Becky Chambers, Histoires de moine et de robot - Tome 1 : Un psaume pour les recyclés sauvages, Éditions Atalante, collection La Dentelle du Cygne, 15 septembre 2022

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Feifei Ruan

illustration de couverture par Feifei Ruan

4ème de couverture

Voilà des siècles, les robots de Panga ont accédé à la conscience et lâché leurs outils ; voilà des siècles, ils sont partis ensemble dans la forêt, et nul ne les a jamais revus ; voilà des siècles qu’ils se sont fondus dans les mythes de l’humanité.

Un jour, la vie de Dex, moine de thé, est bouleversée par l’arrivée d’un robot qui, fidèle à une très vieille promesse, vient prendre des nouvelles. Il a une question à poser, et ne rejoindra les siens qu’une fois satisfait de la réponse. La question : « De quoi les gens ont-ils besoin ? »

Mais la réponse dépend de la personne à qui on parle et de comment on pose la question. La nouvelle série de Becky Chambers s’interroge : Dans un monde où les gens ne manquent de rien, à quoi sert d’avoir toujours plus ?

Traduit de l’anglais par Marie Surgers.

« La vision optimiste d’un monde fertile et beau qui s’est reconstruit après avoir frôlé la catastrophe. L’explorer aux côtés des deux personnages principaux est une expérience fascinante et délicieuse. » Martha Wells

Avant-propos

Tout comme L’impératrice du Sel et de la Fortune, j’avais vu souvent passer Un Psaume pour les recyclés sauvages, le premier opus des Histoires de moine et de robot de Becky Chambers. Celui-ci, du haut de son titre et de sa couverture poétiques, promettait une douce escapade dans un univers de science-fiction bienveillant proche de la nature.

C’est pile ce dont j’avais besoin pour un week-end, aussi, accompagnée d’un oolong fleuri, j’ai fait la connaissance de Frœur Dex et d’Omphale Tachetée Splendide.

Maintenant, il va me falloir tous les autres romans de l’autrice !

Mots clefs

Science-fiction – science-fiction positive solarpunk – feel good – novella – bienveillance – douceur – thé – cérémonie du thé – robot – nature – rapport à la nature – voyage – épanouissement – lgbtqia – conscience – impermanence – spiritualité – utopie – dépression – philosophie – conte philosophique – religion – culture – choc des cultures – écologie – société – retour à la nature

Représentation

PP non-binaire

PP dépressif

Écriture inclusive

Becky Chambers, Histoires de moine et de robot - Tome 1 : Un psaume pour les recyclés sauvages, Éditions Atalante, collection La Dentelle du Cygne, 15 septembre 2022

Mon retour

« — (…) exister dans le monde et l’admirer, ça suffit. Tu n’as pas besoin de justifier ni de mériter ton existence. Tu as le droit de te laisser vivre. »

Science-fiction positive

Becky Chambers nous propose une novella de science-fiction positive, du solarpunk si vous êtes à l’aise avec les sous-genres. Une science-fiction positive, à quoi ça ressemble ? Dans le cadre d’Histoires de moine et de robot, l’autrice place son décors sur Panga, une autre planète que la nôtre. La société et l’industrie étaient comme les nôtres, sauf qu’il y a eu un fait particulier qui a déclenché un déclic à l’espèce humaine : les robots ont acquis une conscience et ont décidé de partir dans la nature.

Quelques siècles plus tard, les êtres humains vivent très différemment, le plus respectueusement possible vis-à-vis de la nature. Sur Panga, il n’existe qu’une ville, ensuite ce sont des villages ; une partie du territoire est vierge de toute présence humaine. La technologie, l’architecture, les matériaux (de construction comme les fibres pour les vêtements) sont au service de l’écologie, du compostage. C’est une douce vision utopique que propose Becky Chambers.

— Mais… on parle d’immortalité, là. Comment est-ce que ça peut être moins désirable ?
— Parce que rien d’autre dans l’univers ne fonctionne ainsi. Tout se casse et d’intègre à d’autres choses. Toi, tu es un assemblage de molécules qui se sont formées dans une quantité astronomique d’autre organismes. Chaque jour, pour maintenir ton intégrité physique, tu manges des créatures mortes par dizaines. Et quand tu mourras, les bactéries, les insectes, les vers à leur tour viendront te réduire en petits morceaux. Et ainsi de suite. Quant à nous, nous ne sommes pas des créatures naturelles, nous en avons bien conscience. Mais, comme tout ce qui existe, nous sommes soumis aux lois des dieux-parents. Comment continuerions-nous à étudier le monde si nous n’en respections pas le cycle fondamental ?

