Biotanistes, Anne-Sophie Devriese, Éditions ActuSF, label Naos, 19 mars 2021

Publié le par Maude Elyther

illustration par Zariel

illustration par Zariel

4ème de couverture

Quelque part dans le futur.

La terre est sèche. Des grappes d’humains survivent dans les dernières oasis. Terminé les ruisseaux, terminé les animaux, terminé… la domination masculine. Parce qu’elles semblent être les seules à survivre à une maladie qui décime l’humanité, les femmes ont pris le pouvoir et les hommes sont relégués au rang de reproducteurs.

Rim, jeune sorcière élevée au convent, voit son premier saut dans le passé approcher avec impatience et fébrilité : et si elle n’atterrissait pas en zone utile et devait renoncer pour toujours à voyager dans le temps ? Et puis, qui est Alex, cette nouvelle venue qui la déroute tant, la pousse à reconsidérer ses certitudes ? Et si… et si les hommes, en vérité, pouvaient survivre au fléau ?

Biotanistes, Anne-Sophie Devriese, Éditions ActuSF, label Naos, 19 mars 2021

Avant-propos

Je remercie chaleureusement les Éditions ActuSF et Jérôme pour l’envoi de ce service presse ! Intriguée dans un premier temps par le scarabée de la couverture et le titre, le synopsis a fini de titiller ma curiosité. Grand bien m’a pris de choisir ce titre puisque j’ai grandement adoré ce roman ! Je vous en dis plus ci-dessous.

Je tiens à préciser que mon ressenti sur ce roman est totalement opposé à certains retours que j'ai vu passer et qui soulignent que « le récit est décousu, que les événements sont trop longs à se mettre en place, que le nombre de personnages nuit à la compréhension... » Oui, il en faut pour tous les goûts, d'ailleurs je préfère les histoires complexes voire exigeantes et n'apprécie aucunement celles brodées de fils blancs dans lesquelles les lecteur.rice.s sont pris par la main ^^ Toutefois, je trouve poussifs ces avis sur la complexité voire l'exigence de Biotanistes (rassurez-moi, je ne suis pas la seule à en "râler"?)

Sur ce, ambiance désertique oblige, munissez-vous d’un thé glacé maison ou d’une infusion tiède avant de vous lancer dans la lecture de ma chronique. Comme d’habitude, vous pouvez directement découvrir ma conclusion, tout en bas de l’article en gras.

Mots clefs

Young adult – post-apocalyptique – fantasy – voyages dans le temps – roman d'apprentissage – féminisme – personnages féminins – diversité – lgbtqia – personnages arabes – personnages noirs – handicap – société matriarcale – sorcières – désert – apprentissage – Histoire – mémoire – savoir – écologie – protection environnementale – protection des animaux – antisexisme – le pouvoir de la connaissance

Biotanistes, Anne-Sophie Devriese, Éditions ActuSF, label Naos, 19 mars 2021

Post-apocalyptique désertique

Biotanistes, le premier roman de Sophie Devriese, nous plonge dans un univers post-apocalyptique désertique. La population a drastiquement diminué suite au fléau, dont on ignore l’origine. Celui-ci n’épargne que certaines filles ou femmes qui sont alors destinées à devenir sorcières. C’est-à-dire qu’elles rejoignent un convent où leur seront inculquées diverses connaissances : à elles échoit la mission de nourrir ou encore de soigner. Comment ? Parce qu’elles sont capables de voyager, de sauter, dans le passé. De ces voyages, elles rapportent savoirs perdus et certaines parviennent même à ramener des graines.

Monde futur

Imaginez un monde désertique, sans abeilles, aux connaissances historiques largement tronquées… le tout surmonté du convent qui parvient à cultiver, à recueillir l’eau de rosée, à soigner animaux comme êtres humains via un mélange entre organique et métal ou plastique (qui donne d’ailleurs son titre au roman et offre une touche steampunk au récit), qui crée des vêtements organiques qui régulent la chaleur et sont adaptés aux sauts dans le passé.

Société matriarcale... poussée à l'extrême

Tout cela est déjà fort intrigant, n’est-ce pas ?

Eh bien, imaginez encore : un monde où la place inhérente des hommes et des femmes à notre société est inversée. Les femmes sont aux commandes, craintes par les hommes qui sont perçus par ces dernières comme simples "étalons". Extrême ? Non car ce procédé dénonce astucieusement certains comportements masculins sexistes, misogynes… Inverser les rôles, au travers de différentes situations, met mal à l’aise (les femmes qui sifflent les hommes et les déshabillent du regard, la notion d’esclave sexuel, la prostitution masculine…). Cela donne également lieu à quelques scènes humoristes : la pudeur quant aux poils, la galanterie (une femme qui tient la porte à un homme…).

Égalité et liberté des genres

Mais alors, cela fait-il des protagonistes féminins des personnages imbuvables ? À quelques rares exceptions, non. Puisqu’il y a des femmes qui souhaitent le pied d’égalité pour les deux sexes, tout comme il y a des hommes qui se rebellent contre les femmes. Et c’est bien là une force majeure de ce roman : sous couvert de dénoncer le sexisme, la misogynie, les strates sociétales et autres stéréotypes, l’inversion des rôles, sous son joug féministe, soutient un discours plus vaste, celui de l’égalité et de la liberté des genres.

