Sue Rainsford, Jusque dans la terre, Éditions Aux Forges de Vulcain, Collection Fictif, 26 août 2022

Publié le par Maude Elyther

couverture par Elena Vieillard

couverture par Elena Vieillard

4ème de couverture

Ada vit avec son père dans une clairière, en bordure d’une forêt, non loin de la ville. Ils passent leur temps à soigner les habitants qui leur confient leurs maux et leurs corps, malgré la frayeur que ces deux êtres sauvages leur inspirent parfois. Un jour, Ada s’éprend de Samson, un de ces habitants. Cette passion, bien vite, suscite le dépit voire la colère du père de la jeune fille et de certains villageois. L’adolescente se retrouve déchirée par un conflit de loyauté entre son héritage vénéneux et cet élan destructeur qui l’emmène loin de tout ce qu’elle a connu.

Roman lyrique, inquiétant, roman de l’émancipation autant que roman du désir souverain, Jusque dans la terre a été salué comme la naissance d’une romancière à l’imagination terrifiante, peuplée de sorcières et de monstres.

(Traduit de l’anglais – Irlande – par Francis Guévremont)

Avant-propos

Je remercie chaleureusement les Éditions Aux Forges de Vulcain et leur éditeur David Meulemans pour avoir accepté de me faire parvenir les épreuves non corrigées de Jusque dans la terre, roman qui m’a fascinée dès que j’ai découvert son existence !

Je vous en dis plus ci-dessous 😉

Mots clefs

Littérature générale – réalisme magique – conte – viscéral – organique – étrange – sorcières – body horror – monstruosités – folk horror – guérisseurs – lyrique – métaphores – métamorphoses – désir féminin – émancipation – premier amour – premier roman

Sue Rainsford, Jusque dans la terre, Éditions Aux Forges de Vulcain, Collection Fictif, 26 août 2022

Mon retour

Avec ces épreuves non corrigées de Jusque dans la terre qui vient de paraître, je découvre une nouvelle autrice que je vais suivre ! Sue Rainsford est une jeune irlandaise qui signe ici son premier roman. Et quel premier roman ! Récit de littérature générale, Jusque dans la terre instaure une touche de réalisme magique inquiétant, étrange, gouverné par le body et le folk horror mâtinés de métaphores et de métamorphoses viscérales, végétales-organiques.

Sue Rainsford nous introduit dans son univers par le biais de deux personnages, un père et sa fille. Cette dernière, Ada, est la narratrice. Elle conte son quotidien sous la chaleur et la moiteur interminables de l’été, les soins que son père et elle prodiguent aux gens du village. Eux deux vivent à l’écart, car ils ne sont pas réellement humains ; on les murmure sorciers. Les personnes qu’ils soignent, les « cures », oscillent entre confiance à leur égard ou méfiance. Après tout, ils les ouvrent et mettent les mains dans leur corps pour extraire maux et maladies, et parfois, ils les enterrent. La terre de leur jardin est spéciale : elle « répare ».

Ada et son père possèdent un lien organique à cette terre ; visiblement, ils en sont nés. Elle incarne de ce fait une matrice, une entité quasi sacrée, dotée d’une conscience, d’une volonté. Le père l’a en quelque sorte domptée, lui seul peut creuser et remonter les cures qui y ont séjourné. Ada n’a pas encore atteint cette maîtrise en tant que guérisseuse. Elle assiste son père ou œuvre en sa présence.

Pour autant, cet équilibre va être perturbé par l’arrivée de Samson dans la vie d'Ada. Car ce premier amour va faire éclore en elle un désir féroce, ainsi que celui de l’émancipation. Elle cache cette relation à son père, qui est contre. Samson n’a pas peur d’elle, il ne la repousse pas à cause de son apparence enfantine, de son corps différent. Ils se voient donc en cachette, se rendant souvent au lac de Sœur-Anguille, une figure folklorique. Malgré tout, son désir de Samson est si grand qu’Ada pense souvent à ouvrir son corps, toucher ses organes sains… Et voilà qu’une histoire familiale trouble concernant son amant lui parvient, et que son père découvre leur relation. Ada ne peut pas vivre éloignée de la terre mystique et elle ne veut pas vivre sans Samson. Mais elle a un plan.