Becky Chambers, Un psaume pour les recyclés sauvages, Éditions Atalante, 2022

Reconversion

Frœur Dex qui travaille dans la ville a besoin d’autre chose, iel décide de se reconvertir, devenant moine de thé. Dex est désormais équipé.e d’une roulotte à étage, qu’iel déplace en vélo ; il s’agit de son foyer en même temps que de l’officine de son commerce nomade. Sa première expérience lea fait déchanter, mais iel pousse plus loin son chemin, quittant la ville pour les villages. Là, iel s’établit un temps pour faire pousser, entretenir, faire sécher ses plantes et en apprendre toutes les vertus, prenant soin à élaborer des mélanges originaux.

En tant que moine de thé, frœur Dex est sans cesse en mouvement, iel possède un itinéraire, changeant tous les jours de villages. Sa renommée lea précède : iel est attendu.e par les villageois, est invité.e à des fêtes ou repas. L’art d’un moine de thé est d’accueillir les personnes en souffrance (stress, insomnie…), celles-ci énoncent leurs maux, leurs difficultés, et le moine leur concocte une infusion spécifique, les invitant à s’installer sur des piles de coussins pour profiter d’un moment à eux, pour lâcher prise.

Quand on a grandi dans les infrastructures humaines, il est difficile d’intégrer le fait qu’on voit le monde à l’envers. Même si on sait pertinemment qu’on vit dans un monde naturel qui existait avant et perdurera bien après nous, même si on sait que la nature est l’état naturel du monde, qu’elle n’existe pas seulement dans des enclaves bien entretenues, que la nature n’est pas ce qui se développe dans les secteurs délaissés par les humains ; même si on se croit en harmonie avec le flux et le reflux, le cycle, l’écosystème brut, on a du mal à imaginer un monde intact. On a du mal à concevoir que les constructions humaines sont conquises sur la nature, qu’elles s’y superposent, que les lieux humains existent dans les interstices de la nature et non l’inverse.

Becky Chambers, Un psaume pour les recyclés sauvages, Éditions Atalante, 2022

Le chant des grillons

Dex adore son métier, le fait d’être en campagne et non plus en ville, de rencontrer des personnes. Iel apprécie que ses compétences soient véritablement utiles. Pourtant, iel n’ose pas aller voir sa famille, et si parfois un amant lea rejoint dans sa roulotte, iel mène une vie solitaire. Cela ne semble pas réellement l’affecter. Mais à un moment, iel se rend compte qu’après sa journée de travail, alors qu’il est temps pour lea de cuisiner, de retrouver le confort de sa chambre, un sentiment de vide lea submerge. La nourriture a moins de saveur, se retrouver dans son nid ne lui inspire que vide.

En ville, Dex avait eu l’occasion d’écouter un ancien enregistrement : pour la première fois, iel avait entendu des grillons. Iel s’était rendu compte que même si son espèce avait radicalement changé pour respecter la nature, ce n’est pas pour autant que leur terre grouille d’animaux. Iel pensait voir des grillons dans la campagne, mais non. Bien sûr, la nature est beaucoup plus présente qu’en ville. Pourtant, la même impulsion qui lea fait se reconvertir lea saisit à nouveau. Comme écrit sur sa liste de souhaits/rêves à réaliser dans cette vie, Dex veut voir, entendre des grillons pour de vrai. Alors iel décide de s’aventurer dans la forêt.

La Forêt

Contrairement à la ville et aux villages, la forêt est un territoire où ne s’aventurent plus les êtres humains. Elle a regagné son règne, bien que subsistent encore des reliefs humains, comme une route, des panneaux, les carcasses de quelques bâtiments. Il est recommandé de ne pas s’y engager pour sa propre sécurité autant que pour ne pas empiéter sur ces terres vierges. Si les humains vivent en harmonie avec la nature, il est intéressant de constater qu’il existe à la fois cet écart avec la forêt. Cette dernière semble contenir leurs peurs, incarnées par les animaux prédateurs l’arpentant dont parlent les histoires.

— (...) si je n’utilise pas mon temps pour en faire quelque chose, si je n’en profite pas à fond, alors j’aurai gaspillé une ressource précieuse. (...) Vous, vous avez choisi la mort. Vous n’y étiez pas obligés. Vous pourriez avoir la vie éternelle. Mais vous avez choisi l’impermanence. Les humains n’ont pas choisi, et nous passons notre vie à essayer de l’accepter.
— L’impermanence, je ne l’ai pas choisie. Ce sont les originaux qui ont pris cette décision, pas moi. J’ai dû m’adapter, tout comme toi.
— Alors… Alors comment peux-tu te résigner à ce que ta vie n’ait aucun sens ? »
Omphale hésita. « Parce que je sais que je suis merveilleux, quoi qu’il advienne. » il n’y avait aucune arrogance dans sa phrase, ni désinvolture ni vantardise. C’était une évidence, une vérité.

