Gauthier Guillemin, La fin des étiages (Rivages tome 2), Éditions Albin Michel Imaginaire, 1er juillet 2020

Publié le par Maude Elyther

illustration par Aurélien Police

illustration par Aurélien Police

4ème de couverture

On l’appelle le Voyageur. Il a quitté le village de son épouse, Sylve, pour honorer une dette ancienne, pour retrouver les mers et les océans depuis trop longtemps perdus. Et il a disparu.

A-t-il été capturé ou tué par les Fomoires, s’est-il égaré, continue-t-il son voyage vers les rivages ? Au village, nul ne le sait.

Neuf mois après le départ de l’homme qu’elle aime, trop inquiète pour rester sans rien faire, Sylve décide de partir à sa recherche, d’affronter une forêt où les merveilles se disputent aux dangers.

Gauthier Guillemin est directeur adjoint de collège depuis qu’il a posé ses valises. Dans La Fin des étiages, qui fait suite à son premier roman Rivages, il nous emmène encore plus profondément dans le Dômaine et nous fait découvrir la capitale des Nardenyllais. Là, commence à réapparaître une technologie qu’il aurait sans doute mieux valu laisser dans l'oubli.

Avant-propos

Avant tout, je remercie Gilles Dumay des Éditions Albin Michel Imaginaire pour l’envoi de la duologie de Gauthier Guillemin en service de presse, merci pour votre confiance !

La fin des étiages clôt la duologie de Gauthier Guillemin, commencée avec Rivages. Le premier opus nous avait laissés dans une atmosphère de conte entre onirisme et nature, avec un souffle mystique pour les dernières pages avec le Voyageur au bord de l’épuisement. Néanmoins, il demeurait plusieurs aspects amenant à cette suite ; la présence des Fomoires, la parole de Zeneth qui a promis de ne plus lever de tribut sur le village des Ondins…

Ce tome annonce une ambiance très différente du premier, apportant plus franchement une dimension de fantasy, même si le Dômaine reste inextricablement lié aux personnages.

Mots clefs

Fantasy – fantasy post-apocalyptique – fantasy épique – mythes – civilisations – voyages – forêt – magie – artefacts – légendes – racines – ancêtres – paysages – impermanence – évolution – savoirs – philosophie – poésie – ondins – fomoires – méduses – communauté – exil – passé – quête – correspondances – symboles – machineries – alchimie – conquête – contre nature

Gauthier Guillemin, La fin des étiages (Rivages tome 2), Éditions Albin Michel Imaginaire, 1er juillet 2020

Introduction : retour sur Rivages

Pour son premier roman, Gauthier Guillemin nous propose une œuvre inclassable, un conte onirique, une respiration sur le voyage teinté de réalisme magique et de mythologies. Nous suivons le Voyageur, qui quitte la Cité, ville-vampire et polluée, pour le Dômaine, ce territoire-prédateur pour les êtres humains, la Nature ayant repris ses droits. Mais plutôt que se faire dévorer, le protagoniste va se découvrir un don et poser bagages dans la ville des Ondins. Ce peuple se prétend descendant de la déesse Dana. Mythologies et nature tissent un réalisme magique enveloppant, mais attisent sans cesse la curiosité du Voyageur qui s’intéresse particulièrement à la mer, berceau des origines des Ondins. Existe-t-elle toujours ?

Mon retour

Le point de vue s’élargit et se multiplie

Avec La fin des étiages, Gauthier Guillemin élargit l’horizon du Dômaine que nous avions dans le précédent opus. Nous allons en savoir plus sur les Fomoires, les antagonistes jurés des Ondins, visiter la capitale des Nardenyllais, peuple humain de souche commerciale mais riche par le savoir. Ainsi, le point de vue se multiplie : les Fomoires, Sylve, Quentil… Les Fomoires ont découvert d’étranges mégalithes et autres tumulus, un moyen de voyager qui n’est pas sans rappeler celui du Voyageur (d’abord les arbres puis des artefacts). Quant à Sylve, elle décide de bouger alors que cela fait neuf mois que son mari est parti pour la quête de Zeneth. De son côté, Quentil voyage, le voilà à Nar-î-Nadin, la capitale des Nardenyllais. Ces trois mouvements sont reliés et vont s’engrener comme les rouages d’une machinerie.

Il est appréciable dans ce tome d’en apprendre davantage sur les Fomoires, qui n’étaient que simples antagonistes précédemment. Au final, ils sont semblables aux Ondins, forcés à l’exil, eux qui ne sont pas faits pour le sédentarisme. Mais le côté multiple ne s’arrête pas : via Sylve, nous sommes témoin de plus de magie. Là où cela s’apparentait davantage au réalisme magique dans Rivages, la fantasy se révèle : le lien que Sylve entretient avec les élémentaires, sa capacité à se plonger en transe ; l’on voit les dragons des chevaucheuses ondines. À cela, s’ajoutent un versant alchimique, avec les machineries et les sombres inventions orchestrées par Zeneth à Nar-î-Nadin. Un souffle épique s’instaure même car tous ces peuples veulent retrouver la mer, et affrontement il y aura.

La fin de l’immobilisme

Après le Voyageur qui est parti en quête de la mer, c’est au tour de Sylve et de Quentil de sortir de l’immobilisme imposé par la sédentarité au village des Ondins. Sylve marque clairement cette cassure en mettant au pied du mur le Conseil qui ne prend pas position et cache même des informations. Sylve va partir et emmener tous ceux qui le souhaitent, ce qui divise le village, certains étant trop attachés désormais à la Forêt.

