Rouge, Pascaline Nolot, Éditions Gulf Stream, Collection Électrogène, 20 mai 2020

Publié le par Maude Elyther

Rouge, Pascaline Nolot, Éditions Gulf Stream, Collection Électrogène, 20 mai 2020

4ème de couverture

Ce qu’il vit avant tout, c’était l’immonde coloris écarlate qui rongeait à moitié le nouveau-né ainsi que l’infâme petite boule de peau surplombant son regard. Le monstre avait engendré un autre monstre !

— Comment devons-nous l’appeler ? lui demanda la vieille femme.

Il contempla le nourrisson en pleurs avec aversion.

Puis il vomit sa sentence en un mot :

— Rouge !

Accroché au versant du mont Gris et cerné par Bois Sombre se trouve Malombre, hameau battu par les vents et la complainte des loups. C’est là que survit Rouge, rejetée à cause d’une particularité physique. Rares sont ceux qui, comme le père François, éprouvent de la compassion à son égard. Car on raconte qu’il ne faut en aucun cas toucher la jeune fille sous peine de finir comme elle : marqué par le Mal. Lorsque survient son premier sang, les villageois sont soulagés de la voir partir, conformément au pacte maudit qui pèse sur eux. Comme tant d’autres jeunes filles de Malombre avant elle, celle que tous surnomment la Cramoisie doit s’engager dans les bois afin d’y rejoindre l’inquiétante Grand-Mère. Est-ce son salut ou bien un sort pire que la mort qui attend Rouge ? Nul ne s’en préoccupe et nul ne le sait, car aucune bannie n’est jamais revenue…

Un récit où le merveilleux se mêle à l’horreur et où l’innocence se dilue implacablement dans le sang. Un conte sensible, sombre et envoûtant qui ne cherche à épargner personne, et surtout pas son lecteur.

Avant-propos

Alors qu’il vient d’être annoncé finaliste du Prix des Halliennales, j’ai enfin lu Rouge ! Réécriture intelligente du Petit Chaperon Rouge, Pascaline Nolot en fait un récit féministe mais aussi de construction personnelle. S’il est estampillé young adult, ce one-shot, avec sa maturité et son caractère sombre, ne déplaira pas à un public plus averti.

Mots clefs

Young adult – conte – réécriture de conte – Le Petit Chaperon Rouge – sombre – différence – mal et démon – loups – sorcière – femme – féminisme – connaissance – liberté – indépendance – devenir femme – préjugés – vérité – passé – malédiction – pacte

Rouge, Pascaline Nolot, Éditions Gulf Stream, Collection Électrogène, 20 mai 2020

L’histoire

Voilà un récit sombre et envoûtant. Un village moyenâgeux isolé à cause d’un pacte passé avec une Sorcière à laquelle il faut livrer les jeunes filles après leurs premières règles pour ne pas connaître de malheur. Une populace ancrée dans les préjugés par la religion chrétienne dont l’influence pèse sur eux de façon très palpable. Lorsque l’une des leurs devient folle et met au monde un enfant marqué par le Diable, c’est l’occasion de plus de ferrer la féminité. Car la malheureuse n’a pu que pêcher et frayer avec un démon, si ce n’est le Diable en personne, pour délivrer une fille à la face à moitié cramoisie et portant une difformité charnelle au coin du sourcil… Le prêtre instruit uniquement les garçons car il ne faudrait pas que la connaissance entraîne sur la voie du Mal les filles…

Dans cet environnement déjà oppressant, la vie de Rouge, la Cramoisie, est pire encore. Son père refuse sa paternité, il la laisse tout juste dormir dans l’écurie de sa taverne. Les villageois la lynchent, personne ne la touche sous crainte d’être contaminé par sa rougeur. L’adolescente a bien un ami, le solaire Liénor. Cependant, alors que vient son premier sang et que la nouvelle se répand, même lui ne pourra rien pour elle. Car elle devient la nouvelle Bannie, tribut à la Sorcière de Bois Sombre. Les loups de la Grand-Mère l’attendent au pied du village, alors que ce dernier est en liesse d’enfin se débarrasser de l’adolescente. Car la malédiction a débuté avec la mère : elle finira par la fille, n’est-ce pas ? Mais qu’est-ce qu’y attend Rouge dans le bois, et une fois qu’elle aura atteint sa destination chez la Sorcière ? Lorsque les Bannies quittent Malombre, escortées par les loups, elles ne reviennent jamais…

Religion et sorcellerie

Alors que Rouge suit la rivière pour se rendre chez la Grand-Mère, les loups disparaissent et apparaissent : tant qu’elle suit le chemin, ils n’interviennent pas davantage. Pourtant, sur la route, son panier de victuailles pour la Sorcière à la main, deux rencontres vont illustrer à merveille « Ne te fie pas aux apparences »… Il s’agit bien là d’un incontournable du roman, que l’on retrouve en plusieurs personnages. Les préjugés, le sexisme, la femme comme objet… : Pascaline excelle à aborder ces thématiques et à les démonter pierre par pierre. Si le conte originel du Petit Chaperon Rouge implicite la notion de viol, ici l’autrice le dénonce ouvertement, primant le consentement et la construction personnelle. Ici, ce sont les êtres humains qui sont abjectes, perfides… et ils se dédouanent via leurs principes religieux. Époque moyenâgeuse « oblige », cela fait pour autant grincer des dents et se superpose à notre époque.

