Passing Strange, Ellen Klages, Éditions ActuSF, collection Perles d'Épices, 8 novembre 2019
4ème de couverture
San Francisco, 1940. Six femmes, avocate, artiste ou scientifique, choisissent d’assumer librement leurs vies et leur homosexualité dans une société dominée par les hommes. Elles essayent de faire plier la ville des brumes par la force de leurs désirs… ou par celle de l’ori-kami. Mais en science comme en magie, il y a toujours un prix à payer quand la réalité reprend ses droits.
Roman sociétal autant que fantastique, Passing Strange est complété par la nouvelle Caligo Lane qui nous dévoile un peu plus les mystères de l'ori-kami.
Ellen Klages est une autrice américaine d’imaginaire qui vit à San Francisco. Passing Strange, a été finaliste du prix Nebula avant de remporter les World, British Fantasy et Gaylactic Spectrum Award 2018.
Avant propos
Je remercie Jérôme et les Éditions ActuSF pour l'envoi de ce service presse, ainsi qu'à Gaëlle pour la bonne réception de ce roman !
J'ai porté mon choix sur Passing Strange car la 4ème de couverture m'a interpellée. LGBT, magie et science dans le contexte historique de l'avant Seconde Guerre Mondiale, à San Francisco : autant de sujets qui me parlent et me touchent que d'autres qui me sont plus lointains. C'était aussi l'occasion d'élargir mon cercle de lectures (très axé fantastique et fantasy ces derniers temps) : avec cette novella, nous sommes presque dans de la littérature blanche.
Cette découverte m'a énormément plu, je vous en parle plus dans ma chronique.
Mots-clefs
roman sociétal - fantastique - LGBT - féminité - émancipation - États-Unis - San Francisco - 1940 - Seconde Guerre Mondiale - artistes - magie - science - amour - amitié
Remarque : j'ai inséré l'illustration de la couverture originale de Passing Strange, que je préfère à celle de la présente édition, je l'avoue, et qui, pour moi, se réfère bien mieux à l'Art de Haskel puisque l'artiste réalise ses illustrations aux pastels :
Dans un premier temps, nous suivons Helen, à notre époque, centenaire s'intéressant étonnement à une revue pulp, Weird Menace, chez un bouquiniste, commerçant de collections. Qu'elle n'est pas la surprise du propriétaire d'effectuer avec elle une incroyable transaction : l'achat d'un original de Haskel, l'artiste des illustrations criardes de la revue mettant en scène des femmes menacées ou ligotées. Cette illustration est très spéciale, Helen a connu Haskel, photographie à l'appui, et voilà que le récit nous envoie tout droit en 1940. Nous y rencontrons six femmes : Helen, Haskel, Franny, Babs, Polly et Emily. Autant de portraits de femmes qui dépeignent leur besoin d'émancipation dans une société qui les conditionne.
En plus d'être artistes, scientifique, cartographe, ou jeune femme rêvant d'étudier dans des écoles prestigieuses mais réservées aux hommes, elles sont lesbiennes. Or à cette époque, même à San Francisco vue comme marginale, cela est contraire aux lois. S'aimer entre personnes du même sexe est perçu comme "contre nature", et ce ne sera pas le seul terme ou fait réel de la novella à faire grincer des dents. Ensemble, elles forment un Club ; leur amitié est magnifique, magique. Puis entre dans leur cercle Emily. Emily qui saura toucher Haskel. Emily qui chante, habillée en homme, Chez Mona, bar sur lequel les autorités ferment à moitié les yeux puisqu'il amène les touristes. Chez Mona, les filles qui font leur représentation sur scène apparaissent obscènes aux spectateurs venus comme voyeurs. D'ailleurs, la loi les oblige à porter 3 vêtements féminins, et les agents sont libres de vérifier sous la moindre couture... Une femme qui s'habille en homme choque à cette époque. Chez Mona apporte quelque peu de liberté à celles cherchant coûte que coûte à faire et être telles qu'elles sont. De nos jours, c'est le regard des autres qui pèse mais en 1940 c'était l'illégalité !
Au sein de cette société, Helen comme Haskel sont mariées, elles vivent une double vie. En plus de cela, Haskel gagne sa croûte en réalisant des illustrations pour couverture pulp... sans que personne, à part ses amies, ne sache qu'elle est une femme. Tout le monde pense que Haskel est un et non une artiste. Alors que nous entrons dans la sphère attachante et douce de ses amies, la réalité va les rattraper lorsque Emily et Haskel vont tomber amoureuses... Haskel est mariée, dans une société où l'homosexualité est prohibée...
Au-delà du côté sociétal, Passing Strange nous plonge dans le San Francisco de 1940. L'auteure dépeint à merveille cette ville particulière, si bien que nous nous retrouvons nous aussi dans les rues et les quartiers, ou encore la Cité Magique - la Foire Universelle - ou La Cité Interdite (qui n'existent plus aujourd'hui). Les descriptions apportent une touche de réalisme magique. Et c'est bien cette notion de "touche" qui a toute son importance, puisque dans cette novella, qui s'apparente énormément à de la littérature blanche, un peu de surnaturel va prendre forme... Franny a un don, celui de pratiquer l'ori-kami : Art qui permet de plier l'espace en se rendant d'un point à un autre sans se déplacer. Je n'en dis pas plus mais le titre de la novella, "étrange chemin" en français, s'inscrit sur cette ligne.
Passing Strange relate avant tout une belle histoire d'amour, celle de Haskel et d'Emily, dans une époque et une société qui ne laissent pas s'exprimer les femmes, et ce à tous les niveaux, comme le démontrent les 6 femmes que nous croisons. Puis l'auteure ajoute une dose magique à cet ensemble : que ce soit par sa façon de nous immerger dans la ville de San Francisco de 1940, par la pratique de l'ori-kami par Franny (dont nous découvrons la façon de procéder dans la nouvelle qui suit la novella : Caligo Lane), ou encore par le tundérpör, une magie antérieure au Nouveau Monde. Intriguant, non ?
L'auteure distille tout cela d'une main de maître et j'ai adoré découvrir cette histoire forte en amitié et en amour, en Art, avec ce réalisme magique amené par petites touches ! J'ai été scandalisée par la façon dont sont traitées les femmes, du moule dans lequel la société patriarcale cherche à les enfermer, pour autant, elles ne se soumettent pas et cherchent à s'émanciper, à s'incarner dans leur vie. L'amour interdit entre Haskel et Emily connaît un dénouement... magique ! Aussi je retiendrai surtout la douceur qui émane de cette histoire, comme sa magie et l'univers artistique qui l'imprègne.
À noter qu'une interview d'Ellen Klages ponctue l'ouvrage !