aimée.

Robert Silverberg est l’un des derniers maîtres de la science-fiction américaine. Mais c’est dans la veine de Gilgamesh, Roi d’Ourouk que l’auteur des Monades Urbaines et du Cycle de Majipoor revient pour cette réécriture épique du mythe d’Orphée.

Avant-propos

Je remercie à nouveau Jérôme et les Éditions ActuSF pour l'envoi du Dernier Chant d'Orphée dans le cadre d'un partenariat service presse !

Ce roman nous plonge, par son côté classique, dans la mythologie grecque : dieux, demi-dieux, religion, Fatalité, amours, épopée, héros… rien ne manque à l'appel !

Mots clefs

mythologie - mythologie grecque - musique - univers - chants - lyre - Apollon - Dyonisos - Orphée - apprentissage - religion - complémentarité - réécriture - mythologie antique

Je donnai donc un grand festin en l'honneur du noble centaure. Ensuite, nous discutâmes jusque tard dans la nuit de questions sérieuses, importantes, auxquelles j'avais déjà consacré une grande partie de ma vie : la nature des dieux (en particulier Apollon que mon hôte chérissait, tout comme moi), la relation entre les nombres et la musique, le rôle de celle-ci dans le mouvement des étoiles, les méthodes qui permettent de ramener les morts à la vie et bien d'autres sujets.

Robert Silverberg, Le dernier chant d'Orphée, Éditions ActuSF, collection Hélios, 2019

Mythologie Grecque

Qui ne connaît pas Orphée, ce demi-dieu qui perdit par deux fois son aimée, Eurydice ? Eurydice, la descente dans le royaume d'Hadès, Jason et la Toison d'Or et les Argonautes, Thrace… ? Durant ma lecture, ont bien sûr ressurgi mes cours de Littérature au lycée à propos de l'Odyssée d'Homère. Tant sur le fond que d'une certaine façon sur la forme, bien que pour Le Dernier Chant d'Orphée, Robert Silverberg a instauré une narration en prose à la première personne. Aussi le style peut paraître froid, il ne s'agit pas d'une lecture empathique, les émotions ne nous percutent pas, pour autant ce court roman se situe dans cette lignée quasi originelle si je puis dire. L'auteur connaît visiblement sur le bout des doigts la mythologie mais aussi l'Antiquité, en attestent les passages repris de la mythologie (cités en début de paragraphe), la religion avec les coutumes (les sacrifices et autres libations), mais aussi la géographie avec l'épopée en deuxième partie de roman, un passage en Égypte Ancienne (où là aussi plusieurs dieux sont présentés, ainsi que la philosophie à propos de la Réincarnation).

Quant aux dieux, nos créateurs, ils apprécièrent sans doute de voir s'accomplir les destinées qu'ils leur réservaient. Je savais jusqu'à un certain point ce qui allait se passer mais je n'aurais pas pu intervenir. Cette tragédie devait avoir lieu. Mon destin est d'être l'éternel spectateur des événements de ce genre (…).

Robert Silverberg, Le dernier chant d'Orphée, Éditions ActuSF, collection Hélios, 2019

Cycle en chant du cygne

Le Dernier Chant d'Orphée retrace donc la vie d'Orphée, en reprenant les éléments les plus importants, ceux qui l'ont forgé et qui d'ailleurs, pour l'essentiel, sont imprégnés dans la mémoire collective. Mythologie Grecque oblige, le texte s'articule autour de la Fatalité, le destin tracé par les dieux en ce qui concerne les mortels aussi bien que les demi-dieux, tel Orphée donc. À ce propos, le narrateur reprend plusieurs fois la notion de cycle, le fait que le passé, le présent et le futur ne suivent pas la chronologie que les mortels ont établi. Malgré tout, le roman suit une chronologie : la naissance d'Orphée le musicien suite à sa rencontre avec Apollon lorsqu'il lui offre une lyre et l'initie à la musicalité cosmique, son amour avec Eurydice puis la double perte de celle-ci, son règne à Thrace, l'épopée pour la quête de Jason, pour se conclure par son chant du cygne (à l'image de Jean-Baptiste Grenouille dans Le Parfum de Patrick Süskind) qui s'ensuit suite à une réflexion religieuse plus moderne que l'Antiquité.

