Fabien Clavel, Feuillets de cuivre, Éditions ActuSF, collection Les 3 Souhaits, 16 avril 2021
4ème de couverture
Paris, 1872.
On retrouve dans une ruelle sombre le cadavre atrocement mutilé d'une prostituée, premier d'une longue série de meurtres aux résonances ésotériques. Enquêteur atypique, à l'âme mutilée par son passé et au corps d'obèse, l'inspecteur Ragon n'a pour seule arme contre ces crimes que sa sagacité et sa gargantuesque culture littéraire.
À la croisée des feuilletons du XIXe et des séries télévisées modernes, Feuillets de cuivre nous entraîne dans des Mystères de Paris steampunk où le mal le dispute au pervers, avec parfois l'éclaircie d'un esprit bienveillant... vite terni. Si une bibliothèque est une âme de cuir et de papier, Feuillets de cuivre est sans aucun doute une œuvre d'encre et de sang.
Avant-propos
À l’occasion de la sortie des Héritiers de Fabien Clavel, les Éditions ActuSF ont offert peau neuve aux Feuillets de Cuivre, dans une édition avec couverture effet vieux livre forte de plusieurs symboles prégnants dans le roman.
Feuillets de cuivre faisait partie de ma wishlist depuis longtemps, j’ai donc profité de sa réédition pour enfin le découvrir ! Pour cela, je remercie Jérôme et les Éditions ActuSF pour l’envoi de ce service presse.
Mots clefs
Enquêtes – Paris – fin du XIXème/début du XXème siècle – roman policier – steampunk – livres – connaissances littéraires – Arts – érudition – sombre – ennemi – mode feuilletons – obésité – références culturelles et historiques – inventions – genre – peine de mort – condition des femmes – machinerie – ésotérisme – surnaturel
Roman feuilleton
Avec ses Feuillets de cuivre, Fabien Clavel nous offre un découpage digne des feuilletons du XIXème : l’intrigue, s’étendant de 1872 à 1912, est découpée à l’image de nouvelles, proposant un feuillet pour une année et une enquête. Se ne sont pas n’importe quelles enquêtes, il s’agit des plus marquantes de la carrière de l’inspecteur puis commissaire Ragon. Ancien militaire devenu inspecteur, gravissant lentement mais sûrement les échelons de sa nouvelle fonction, Ragon est un individu à part. En regard de son obésité morbide, comme de son érudition pointilleuse que bâtit son appétit gargantuesque pour les livres, mais aussi avec sa sensibilité, son ouverture d’esprit compréhensive, bienveillante même.
Résoudre les enquêtes… par les livres
Moqué ou grandement respecté par son étonnante méthode de travail, résoudre les enquêtes via les livres, Ragon est un homme souffrant physiquement (à travers son corps trop grand et trop encombrant) aussi bien que mentalement (malgré la lumière de son épouse, Lise). Lui qui a connu le champ de bataille et investigue sur des meurtres, la vision des cadavres lui est insupportable. Alors quoi, il résout les affaires sans regarder les corps, en s’intéressant uniquement à la bibliothèque des victimes ? Pratiquement. Sa mémoire et ses connaissances aiguisées, à l’instar d’un certain Sherlock Holmes plus spécifiquement tourné ici sur la littérature, lui permettent de grandes prouesses.
Quelques personnages
Véritable colosse aux pieds d’argile, Ragon se déplace peu au cours de ses enquêtes. Il compte sur quelques subordonnés pour recueillir témoignages, papiers et autres informations tandis qu’il se plonge dans sa mémoire comme dans les livres pour comprendre les rouages et remonter aux meurtriers. Il compte notamment sur Fredouille, qui l’accompagnera sur plusieurs enquêtes, écho d’un Watson ayant développé quelques aptitudes de Holmes. Zehnacker, son collègue puis supérieur, sec comme une momie, n’est jamais loin non plus, comme veillant sur lui. Puis il y a également Lise, douce et blonde comme un ange, la seule femme que Ragon aimera profondément, dès le premier regard. Quelques personnages plus secondaires encore, comme un Professeur dont Ragon apprécie l’expertise des corps. Ou encore l’antagoniste, le Moriarty de ce récit, mais j’y reviendrai plus loin.
