Le Dévoreur de Rêves
« (…) je sais qu’il y a des recoins secrets, dans l’âme, un monde secret, et
chaotique, où tout existe ; un monde qui ne se dit pas, et qui ferait exploser
notre cervelle s’il se dévoilait à notre entendement. »
Vincent Tassy, Apostasie, Ed. Du Chat Noir, 2016
« Là où est le monstre, là est aussi le possible trésor. »
Agata Kawa, à propos de sa série « La Part du Monstre », 2014
Après Ci-gît la mer, voilà qu'est né Le Dévoreur de Rêves.
Je disais que ce dernier ne se réclamerait pas une suite obligatoire à son prédécesseur, mais force est de constater qu'il a revendiqué cette filiation (et il solliciterait même un troisième et dernier frère ; mais c'est tout autre chose).
Donc me voilà avec cette nouvelle histoire. Des histoires dans les histoires, des personnages entre lumière et ténèbres, des relations fortes, avec son lot de chimères, d'onirico-fantastique qui est ici ponctué par la notion de cryptozoologie, brouillant la frontière entre le réel et les chimères.
Le terme de « Voyages Oniriques », instauré dans le premier opus, a conquis certains personnages qui puisent là leur énergie créative, qui y trouvent l'apaisement...ou qui pourraient s'interroger là sur la place du surnaturel dans la réalité, ou sur leur santé mentale.
Le Dévoreur interroge sur notre « part du monstre » (réf. Agata Kawa, plasticienne), et voit les rêves, l'inconscient, comme un langage intime, un flux énergétique.
C'est un voyage plus fouillé, plus onirique et chimérique, plus complexe aussi je pense (de part les différentes intrigues – qui finissent néanmoins par converger) que propose, après Ci-gît la mer, le Dévoreur de Rêves.
Bonus :
(…) je sais qu’il y a des recoins secrets, dans l’âme, un monde secret, et
chaotique, où tout existe ; un monde qui ne se dit pas, et qui ferait exploser
notre cervelle s’il se dévoilait à notre entendement.
Là où est le monstre, là est aussi le possible trésor.
Synopsis
Trois ans se sont écoulés depuis les révélations enfouies dans la cave du manoir des P. Christine, qui a enfermé les questions angoissantes et existentielles qui y étaient liées, mène un quotidien plutôt épanoui. Cependant que d'autres événements, de nouvelles personnes, font resurgir ses démons du passé.
Cette fois-ci, c'est au tour d'Alexandre Coupez, détective privé, de Raphaël Lazare, auteur aux écrits flirtant avec les Freaks contemporains, et d'autres, de se retrouver mêlés et imbriqués de façons différentes sur la piste d'un Cannibale. Cannibale qui a la fâcheuse tendance de se faire passer pour un animal sauvage, un chien errant, ou plutôt un loup. Un Loup-Garou.
Mais lorsque le terme de cryptozoologie s'en mêle, le chemin menant aux chimères diffère-t-il de celui de la réalité ? Usant de l'inconscient, un monstre attend son heure, et il n'est pas sans rappeler les sacrifices perpétrés dans les sous-sols du manoir des P. …
Plus que jamais, les Voyages Oniriques entraînent les rêveurs, les Voyageurs, sur des territoires chimériques ; encore faudra-t-il qu'ils en percent les métaphores.
Extraits
« L’horreur et l’étrange convoquaient un cocktail aux relents de fascination qui tendait à m’enivrer de façon malsaine. Ce cauchemar possédait un caractère séduisant et pourtant, je ne me résolvais pas à sombrer dedans. Les abysses desquelles la créature est ancrée représentent bien l’une de nos peurs archaïques que constitue le néant. Le vide. L’absence de pesanteur. Un univers cosmique dans lequel la dérive est éternelle. »
« Que ce monde lui donnait envie de hurler et de pleurer à la fois ! Toutes ces injustices, ces manipulations, ces lobotomies sociétales… Elle en avait honte, elle qui aspirait à la lumière, à l’éveil des consciences. Mais à présent tout avait basculé, elle ne reconnaissait pas cette femme qu’elle était devenue : comment avait-elle pu en arriver là ? Trahison, mensonge, marché de philtres, était-ce vraiment cela sa vie ? »
« Le silence qui avait remplacé les bruits dans son esprit l'insupportait. Elle n'arrivait pas à se concentrer, à coller de nouvelles pièces au puzzle qu'elle avait commencé à échafauder. Pourtant elle se souvenait des flots sur lesquels elle avait voulu voguer, de leur caractère à la fois archaïque et intemporel, brut, sauvage, et intelligible. Telles les profondeurs des mers d'aujourd'hui, mystérieuses et chimériques. »
« (…) à présent que le papillon avait fait son retour et l'avait emmené tout droit sur la piste d'un Cannibale aux allures de Loup-Garou, ressurgissaient les souvenirs occultés de la sorcière et les murmures d'une mystérieuse mer qui taraudait ses rêves depuis l'affaire du manoir des P. Tout était lié. Ou alors il était bon à interner. »
« ― (…) entre insomnies et cauchemars, mon cœur a balancé cette nuit. »
