Interview : Florence D. Orlhac pour "Les Chroniques de Sainte Madeleine"
Bonjour à vous !
Aujourd'hui, je vous propose de découvrir davantage le manoir de Sainte Madeleine, personnage à part entière du roman de Florence D. Orlhac, Les Chroniques de Sainte Madeleine, paru aux Éditions Octoquill !
Au programme ? Un vaste manoir en plein XIXème siècle qui prodigue ses "bons soins" aux patients souffrants de maladies mentales. Les amateur.ice.s du fantastique seront comblé.e.s et vous rencontrerez de nombreuses thématiques et références.
Si vous ne vous êtes pas égaré.e.s dans les couloirs, ou si vous voulez tenter l'expérience, voici de quoi prolonger votre lecture ou initier votre prochaine visite à Sainte Madeleine ;) (Re)trouvez ma chronique ci-dessous.
PS : ce livre a fait naître une amitié entre Florence et moi, et c'est aussi une belle histoire :)
Florence D. Orlhac, Les Chroniques de Sainte Madeleine, Éditions Octoquill, mai 2021 - Maude Elyther
Couverture : Sheila Rougé - Ouroboros Design 4ème de couverture Dissimulé par une épaisse forêt et de hautes grilles, loin des villes aux lumières artificielles naissantes, se dresse l'imposa...
Coucou Florence, merci à toi d’avoir accepté de répondre à mes questions à propos de ton premier roman Les Chroniques de Sainte Madeleine (Éditions Octoquill) ! Pour commencer, peux-tu te présenter et nous dire comment est né ce projet ?
Merci à toi Maude !
Je m’appelle Florence, j’ai eu 20 ans an l’an 2000 (un peu de calcul mental, ça fait du bien !), et comme beaucoup d’auteurs (tous, peut-être ?) j’ai passé énormément de temps dans les livres. J’ai eu la chance d’être laissée très libre sur le sujet, j’ai toujours pu choisir ce qui m’attirait, sans aucune censure parentale. D’ailleurs, avec le recul, ça m’étonne un peu !
C’est ainsi que je suis passée de la lecture du « Petit Vampire » de Angela Sommer Bodenburg, dans la bibliothèque rose, à Stephen King et à la collection Terreur de chez Pocket. Leurs couvertures noires, avec le début du texte écrit en rouge sang sur la couverture m’ont tout de suite attirée, et m’ont permis de découvrir des livres et des auteurs qui répondaient parfaitement à mes attentes, alors même que je n’aurai été incapable de les exprimer clairement !
Assez vite, j’ai commencé à écrire des histoires, mais j’ai dû batailler longuement comme un très fort syndrome de l’imposteur et un manque total de confiance en moi pour m’autoriser à penser que cela valait la peine d’être lu.
A 30 ans, j’ai décidé de prendre un grand virage dans ma vie qui ne me convenait plus sur de nombreux aspects. J’ai changé de région pour repartir sur des bases plus saines, en construisant ma vie au lieu de me laisser porter au gré du hasard.
Dans mes bonnes résolutions, il y avait tout en haut de la liste : « écrire un livre et le faire publier ». Si j’avais su qu’il me faudrait 10 ans pour y parvenir, je n’aurai surement pas eu le courage de commencer ! J’ai commencé aussitôt, mais le projet à connu de nombreux arrêts. L’envie ne m’a jamais quittée, mais j’ai dû composer avec la vie de couple, un travail salarié, l’arrivée d’un enfant… quelques « petits détails » qui empiètent sur le temps d’écriture !
Et si le texte dans sa version définitive était bouclé en 2018, il m’a fallu encore attendre avant de trouver un éditeur et de pouvoir enfin réaliser mon objectif, à savoir la publication des Chroniques en mai 2021 !
Tu as choisi comme décor à ton récit un manoir, véritable personnage central, tu instaures autour de lui plusieurs récits. Ainsi, ce sont 9 nouvelles qui s’entremêlent, de manière non linéaire. Si elles sont toutes reliées, elles prennent plaisir à égarer le lecteur.ice, le questionnant sur le réel et l’imaginaire/la folie, notamment avec l’incursion du fantastique. Comment as-tu construit ces différents textes ? Avais-tu d’emblée en tête toutes les ficelles, ou t’es-tu toi aussi perdue dans Sainte Madeleine pour appréhender ces différentes facettes ?
Le château est effectivement un personnage central, probablement parce que je me suis inspirée d’un lieu réel, le château de Noisy, ou château Miranda, en Belgique. Je cherchais des inspirations visuelles quand je suis tombée sur un reportage photo incroyable sur cet ancien manoir abandonné, qui m’a fascinée. Certes, mon histoire se situe dans un manoir en excellent état, mais les images de la beauté en ruine me poussaient à imaginer ce qu’elle était, du temps de sa splendeur. C’était mon décor, ma Sainte Madeleine. Pour les adeptes d’urbex, le lieu a hélas été détruit il y a quelques années.
