Saintclair HJ, Le Respir, Éditions du Chat Noir, collection F. nigripes, 31 août 2022

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Marcela Bolivar

illustration de couverture par Marcela Bolivar

4ème de couverture

Pierre Francillon est un lycéen suicidaire, persuadé d’avoir causé la mort de son professeur de lettres par la simple pensée. Traumatisé, il repousse toutefois l’instant où il mettra fin à ses jours lorsqu’il découvre que son remplaçant ne respire pas : mort et vivant à la fois. Obsédé par cette révélation, il développe une fascination morbide pour ce jeune enseignant. Alors que son entourage tente par tous les moyens de tempérer sa névrose, Pierre débute une enquête sur ce mystérieux personnage. Se construit alors une relation idolâtre avec la mort elle-même, entre attirance maladive et répulsion instinctive.

Avant-propos

Le premier texte de Saintclair HJ sort aujourd’hui. Il s’agit d’une novella, parue aux Éditions du Chat Noir. L’ayant précommandée, je l’ai reçue récemment et me suis calée un moment hier pour la lire. Si vous aimez les récits gothiques, le spleen qui fait vaciller l’esprit dans le monde de fantasme ambulant, cette lecture est pour vous !

Mots clefs

Novella – gothique – fantastique – spleen lycéen – thanatophilie – fantasme – cimetière – santé mentale – névrose – obsession – adoration – enquête – macabre – fascination macabre – suicidaire – amour interdit – mélancolie

Représentation

Personnage principal gay et muet

Personnages gothiques

Précision

Dans cette novella, il est bien question de thanatophilie et non de nécrophilie, la thanatophilie étant un amour ou une fascination de la mort et non des cadavres. Elle est considérée comme une névrose.

Édit du 05/09/22 : j'ai eu le plaisir de poser quelques questions à l'auteur :

Saintclair HJ, Le Respir, Éditions du Chat Noir, collection F. nigripes, 31 août 2022

Mon retour

« Je suis suicidaire, et mon professeur est un cadavre.

C’est sa mort étrangement animée qui me maintient en vie.

(…) Sans cette intrigante apparition, moi non plus, je ne respirerais plus. »

La superbe couverture de Marcela Bolivar, de même que le titre, le résumé et les premières lignes du Respir confirment nos attentes de passionnés de fantastique, de gothique et d’étrangetés. D’une prose littéraire qui rend hommage aux auteurs du XIXème, Saintclair HJ nous entraîne dans le fantasme de son narrateur, Pierre. Lycéen en classe de Terminale, ce jeune homme possède une âme gothique. Muet et solitaire, il aime la pluie et les cimetières, d’ailleurs il se promène régulièrement au Père Lachaise, en compagnie de sa seule amie, Claire. Mais Pierre est aussi suicidaire. Et alors qu’il pense avoir causé la mort de son professeur de littérature, l’apparition du remplaçant de ce dernier va repousser le suicide du lycéen. Car Pierre en est persuadé : M. Aubespin ne respire pas.

La nécrocité est un parc ; j'y flâne. J'y flâne et je m'attache, oui. Le temps s'enfuit entre les sépulcres enorgueillis d'architecture, de stèles dentelées, les êtres célestes abandonnés à l'éplorement, dans la perte de la dignité, dans la perte de soi, dans la perte tout court. Oui, j'y flâne, et aujourd'hui, j'y meurs.

Saintclair HJ, Le Respir, Éd. du Chat Noir, 2022

Comment peut-il en être autrement ? De sa peau livide, à sa maigreur, en passant par ses lèvres cyanosées, le plus marquant pour Pierre est sans conteste son torse qui ne se soulève pas au rythme respiratoire. M. Aubespin est un mort vivant, cela ne fait aucun doute ! Pour prouver ce fait à Claire, Pierre décide qu’ils enquêtent tous deux. Des archives à un ouvrage vandalisé intitulé Le Respir, nos deux amis vont se frotter à un étrange groupe lors d’une cérémonie à minuit dans un cimetière. Leurs découvertes ne rendent que plus fébrile Pierre, tandis que Claire tente de le tempérer. Jusqu’à ce que son amie attrape un mal étrange, la clouant au lit ; la fascination de Pierre pour son professeur devient une obsession, il prône une adoration à M. Aubespin.

L'homme est une nature aussi délicate que la fleur, une existence dans l'écrin de mille vies : fleur puis homme, homme puis fleur.

Saintclair HJ, Le Respir, Éd. du Chat Noir, 2022

Pierre sait que son professeur est un respir, homme qui ne respire plus mais qui demeure vivant. Sa macabre fascination tend à un amour interdit. Toutefois, n’est-il pas lui-même différent ? Il vénère la mort comme une civilisation autre que l’humanité ; et si M. Aubespin le reconnaissait ? Son professeur matérialise son plus profond fantasme, et Pierre rêve de noyade, de cimetière, de métaphore du corps en tombe. On imagine aisément le narrateur vêtu de noir, les yeux maquillés d’ébène, à lire Baudelaire et Rimbaud, à flâner dans les cimetières. Après tout, son quotidien est gris et pluvieux : gris comme le ciel et les tombes, aqueux pour la pluie et le fleuve de la noyade.

La caractéristique principale des respirs est l'infinie tristesse.
(Le Respir, Maxime Aubespin, 1917)

Saintclair HJ, Le Respir, Éd. du Chat Noir, 2022

Entraînés dans cette atmosphère gothique, par la fascination de Pierre, à la fois macabre et pieuse, nous sommes happés dans ce texte empli de spleen. Cimetières, catacombes, âme gothique etc, l’univers écrit par Saintclair HJ est fortement empreint de mysticisme et d’un relent d’ésotérisme. Bien que le récit se déroule à Paris, à notre époque (automne-hiver 2019-2020), la prose et les thématiques nous plongent dans un XIXème siècle victorien. C’est évidemment tout ce qui m’a attirée à ce livre ; je possède un amour profondément ancré pour le fantastique classique, pour les esprits névrosés aux pensées et fantasmes étranges qui vacillent dans le mysticisme, le surnaturel. Et je n’ai pas été déçue !

Je ne souffrirais pas si j'étais votre hôte, et je veux vivre dans le faîte de la croix qui orne votre sépulture. Je veux entendre toutes les nuits le conte de votre mort et la perte de votre respir. Faites-moi écouter le goût salé de la noyade (...). (...) tombons ensemble dans les immensités silencieuses où se reflètent les comètes de vos yeux tristes.

Saintclair HJ, Le Respir, Éd. du Chat Noir, 2022

En bref : Pierre est fasciné par son professeur de littérature qui ne respire pas. Enquêtant avec son amie Claire, ils pénètrent un peu plus dans le Paris mystique, avec ses cimetières (le Père Lachaise notamment) et cette étrange cérémonie à laquelle ils participeront. Tandis que Claire tente de lui faire entendre raison, Pierre s’obstine et développe une obsédante fascination pour son professeur, car n’est-ce pas son fantasme le plus profond qui prend vie ? Le Respir tient toutes ses promesses ! Il ne pourra que ravir les âmes gothiques éprises des atmosphères grises et aqueuses des cimetières sous la pluie.

Saintclair HJ, Le Respir, Éditions du Chat Noir, collection F. nigripes, 31 août 2022

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Publié dans chronique personnelle

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