« (…) sa vie d'aujourd'hui la faisait de plus en plus croire, espérer, à l'existence du surnaturel au sein de la réalité, les démons d'il y a trois ans arboraient un nouveau visage. / Et les rêves, les voyages oniriques, n'en étaient que plus palpables. Et envoûtants. »
« Son esprit coula vers les territoires qu’elle ne craignait plus pour le moment, jusqu’à ce qu’elle (…) se laissa entraîner par une vision. Et elle possédait une fragrance florale, envoûtante, les tintements de sons cristallins du vol de nués de papillons. Elle vit la jeune femme suivre ces insectes extraordinaires, à travers bois et campagnes, flâner un instant au bord d’un fin ruisseau avant de frémir face à un nouvel arrivant. Celle dont le nom désignait « prophétesse » resta en retrait pour l’observer : était-il humain ? Elle ne parvenait pas à s’en fixer une image fixe. La brune qu’elle avait filée alla à la rencontre de la créature qui la prit dans ses bras. Et ils s’embrassèrent. Alors cet être improbable déploya de larges ailes dont il entoura leur étreinte. »
« C’est pour cela que nous suivons les papillons : le rêve devient une seconde existence. »
« Ses pensées bourdonnaient, comme un tas de papillons énervés. Il arracha le drap qui recouvrait son corps pour se rendre au grenier, convaincu que sa grande Œuvre était à l'origine de ce repos écourté. »
« Elle se souvenait des embruns, du sable, du vent, du mugissement des vagues, mais ce n’était pas assez précis, pas assez net. Il lui restait plutôt des impressions, des émotions, que des couleurs ou des formes distinctes. Autant dire un décor flouté et incertain qui aurait aisément pu avaler les personnages. Il lui était impossible de retrouver ces derniers à présent qu’elle avait quitté les bras de Morphée ou ceux d’une quelconque figure chamanique. »
« (…) à enquêter sur la disparition d’un Professeur en Anthropologie l’avait conduit vers quelque chose de plus large, vers un horizon où la réalité semblait se distordre car deux amis cryptozoologues s’étaient amusés à en brouiller les frontières. Puis les aveux d’un second Universitaire à propos d’une bouleversante découverte lui avaient visiblement coûté la vie. Un meurtrier, extrêmement bestial et cannibale de surcroît, qui demeurait insaisissable. Et aujourd’hui, ces nouveaux indices sur le dernier cadavre : les poils et les morsures d’un loup. »
« ― Te souviens-tu seulement à quel point le monde surnaturel est présent, tout autour de nous ? »
« [Elle] aimait les jardins insolites, oniriques, elle les arpentait avec respect, avec sérénité, malgré les pièges de certaines de leurs dames. »
« Son compagnon de l’époque était un Voyageur, un clown triste et fatigué. Elle pensait toujours à lui, à cette existence onirique qui avait basculé son monde, élargi sa perception. La jeune femme ferma les yeux et revit la scène, les flammes autour desquelles ils se tenaient, sous le ciel étoilé d’une douce nuit d’été. Ces étoiles, elles scintillaient comme des diamants bruts, comme les écumes de la mer dans certains de ses songes. Christine pense que c’est depuis sa rencontre avec son ami imaginaire que la mer a commencé à lui parler. »
« La nuit, orchidée lactée aux veloutés pétales charnels, enveloppe ; développe les chimères, univers verglacé. S’ouvre un monde végétal et fantasmagorique – fantastique et onirique – digne d’un Morphée splendidement mélancolique. Les fleurs d’orage possèdent une fragrance cosmique, qui, mêlée à une once de putrescence, convoque les incertains contours d’un néant indigo. Celui-ci s’éveille en un regard fauve dans lequel se manifeste par intermittence un éclat lunaire improbable. Une magnifique chevelure de femme encadre ce visage mâle, lisse, et cascade sur les épaules, le torse, nus. Sur la peau, les grains de beauté forment les constellations d’une autre galaxie ; et dans l’obscurité, ils s’animent : phosphorescents, ils luisent doucement, comme des étoiles lointaines. Les lèvres dessinées telles des corolles épellent un nom, celui de la Voyageuse. La voix, profonde, sensuelle, résonne avec chaleur et la jeune femme étreint avec émotion cet homme mystérieux, farouchement mystique. Chastement, ses mains explorent son dos, jusqu’à caresser les cruelles cicatrices sur ses omoplates puissantes ; alors confronté à ce tendre attouchement, l’animal en lui ronronne et tremble à la fois. »
Le mystère, il le portait aussi dans cette fragrance terreuse et herbacée qu’il dégageait, sur sa bouche qui gardait précieusement d’oniriques secrets, à travers son maintien souple et calme, par sa chevelure torrentielle qui appelait chastes caresses et embrassements.
Maintenant elle croyait à l'essence surnaturelle de certains êtres, comme si elle portait précieusement ce secret en elle.