Concernant l’imbrication des différentes histoires, la réponse est très simple : je me suis laissée porter par les récits que les couloirs de Sainte-Madeleine me soufflaient à l’oreille. J’ai commencé ce recueil sans imaginer que les les nouvelles seraient reliées autrement que par le lieu, car l’idée de départ était d’utiliser le charme vénéneux d’un hôpital psychiatrique pour présenter des histoires grinçantes et effrayantes. Au fil de l’écriture, j’ai réalisé que certains personnages devaient apparaître dans plusieurs histoires, qu’il était même intéressant de les développer à travers plusieurs chapitres. J’ai alors mis toutes les nouvelles sur la table, et j’ai commencé mon travail d’architecte : déterminer l’ordre chronologique, les liens à ajouter, les informations à disséminer … Cela m’a permis d’écrire la dernière nouvelle, qui m’a longtemps échappée, en reprenant dans les 9 parties qui la composent les thèmes principaux des 9 chroniques. Une belle façon pour moi de boucler la boucle !
J’ai beaucoup aimé les contrastes et le double jeu que tu instaures à différents niveaux : le faste de ce manoir pour patients aisés, le visage du tortionnaire, et l’aspect surnaturel. L’ensemble se rattache à la médecine du XIXème siècle et ses pratiques douteuses, à la notion de folie tout comme à la sensibilité. Tu nous embarques à travers le point de vue de plusieurs personnages pour nous confronter à notre propre ambivalence. Sommes-nous des monstres qui nous ignorons d’après toi ?
Je ne pense pas que nous soyons des monstres, mais je suis convaincue que nous pouvons vite le devenir. Il m’apparaît très dangereux de qualifier un humain de monstrueux, lorsqu’il a commis un acte atroce. Utiliser ce terme, c’est une façon un peu rapide et un peu facile de mettre une énorme distance entre nous et cet autre, comme si une différence fondamentale nous séparait, garantissant que jamais nous ne pourrions commettre les mêmes crimes. Mais c’est précisément là que réside le danger ; l’être humain est capable du meilleur comme du pire, personne n’est destiné à devenir un criminel, pourtant certains le deviennent. Nous devons avoir conscience de la fragilité de cette frontière, pour mieux nous garder de la franchir. A se croire trop en sécurité, trop loin du danger, on n’y prête plus garde et la chute arrive d’autant plus facilement. Trop de gens s’estiment parfaitement irréprochables et se comportent pourtant avec un manque total d’humanité ! Le monstrueux sommeille en chacun de nous, nous devons l’accepter et le surveiller pour le garder sous contrôle, le déni serait la pire des erreurs.
De nombreuses thématiques parsèment tes Chroniques : enfant de la lune, dopplegänger, métamorphose, artiste maudit, notion de genre, identité humaine/animale, sorcière, image de la femme, la mort... Quels sont tes leitmotivs de prédilection ?
J’ai réalisé en cours d’écriture que les Chroniques avaient pris une tournure que je n’attendais pas : mes histoires racontaient plus l’injustice que l’horreur, la tristesse que la peur. Je voulais que le thème du double, de la dualité des êtres, soit omniprésent et décliné sous plusieurs formes, ce qui — j’espère ! — est bien le cas, mais le virage vers la mélancolie m’a surprise. J’ai pris conscience que je ne pourrais pas écrire un roman franchement gore ou très effrayant. Ça ne me ressemble pas, même si j’en lis avec beaucoup de plaisir !
Concernant l’identité de genre et l’image de la femme, il m’était difficile de passer sous silence les mœurs et les comportements de cette époque, qui comme les précédentes ne laissait personne faire un pas de côté sans un rappel brutal à l’ordre établi. La souffrance silencieuse m’interpelle et me touche, c’est tout naturellement qu’elle se retrouve au fil des pages des Chroniques.
Le manoir est une figure phare et adorée des amateurs de fantastique. Comment est né celui de Sainte Madeleine ?
Haha, je crois que j’ai répondu par avance à cette question ! Comme tu le vois, je n’ai pas lu les questions avant d’y répondre, pour te livrer des réponses assez spontanées !
De nombreuses références ponctuent également tes nouvelles : maléfice et soufre, rituel archaïque… Quelles sont tes inspirations les plus récurrentes ?
J’aime passionnément les classiques du fantastique, comme « Frankenstein », « L’étrange cas du Dr Jeckyll et de Mr Hyde », « Dracula », « le portrait de Dorian Gray »… Le roman gothique est clairement la référence principale de ce livre, mais comme tu l’as noté, j’y ai également inclus un peu de sorcellerie, qui est un domaine qui m’a toujours beaucoup intriguée et attirée. J’ai eu l’occasion de l’explorer lors de la rédaction des Chroniques et j’avais d’ailleurs envisagé une nouvelle qui en parlait plus en détail, mais cela ne fonctionnait pas. La petite sorcière en moi me susurre que le clair-obscur est préférable à la lumière, pour un tel sujet !
Au titre des inspirations, il faut également citer HP Lovecraft, à qui est dédiée la statue du bassin !