Rejetée tel le vilain petit canard, Rouge, si elle doit périr entre les mains de la Sorcière, se fait la promesse de lui soutirer au préalable la vérité à propos de son père, de sa mère, de sa naissance. Pour autant, la recherche de la vérité est-elle réellement salvatrice ? En ayant la possibilité de connaître le passé, quel sera le choix de l’adolescente ?

Rouge

Rouge, la couleur et le titre du roman, représente de multiples thématiques : le sang, le meurtre, la colère, la vengeance, le Diable, la pulsion, le feu des enfers, la folie, la difformité, la violence, le danger… À travers le récit, le lecteur suit Rouge, sur la voie du passé et un avenir qui se dessine, ponctués par toutes ces résonances à la teinte écarlate. Entre les épreuves, un allié inespéré, sa quête de vérité, la jeune fille se construit, hors de la maltraitance psychologique et du harcèlement des villageois de Malombre. Malgré son enfance difficile, non aimée, rejetée et sans cesse éprouvée, Rouge se montre forte, elle est une victime qui se relève pour sortir de ce schéma vicieux dicté par les préjugés et quelques secrets. Alors qu’au village elle survivait, les épreuves, plus sombres et tortueuses encore, auxquelles elle se retrouve confrontée vont paradoxalement lui permettre de prendre sa vie en main et de devenir femme.

Once upon a time…

Je ne peux hélas vous en dire plus sans risque de spoiler l’intrigue. Sachez cependant que Pascaline reprend quelques caractéristiques du conte originel : la Grand-Mère, les loups, le panier de victuailles, la maisonnette perdue dans les bois. Pour le reste, elle démontre d’un immense talent pour aborder sans fard des thèmes actuels comme le harcèlement, le viol et le consentement, la culture du beau, les préjugés… Avec Rouge, le lecteur passe par toute la palette des sentiments, comme son héroïne, il n’est pas épargné. Ce roman incarne à merveille l’essence sombre et cruelle des contes d’antan, mais ici les monstres sont humains. Vous y trouverez également quelques créatures issues d’un bestiaire fantastique, un objet enchanté, un Chasseur, une jeune fille en capuchon. Quant à la notion de sorcellerie, elle ne s’arrête pas à la « magie noire » : ici elle est rattachée à la connaissance, à l’indépendance, à la femme.

L’épilogue offre une ouverture inattendue et admirablement réussie sur laquelle je dois me taire, il vous faudra vous lancer dans la lecture de Rouge pour le connaître…

Pour ne rien gâcher à cet ensemble, la plume de Pascaline se prête à escient pour construire cette atmosphère à la fois envoûtante et toxique, sombre et cruelle mais aussi sauvage. Le vocabulaire s’insère à l’époque moyenâgeuse, bien que quelques termes plus actuels montrent de temps à autre le bout de leur nez. La musicalité imprègne fortement les lignes, comme un écho aux contes oraux d’origine. Si la fin reste sur le rouge, elle apporte une autre nuance encore que toutes celles déjà évoquées.

En bref

Je me suis pris une claque à la lecture de ce roman ! Pascaline nous offre une réécriture brillante et intelligente du Petit Chaperon Rouge, dénonçant le viol, les préjugés et le culte des apparences. Elle nous propose un récit cruel qui met à rude épreuve son héroïne, comme son lecteur, vers le salvateur chemin de la construction personnelle, l'acceptation de soi-même, entre le passé, les diverses épreuves de la vie. Car à propos des vérités que Rouge veut connaître, il lui faudra se pencher sur le passé de plusieurs des villageois de Malombre. La vérité la changera à jamais ; pour le meilleur ou pour le pire ?

Publié dans chronique personnelle

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F
Gros coup de cœur pour ce roman ! :) Jetais super contente de voir pour le prix Halliennales, il le mérite tellement !
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M
Mais ouiii je suis tellement contente pour Pascaline ! ❤
E
Tu m'as encore plus donné envie de le lire XD l'offrir à ma mère ne sera qu'une bonne excuse héhéhéhé
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M
Je ne peux que t'y encourager ^^ Je suis sûre qu'il va énormément te plaire !