Littérature, étrangeté, ésotérisme et touche steampunk
Fabien Clavel dissémine de nombreuses références littéraires (Victor Hugo, Jules Verne, Charles Baudelaire, Platon…), dont il reprend des extraits pour sous-titrer notamment ses chapitres ou en réécrire pour le service d’une enquête. Ce dans quoi Ragon est parfaitement dans son élément, ogre bibliophile qui paraît littéralement se nourrir de lectures. Pour autant, d’autres registres sont également exploités, liés de près ou de plus loin à la littérature. L’art, par exemple avec cette estampe japonaise érotico-dérangeante. L’invention/la Science, avec rouages et éther, qui offre la touche steampunk au récit, ou aussi ce sarcophage dont le dessein nie l’éthique. Ou encore l’ésotérique avec la notion de tableau hanté, de magie sexuelle, de la présence d’un spirite demandée par Ragon pour une enquête.
Étranges et dérangeantes
Vous l’aurez compris, toutes ces enquêtes sortent de l’ordinaire. Si elles apparaissent sous un aspect classique, le traitement et leur conclusion en sortent. Car elles sont imprégnées d’étrange, démontrant toujours un quelque chose de dérangeant, ce qui peut parfois frôler l’horreur (les tentacules de l’estampe japonaise, un cadavre écorché, démembré, des contes de Perrault montés en grandeur nature…).
Le corps
Il est question du corps aussi : l’obésité morbide de Ragon, qui gonfle de plus en plus en parallèle de la sécheresse de momie de Zehnacker qui lui ne cesse de se parcheminer. Les cadavres sublimés ou au contraire réduits à leur condition de viande. Tout comme la peau : tatouée comme les pages d’un livre sont imprimées. On retrouve aussi le journal d’un esprit prisonnier d’un corps. Le corps est le reflet des livres, matériel, mystérieux, plein de réponses. Sont davantage mentionnés la peau et le cuir pour parler des ouvrages que du papier, avec le détail de la tranche de cuivre, note alchimique à l’ensemble.
Fil rouge
Feuillets de cuivre est découpé en deux parties, avec prologue et épilogue, soit un total de 11 nouvelles.
Si la 1ère partie paraît hétéroclite de prime abord, la donne change magistralement avec la 2ème partie du roman. Car entre en scène l’antagoniste, surnommé l’Anagnoste. Les liens entre chaque enquête se révèle alors lentement, amorçant le vaste dessein de l’Anagnoste qui a tout manigancé pour se mesurer à Ragon. Ce dernier est à la fois fasciné par les rouages de cet esprit vil que profondément dégoûté par son goût de la destruction, tout comme Sherlock face à Moriarty. Ce n’est qu’à la révélation de la véritable identité de l’Anagnoste que la tournure du récit offre un revirement inattendu ! Malgré les indices dispatchés, la présence directe mais légère du surnaturel, je ne m’étais doutée de rien. Plusieurs choses se mettent alors en lumière et offre une touche d’humanité qui au demeurant n’est pas très présente dans le texte, malgré le tempérament de Ragon.
Paris
Enfin, l’écriture impeccable de l’auteur nous offre le plaisir d’un style XIXème siècle émaillé de diverses références. Une ou deux enquêtes m’ont moins plu et j’ai eu tendance à me laisser dépasser par les passages politiques (car ce n’est pas ma tasse de thé), néanmoins, nous sommes admirablement plongés dans ce Paris de la fin du XIXème siècle/début du XXème siècle : Fabien Clavel nous entraîne dans les rues de cette ville, évoque fort à propos la mode pour le spiritisme, le goût des feuilletons littéraires, l’émergence des « instituts psychiatriques ».
En bref : avec Feuillets de cuivre, Fabien Clavel mène une œuvre admirable, sur les pas de Ragon, personnage atypique obèse résolvant ses enquêtes grâce à sa mémoire et son appétit gargantuesque pour la littérature. Dans un Paris de la fin du XIXème siècle/début du XXème siècle, les enquêtes marquantes de la carrière du commissaire nous entraînent sur des pistes underground : ésotérisme, inventions, steampunk…, pour des affaires étranges et dérangeantes, où le corps devient livre. Mais à remonter les fils de ces différentes affaires, Ragon va se rapprocher de sa propre vérité.
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