J’oubliais les heures, j’oubliais les jours ; ma carcasse s’animait au gré des ténèbres, de la lune, de la mer, qui échauffaient ma machinerie. Enfermé le jour, je me livrais aux tourments de l’attente et du manque. La nuit, je renaissais de mes cendres et m’envolais jouir des beautés nocturnes, m’apaisant et me ressourçant au sein du décor marin qui prenait les formes de mes féeries, de mes chimères. Le jour je mourrais, pour renaître en papillon de nuit le soir.
Pense à moi, que je me libère de mon cachot sous-marin, que mon âme consciente et mon corps endormi prennent forme et vie dans ton monde. Laisse-moi me nourrir. Pense à moi, et rêve. Oui, rêve sans fin.
― Certains rêves sont comme des voyages. J'ai cru à tord être à nouveau capable de me promener dans les jardins de l'Entre-Mondes.
On dit qu’il se montre aux rêveurs authentiques pour les guider vers le rêve étrange et triste qu’ils recherchent.
(…) j’étais sûr qu’elle adorerait sa maison et son jardin ; j’y avais été si heureux dans mon enfance, en explorateur contemplatif des merveilles que recelait la nature, de ce territoire entouré par les bois qui contenait en son sein tous les mythes et les légendes possibles, imaginaires ou universels. Nous avions besoin de cette énergie, de cette magie, pour nous ressourcer et puiser plus loin en nous pour créer, pour extraire les mots et les images, les noms et les couleurs, les sons et les matières, les parfums des terres inconscientes ou du labyrinthe de notre part du monstre.
J'écrivais le récit d'un poète qui, intrigué par un chant mélancolique déchirant, sort errer au bord de la mer. Il découvre, échouée dans la brume, les écumes saumâtres et ensevelie d'algues et de coquillages, une sirène. Il décide de la ramener chez lui. Il l'installe près du feu et, ôtant les herbes marines, il constate que cette muse inespérée est mâle. Il n'en est pas moins profondément troublé. Il veille l'être mythologique, jusqu'à s'endormir à son tour. En s'éveillant, il fait nuit encre, le feu se meurt, ses braises rougeoyantes confèrent des pépites rubis dans les iris fauves qui le dévorent. Ensorcelés ou inexorablement attirés par le biais de ce premier échange de regard, ils s'unissent, tandis que les éléments, à l'extérieur de ce cocon enfiévré, se déchaînent, cherchant à égaler leur ivresse.
― Tu t’engages dans le caprice impossible d’un homme passionné. Es-tu réellement prêt pour un voyage où les fantasmagories d’un homme brouillent la réalité ?
Inspirations
My goal is to capture the essence of each creature [and object] I create.
Je m’écroulais sans énergie sur mon lit, le corps et l’âme comme emmêlés dans la lune.
Il sentait bon la terre et les fleurs mouillées, et je perdais l’esprit. Son étrangeté, sa lumière.
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Le Dévoreur de Rêves - soundtrack - Maude Elyther
Eis Traum, From whishes to eternity Bonjour, En attendant la rédaction d'un article qui lui sera plus généralement consacré, voici une mise à jour concernant les chansons et musiques qui impr...
http://maude-elyther.over-blog.com/2016/08/le-devoreur-de-reves-soundtrack.html
Soundtrack
Pour moi […] le monstre préfigure aussi le gardien d’un trésor […] Dépasser le monstre reviendrait à retrouver en soi, derrière le rationnel, le principe d’un "sacré" individuel et juste humain, sans autres projections ou subterfuges extérieurs.
Mise en forme de l’archaïque, ce monstre nous renverrait donc toujours, définitivement, à la part la plus intime de nous-mêmes.
L’important, c’est la conception du monde, naturel et surnaturel. […] La transe est un moyen, permettant des contacts directs, dans les deux sens, entre l’homme et le monde surnaturel. […] Un chaman va à la rencontre des esprits de la nature, il adopte des apparences diverses et voyage symboliquement dans les lieux cachés du monde autre.
"Ce que la mer ne dit pas, mais laisse entendre". C'est le bestiaire aquatique farfelu, ou l'on découvre les véritables lamantines qui ont inspiré les histoires de marins, et ou les fœtus des futurs femmes cétacés, les homme-dauphins, les soeurettes poisson-clowns et autre bélugas des profondeurs glacées, se dévoilent sous la lumière diffuse et océane de nos Eaux Terriennes.
Celtic Faeries : illustration de Jean-Baptiste Monge & texte "Celle qui venait de la mer" de Paddy the Piper extrait de "Des chants du crépuscule".
Un article à propos de la cryptozoologie : https://www.joomag.com/magazine/noire/0827920001470071293/p14?short
En guise d'ouverte pour la suite et fin de cette trilogie :
― (...) il est rongé par ses obsessions, il veut percer leurs mystères, pour les contrôler.
Plusieur serrures ont sauté, et le Démon Onirique n'a jamais été aussi proche de sortir...
Alors...
Est-ce dangereux de rêver ?
Mots clefs
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