J'avais consulté un oracle qui m'avait prévenu qu'une sorte de bougeotte allait m'accabler de temps à autre. Avec pour seuls bagages ma lyre et un sac sur le dos, je me rendais alors dans tel ou tel pays lointain pour participer aux Mystères sacrés célébrés sur place. Ce genre de voyage faisait partie de ma mission ; car pour remplir pleinement mon rôle, qui est de préserver la grande harmonie de l'univers, je dois me rendre d'un endroit à l'autre lorsqu'on m'enjoint de le faire, soit pour y enseigner, soit pour y pratiquer ma musique, tout simplement.

Robert Silverberg, Le dernier chant d'Orphée, Éditions ActuSF, collection Hélios, 2019

Regard sur la religion

La réflexion que la religion présentée dans Le Dernier Chant d'Orphée rejoint la vision de Nietzsche dans La Naissance de la Tragédie à propos de la dualité complémentaire. Orphée en vient à penser que chaque dieu représente la facette d'un dieu unique. Le parallèle à l'œuvre de Nietzsche n'est pas aussi radicale mais s'appuie, comme pour le roman de Robert Silverberg, sur les figures de Dionysos et d'Apollon. Cette vision du demi-dieu à la lyre apparaît comme la touche personnelle de l'auteur apportée à cette réécriture au demeurant classique.

Apprentissage

Robert Silverberg propose une œuvre marquée par l'apprentissage, que ce soit à travers les nombreux voyages d'Orphée, son rôle d'enseignant ou d'élève. Là réside l'harmonie de l'univers dont il est le garant avec sa fonction de musicien. Le récit se ponctue également de grands passages, des rites : la naissance de l'amour et la perte de celui-ci avec le deuil qui s'ensuit, les responsabilités (à Thrace), le devoir (maintenir l'harmonie de l'univers), la connaissance à entretenir et à propager (les voyages, l'enseignement) en un schéma qui s'achève sur le chant du cygne d'Orphée et qui pourtant appartient à un cycle non chronologique, amené à se répéter.

Gustave Moreau, Orphée (ou Jeune Fille thrace portant la tête d'Orphée), 1865, musée d'Orsay, Paris

Gustave Moreau, Orphée (ou Jeune Fille thrace portant la tête d'Orphée), 1865, musée d'Orsay, Paris

Pour conclure

Le Dernier Chant d'Orphée, réécriture classique des grands mythes autour d'Orphée, instaure malgré tout une touche personnelle de l'auteur avec la vision sur la religion.

Court roman fluide et poétique, il ravira les amateurs de mythologies, ou tout simplement pour découvrir ces mythes.

Si la Grèce Antique s'articule autour de la Fatalité, Robert Silverberg présente une réflexion sur la religion plutôt détonante dans ce contexte, tout en faisant part d'une beauté poétique en abordant la musicalité cosmique. Cela associé à la Réincarnation et autres grands secrets de l'Égypte Antique créent une œuvre réflexive tout en conservant la caractéristique classique des mythes.

Une lecture qui fait remonter à la surface les souvenirs de l'Odyssée pour ne citer que cet ouvrage, mais aussi qui donne envie de voir des péplums (je me souviens d'un passage à propos de Jason et le Toison d'Or, vu par hasard il y a longtemps) !

Bonus

En annexe, une interview de Robert Silverberg sur des sujets variés. Ne connaissant aucune autre œuvre de cet auteur, j'ai davantage survolé pour m'intéresser aux questions/réponses sur la mythologie et l'écriture par exemple.

La vie - et ce n'est pas là une pensée bien originale - est un long voyage du berceau à la tombe tout au long duquel de nombreux rites d'initiation prennent place. Je pense vraiment que la fonction sociale de la littérature est de baliser ce voyage, et de donner les clés de ces points de passage que nous rencontrons à mesure que nous devenons adultes, que nous nous engageons, peu ou prou, dans le monde qui nous entoure, ou que nous faisons face au poids des ans. Fut une époque, il y a de cela bien longtemps, c'était (du moins je le crois) la fonction première du récit. Aujourd'hui c'est devenu secondaire, le divertissement prime, mais je pense que cette fonction première est toujours là pour qui veut la voir.

Robert Silverberg, extrait de l'interview dans Le dernier chant d'Orphée, Éditions ActuSF, collection Hélios, 2019

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