La narratrice narre ainsi son quotidien, cette routine bien installée de recevoir les cures, de les soigner. Puis, ce schéma répétitif se voit altéré par ses rendez-vous avec Samson, par son désir charnel et celui d’émancipation. Ada change, et cela se ressent dans son travail de guérisseuse, par son rapport aux cures qu’ils reçoivent. C’est un grain de sable qui vient enrailler la machinerie bien huilée de l’existence de la fille et de son père.

L’ambiance de ce récit est complètement envoûtante, nous sommes pris par l’étrangeté de l’univers, par les transcriptions viscérales et organiques. Sue Rainsford fait remonter le caractère primitif, animal, mais aussi vénéneux d'Ada et de son père, qui ne sont pas humains. Ils viennent de la terre, chantent pour endormir les cures afin de les ouvrir, sans instruments, pour plonger les mains en eux et leur extraire le mal qui les habite. Malgré le côté dérangeant, les métaphores végétales, la façon d'Ada et de son père de percevoir maux et maladies, font que nous ne tombons pas dans le dégoût ; entre fascination macabre et concept divergent du nôtre à propos du mal.

Le récit présente une structure particulière : divisé en quatre parties asymétriques en nombre de pages. Pour moi, ce découpage fait office d’un schéma de conte : l’introduction, la situation initiale, les perturbations et la résolution. En sus, de petits paragraphes font office de témoignages de cures à propos d'Ada et de son père. De ce fait, malgré la narration intime, l’autrice propose quelques ouvertures extérieures, ce qui permet aux lecteurices d’avoir une vision plus large sur l’histoire. Celle-ci se déroule d’ailleurs dans une temporalité inconnue, bien que les voitures existent, que les villageois travaillent en général aux champs et que l’on comprenne rapidement que le milieu voit d’un mauvais œil l’émancipation féminine.

Sue Rainsford, Jusque dans la terre, Éditions Aux Forges de Vulcain, Collection Fictif, 26 août 2022

En bref : Un conte monstrueux d’un nouveau genre ! Jusque dans la terre, premier roman de l’autrice irlandaise Sue Rainsford, offre un récit court, envoûtant et monstrueux à la fois. Il narre le désir féminin féroce d’un premier amour, le désir de l’émancipation pour un personnage non humain, une « sorcière ». Sous fond de body et de folk horror, l’autrice retranscrit un univers visuel et métaphorique inoubliable, accompagné d’une plume implacable, poétique, qui entraîne les lecteurices sur des sentiers mystiques et primitifs riches en symboles.

Même si elle ne s'attribue pas encore ce mérite, Sue Rainsford est, à n'en pas douter, une créatrice de mythologie alternative (cf vidéo en-dessous). Une autrice à suivre, et cela tombe bien car les Éditions Aux Forges de Vulcain travaillent à la traduction de son second roman (source) !

Sue Rainsford par Ali Rainsford

Sue Rainsford par Ali Rainsford

Au-delà du roman :

Sue Rainsford a été invitée par les Éditions Aux Forges de Vulcain au printemps de cette année, l'occasion de faire une vidéo pour présenter Jusque dans la terre à travers quelques questions :

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Z
Ah, ce roman j'ai commencé à le voir passer ici et là sur les réseaux, et il m'interpellait.<br /> Je suis contente d'en lire ta chronique, qui confirme mon attirance pour ce livre. Beaucoup de thématiques qui se rapprochent aussi des tiennes, en tout cas je vois pourquoi tu l'as tant aimé.<br /> J'aime bcp les textes de réalisme magique, alors je vais me le noter pour me le procurer.
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M
Merci pour ton commentaire ! :)<br /> C'est vrai qu'on le voit pas mal passer celui-ci, et j'espère qu'il touchera ses lecteurices.<br /> Il y a effectivement plusieurs thématiques qui me sont chères et que je traite dans mes écrits, même si différemment. En tout cas, on peut ajouter la dévoration, que je n'ai pas clairement évoquée dans mon retour.<br /> Pour le réalisme magique, j'apprécie beaucoup aussi, et ici, la façon dont il est usité est très intéressante dans le sens où nous ne sommes pas confrontés à de la fantasy ou du fantastique : à creuser héhé !<br /> J'espère qu'il te plaira quand tu le liras :-)