Le conteur et l'orpheline

Qu’en est-il de l’intrigue ? Nous rencontrons Ulysse, un colporteur à l’insolente moustache, découvrant une fillette ayant survécu au fléau. Celle-ci est adolescente lorsque nous la retrouvons au convent. Rim est une jeune fille un brin rebelle, éprise d’évasion. Elle échappe à l’œil de ses sœurs et de ses supérieures pour s’enfuir dans la ville écouter Ulysse, son parrain, narrer des contes. Elle qui a toujours mille questions pendues aux lèvres nourrit son idéologie d’égalité entre les femmes et les hommes. Alors quand Olympe débarque au convent avec ses grands airs et sa condescendance envers la gent masculine, la guerre est déclarée, d’autant plus qu’elle a détourné d’elle sa meilleure amie, Circé.

Roman d'apprentissage

Nous suivons l’évolution de Rim, car il s’agit également d’un roman d’apprentissage. Il n’y a pas d’indication quant aux dates, cependant l’autrice donne les informations nécessaires pour que les lecteur.rice.s visualisent la tranche d’âge de Rim. Si elle se montre réticente à l’éducation qu’elle reçoit, appréhendant son premier saut, son monde tourne autour d’Ulysse, d’Anthoïna, la biotaniste créatrice des araignées comme des vêtements vivants et qui soignent en créant des prothèses, de Circé, mais aussi de la vieille Iseult qui met toujours son nez partout, de l’ombre de Magda, la borgne, qui l’effraie.

Antagoniste de choix

Certains passages sont plus centrés sur Olympe, déjà jeune femme lorsqu’elle a été ramenée au convent. Bien que personnage antipathique, l’on sent son tiraillement entre l’éducation que lui a inculquée sa mère, son ambition de reprendre le commerce familial et donc son désir d’apprendre le plus possible auprès des sorcières. Elle lutte constamment contre ses émotions contradictoires, se soumettant à l’autorité pour servir ses intérêts et atteindre son but.

Trouver sa place

Rim et Olympe sont deux antagonistes par excellence sans que cela ne tombe dans le manichéisme comme vous pouvez vous en douter avec le traitement du personnage d’Olympe dans les lignes ci-dessus. Dans ce monde aux strates sociétales nettement délimitées, on comprend qu’Olympe cherche à survivre, à trouver une place de choix, c’est un personnage complexe que j’ai trouvé torturé, tandis que Rim a tendance à briller.

Alex

Je ne vous parlerai pas du personnage d’Alex, mentionné dans la 4ème de couverture, à part pour vous dire que cette recrue du convent va avoir un impact considérable sur Rim, de même que pour l’intrigue.

Connaissances utiles ou inutiles...

Tandis que Rim et Olympe prennent des chemins drastiquement opposés au sein du même convent, des vérités font se révéler et mettre Rim, Alex, Antho, Ulysse et d’autres personnages en danger. En quête de vérité à propos de sombres secrets, sauts dans le passé comme contes seront là pour les guider. Les connaissances sont classées utiles ou inutiles : les romans et les contes, la musique, l’art en général contre la médecine, le jardinage… Eh oui, quand l’autorité à main mise sur le savoir et la retranscription de certains pans de l’Histoire, tout n’est pas rose dans l’envers du décor, n’est-ce pas ?

Bienveillance et dure réalité

En apprentissage au sein du convent et forte d’une idéologie d’égalité de genre, Rim va passer de la théorie à la pratique si je puis dire, enrichie par plusieurs figures fortes (Ulysse, Antho et Alex pour ne citer qu’eux), elle va mûrir tout comme traverser des épreuves difficiles voire cruelles. Malgré la beauté, l’amour et la bienveillance qui imprègnent ce roman, l’autrice n’omet pas la dure réalité (l’esclavagisme humain avec les semeuses, la politique migratoire avec les sauts de Rim, les actes et les choix dictés par la soif de domination…).

Diversité

Pour terminer, un autre point fort de ce roman : la diversité des personnages. Arabes, noirs, en situation de handicap, bisexuels... Anne-Sophie Devriese nous offre une épopée également riche sous cet angle. Rim prouve que ce n'est pas du sexe dont nous tombons amoureux.se. Antho (ce que je l'a adorée !) soigne sans distinction de secte, d'appartenance sociale, êtres humains comme animaux. Plusieurs personnages (encore une fois humains et animaux) sont pourvus de prothèses car ont subi des accidents, sont tombés dans d'odieux pièges.

Enfin, si beaucoup de prénoms renvoient à des figures de sorcières que nous connaissons (Circé, Magdalena...), tout comme le personnage d'Ulysse incarne un véritable Homère, j'ai pris plaisir à voire passer des œuvres littéraires comme À la croisée des mondes, ou la reprise de contes avec notamment Barbe Bleue, véritable réécriture du conte que nous connaissons qui échange la place des hommes et des femmes.

Biotanistes, Anne-Sophie Devriese, Éditions ActuSF, label Naos, 19 mars 2021

En bref : Biotanistes présente un univers riche et complexe, tout comme ses personnages nuancés, terriblement attachants ou détestables, ses propos engagés sur l’environnement (le fléau viendrait-il de la Terre elle-même contre l’espèce humaine ?), la liberté d’expression, l’égalité des genres. À la fois young adult, post-apocalyptique, fantasy, roman d’apprentissage, féministe, Anne-Sophie Devriese nous offre une première publication de haute qualité, tant sur le fond que la forme. Elle propose une réflexion sur l’importance et le besoin de la culture, sur notre rapport à l’environnement et aux animaux, mais aussi sur les stéréotypes de notre société : sexisme, misogynie, différences, racisme…

Ce roman est diablement passionnant ! Vous ne pourrez que passer par diverses émotions au cours de votre lecture, à tel point que vous ne verrez pas les 600 pages passer !

Et si ce n’est pas assez clair : lisez-le, offrez-le !

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