Becky Chambers, Un psaume pour les recyclés sauvages, Éditions Atalante, 2022

Choc des cultures

C’est sur le chemin qu’iel suit dans la forêt que Dex fait une rencontre inattendue. Iel pensait tomber nez à nez avec des animaux sauvages, des prédateurs… mais pas avec un robot. Car c’est bien un robot qui se présente à lea : Omphale Tachetée Splendide. Le moine de thé n’avait jamais vraiment réfléchi sur les robots ; des siècles après leur éveil à la conscience, personne ne savait expliquer ce phénomène, et toutes les divinités y passaient pour en être à l’origine. Autrefois, il y avait eu un accord entre les robots et les humains : les premiers étaient libres, ils avaient choisi de gagner la nature sauvage. Avec le temps, les robots étaient par la suite devenus pour ainsi dire une légende. D’ailleurs, était-il pensable qu’après plusieurs siècles, ils soient toujours vivants ?

Omphale se présente à Dex car il s’est porté volontaire pour aller prendre des nouvelles des humains. Le moine de thé ne se sent pas du tout être la personne la plus indiquée pour répondre aux attentes du robot, seulement, Omphale insiste pour rester auprès d’iel, quitte à l’accompagner dans son voyage en forêt avant d’aller sur les territoires humains.

Dans un premier temps, notre moine de thé est réticent.e, car il se sentait libre sur ce nouveau chemin qu’iel empruntait. Pourtant, la présence d’Omphale et sa requête, à savoir « de quoi les hommes ont-ils vraiment besoin ? », vont l’accompagner autant physiquement que dans son cheminement intérieur. Car Dex est dépressif.ve ; iel a tout ce qu’il faut pour être heureux.se, mais il ne va pas bien. Aussi c’est tout un conte philosophique que tisse Becky Chambers, un choc de deux cultures via son attachant duo Dex/Omphale.

— Je suis à bout. Sans que je sache pourquoi, mon travail a cessé de me combler. J’en avais tellement marre que j’ai pris une décision idiote et dangereuse et, maintenant que j’en ai fait le tour, je ne sais pas où diriger ma vie. Je ne sais pas ce que j’espérais trouver ici, parce que je ne sais pas ce que je cherche. Je ne peux pas rester, mais j’ai peur de rentrer pour retrouver ce sentiment d’insatisfaction. J’ai peur. Je ne sais pas où j’en suis et je ne sais pas quoi faire.

Becky Chambers, Un psaume pour les recyclés sauvages, Éditions Atalante, 2022

Pour souffler

L’autrice a dédié cette novella à nous qui avons besoin de souffler. À travers son récit de science-fiction solaire, Becky Chambers offre une dimension douce et bienveillante. Comme beaucoup, après avoir lu Un psaume pour les recyclés sauvages, j’aimerais devenir moine de thé ! Pourtant, Dex est un personnage dépressif, et je me reconnais dans ses hauts et ses bas. Ça m’a fait mal aussi, de lea voir tomber dans le noir alors qu’iel s’était épanoui en tant que moine de thé. Revenir à l’essentiel, c’est ce que prône Omphale, se vouer à l’impermanence, au cycle de la vie, car la notion de « sens » ou encore de « but » est une conception humaine qui nous empêche de réellement vivre, et par vivre je veux dire nous épanouir.

Nous avons à apprendre de la nature, toujours, elle était notre foyer autrefois, nous vivions en harmonie avec elle. Aujourd’hui, nous la détruisons. Est-il encore temps, comme dans l’Histoire de Panga, de stopper cet engrenage infernal ? Comme vous le voyez, malgré une approche feel good, l’autrice parvient à transcrire des sujets essentiels (dépression, écologie) dans son conte philosophique. Celui-ci propose moultes réflexions, notamment via le duo Dex/Omphale : sensibilité, vestiges, beautés de la nature, impermanence, mais aussi spiritualité, épanouissement personnel, empathie… Tout ce qui compose l’essentiel en somme, ce qui nous aligne.

Becky Chambers, Histoires de moine et de robot - Tome 1 : Un psaume pour les recyclés sauvages, Éditions Atalante, collection La Dentelle du Cygne, 15 septembre 2022

En bref : Becky Chambers nous offre une novella pour souffler, un conte philosophique sous la forme d’un récit de science-fiction solaire (solarpunk). De quoi avons-nous réellement besoin pour nous épanouir, être heureux ? C’est la question que pose Omphale, robot sorti de la forêt sauvage, à Dex, moine de thé dépressif.ve. Choc des cultures garanti pour cet attachant et touchant duo.

Un psaume pour les recyclés sauvages est à savourer avec un bon thé, pour revenir à l’essentiel, souffler, retrouver une facette émerveillée et positive, (r)ouvrir les yeux sur la nature qui nous entoure et que nous devons préserver, respecter comme il se doit.

Le tome 2 est disponible ! (https://www.l-atalante.com/catalogue/la-dentelle-du-cygne/une-priere-pour-les-cimes-timides-9791036001291/)

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Publié dans chronique personnelle

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