De son côté, Quentil a des airs du Voyageur à découvrir Nar-î-Nadin : tout l’émerveille. Seulement, au fur et à mesure, il va se rendre compte des détails dans lesquels se cachent les projets contre nature de Zeneth. À l’image des humains, ce dernier veut posséder ; son projet est de conquérir, se dressant face à la nature, pour établir son emprise sur les rivages. Le vœu qu’il caresse, et dont on se doutait via sa rencontre avec le Voyageur, réside bien là. Il en est même allé jusqu’à s’allier avec un peuple oublié, un peuple qui tient une haine séculaire aux Ondins qui les auraient autrefois chassés. Une sombre machine est ainsi élaborée, une aberration. Pour faire face à cette menace, les Ondins et les Fomoires vont s’allier.

Rivages évoquait les mythes et archétypes qu’induisait la perte des traces du passé. Au village des Ondins, les archives contiennent des textes seulement accessibles aux membres du Conseil, de même, l’on se rendra compte que certains faits, portant de l’ombre aux Ondins, ne figurent pas dans les mémoires. Aussi, initié par le Voyageur dans le premier opus, tout se met en branle.

Place à la fantasy !

Vous l’aurez compris, ce tome est différent de son prédécesseur, qui était plus contemplatif. Pour autant, l’auteur conserve sa plume poétique, par moment onirique, celle-ci s’adapte aux machineries de Zeneth comme à un récit épique en fin d’ouvrage. Une fois de plus, les Ondins défendent la Nature, face aux Nardenyllais cette fois. Zeneth veut conquérir plus de territoires, massacrant la nature et sa faune pour se faire ; ce qui est loin de l’harmonie que les Ondins recherchent avec le Dômaine.

Si le premier opus interrogeait quant au genre littéraire, ici Gauthier Guillemin affirme une fantasy qui demeurait de l’ordre du réalisme magique. Plusieurs peuples dotés de magie, quelques dragons, un bestiaire ténu mais évoqué voire mis en scène comme avec les drées, une bataille épique… L’alchimie et la sombre technicité du peuple oublié avec lequel s’est allié Zeneth ajoute une dimension quelque peu monstrueuse, égale au désir de Zeneth de conquérir, de vouloir dominer la nature. D’ailleurs, cela n’est pas sans rappeler notre réalité, la condamnation de la nature pour élargir les territoires humains, la cassure de l’harmonie qui autrefois existait.

Dans cette continuité, résonne l’exil des peuples, qui ne trouvent plus les rivages desquels sont venus leurs ancêtres. Ils ont tissé des liens avec le Dômaine, cette forêt dangereuse qui refuse de se faire décimer. Ils rêvent de leurs origines, fantasment de retrouver la mer, las et en perdition de leur identité face à la sédentarité confortable pour les Ondins, frustrés de connaître par cœur le Dômaine et aspirant à découvrir d’autres horizons pour les Fomoires, nomades. La fin des étiages, c’est un peu comme la Nature, ayant trouvé des alliés avec les Ondins et les Fomoires, contre la mégalomanie humaine qui est de détruire, polluer et conquérir, d’assujettir. Dans la verve du Seigneur des Anneaux, une bataille épique, nature et magie contre les monstres d’acier à vapeur de Zeneth et du peuple ennemi, va éclater.

Retour à la source

Les jeux de miroir, que j’évoquais dans ma chronique concernant le 1er opus, débouchent dans cette conclusion sur la magie séculaire des seuils, l’ensemble des mégalithes et autres tumulus. Mais également par un retour au berceau, qui confère une nouvelle frontière aux territoires. Tandis qu’une grande partie des habitants du village des Ondins part s’installer au bord des rivages, d’autres demeurent au village ; de même que si la plupart des Fomoires projettent de bâtir des bateaux pour découvrir la mer et d’autres terres, certains restent pour garder la frontière.

La magie séculaire des grosses pierres est parfois vertigineuse, notamment avec son don d’iniquité, mais elle relie à présent, permet de voyager, de se retrouver, de renouer, quelque part, avec le passé, l’identité des peuples, de découvrir des bribes de passé oubliées, comme l’alliance des Ondins et des Fomoires, qui se répète aujourd’hui. Ainsi, c’est un renouveau que répand la conclusion de la duologie de Gauthier Guillemin, un nouveau souffle, un élan vers l’avant pour renouer avec ses racines, son identité, tant en tant que peuple qu’en tant qu’individu.

Gauthier Guillemin, La fin des étiages (Rivages tome 2), Éditions Albin Michel Imaginaire, 1er juillet 2020

En bref : concluant la duologie amorcée avec Rivages, La fin des étiages apporte le complément attendu, notamment quant à la quête d’identité des Ondins, leurs liens avec les autres peuples, le réseau de magie séculaire. Rompant avec le réalisme magique de son prédécesseur, ce tome amène franchement une atmosphère de fantasy, magie et machineries alchimiques se côtoient, dans toute cette dualité entre l’harmonie et la conquête destructrice. C’est la fin de l’immobilisme, le retour à la source, le moment de voir plus loin, de forger de nouvelles alliances, et de se battre.

Pour moi, ce tome était nécessaire pour poursuivre et conclure les graines disséminées par le Voyageur dans Rivages. Si pour moi cette lecture prêche une convertie, j’espère que ce genre de romans amènera l’impulsion à protéger la Nature, à la voir comme une amie, et non une entité à dominer, contrôler.

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