Approche psychologique balbutiante du XIXème siècle, plantes toxiques, hystérie féminine, sorcellerie versus science…, tu uses judicieusement de l’histoire d’époque, rendant d’autant plus dérangeants et anxiogènes tes textes. D’ailleurs, tu as inséré une annexe qui reprend les grandes lignes de ce contexte. As-tu effectué des recherches, des lectures particulières en ce sens ?
Oui, absolument. N’étant pas historienne ni médecin, il me fallait des informations fiables sur les pratiques de l’époque. J’avais — comme beaucoup de monde, je pense — une idée assez floue des sévices et des traitements dangereux qu’on infligeait alors aux patients, mais j’avais besoin de plus. Le hasard (qui fait parfois étrangement bien les choses) et mon père (qui lit plus que moi, et des choses bien plus sérieuses) m’ont apporté l’excellent ouvrage de Claude Quétel[1], « Histoire de la folie, de l’Antiquité à nos jours ». Ce livre est une véritable mine d’or, il est absolument passionnant, et j’y ai trouvé d’innombrables informations qui ont servi tant dans les Chroniques que dans les annexes.
Mais je ne garantis pas à mes lecteurs une vérité historique stricte sur chaque point abordé ; les besoins de l’histoire sont parfois passés avant la rigueur scientifique !
[1] Ancien directeur de recherches au CNRS, historien spécialiste de l’histoire de l’enfermement et de la psychiatrie.
Je trouve que la figure du chat passe-muraille ajoute une originalité en plus, le chat étant perçu comme sensible au surnaturel. Il fait donc office de pont entre le réel et l’imaginaire, mais ici il interroge également sur nos représentations : notre identité, la métamorphose… Comment considères-tu ce personnage ? Quelle est sa réelle symbolique à tes yeux ?
Le chat est effectivement un pont entre deux mondes, il est l’ambivalence même ! A la fois animal domestique et jamais vraiment apprivoisé, il agace ou fascine par son regard mystérieux et insondable.
Ce personnage est né assez tôt, lorsque j’ai écrit « confession », qui est inspirée d’une histoire vraie. C’est un récit assez simple, mais qui m’a fortement interpellée. Sans vraiment réussir à comprendre pourquoi, je savais qu’il fallait que j’en fasse une histoire. C’est d’ailleurs comme ça que la plupart des chroniques ont été écrites, avec une large part d’inconscient en roue libre !
Le chat passe-muraille est un personnage surnaturel à double titre, mais il intervient peu de façon directe. Il est essentiellement témoin, rarement vraiment acteur. Et même lorsqu’il est au cœur d’une scène, il est surtout en réaction. Il n’a pas réellement conscience de lui-même, de sa situation, de son état. Il ne cherche pas non plus à savoir. Il représente une part d’innocence, que l’ignorance permet de conserver. Il est agité de sentiments qu’il ne comprend pas, mais qui le dirigent.
Difficile d’en dire plus sans dévoiler un élément capital de l’histoire, mais son lien avec le Directeur est un des plus grands mystères de Sainte Madeleine !
Peux-tu nous parler de tes inspirations du moment et de tes futurs projets pour conclure dignement cet entretien ?
Avec plaisir !
Après les Chroniques, j’ai cherché un autre sujet, mais j’étais vidée. Ma vie professionnelle et personnelle était de plus en plus chaotique, j’ai frôlé le burn-out. Pourtant je voulais retrouver un projet littéraire, précisément pour m’aider à avancer, à tenir bon quand le reste vacillait. Les Chroniques m’ont aidé à passer beaucoup de caps très difficiles. Il me fallait retrouver ce sentiment, cet équilibre.
J’ai repris les nombreux carnets d’idée qui s’empilent dans les tiroirs de mon bureau, j’ai écouté de la musique… Et je me suis souvenue d’une chanson que j’écoutais beaucoup lorsque j’étais étudiante (il y a donc… très longtemps !) et qui m’envoutait. Il s’agit d’Immersion, du groupe Perséphone. Je me suis plongée dans cette musique et dans ces mots, qui m’inspiraient depuis toujours, avec l’idée d’en faire une nouvelle.
Après quelques semaines de travail, j’avais un plan détaillé de 20 pages, et la nouvelle était oubliée au profit d’un (gros) roman ! Cette fois-ci, j’ai fonctionné comme une vraie architecte, avec beaucoup de travail en amont. J’espère mettre moins de 10 ans à le terminer !
Sans trop en dévoiler, l’histoire se déroulera à l’époque et sur les lieux de mon adolescence, et abordera des thèmes différents, le principal étant ce qu’on laisse derrière soi quand on grandit. Enfin, c’est ce qu’il me semble pour le moment, mais ce livre va peut-être me surprendre lui aussi !
Je pense prendre le temps d’écrire des nouvelles à côté de ce gros projet, pour changer de thèmes, explorer de nouveaux horizons. J’espère d’ailleurs pouvoir en faire publier quelques unes avant de finir mon roman en cours !