Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne, Ed. de L'Atelier Mosésu, Collection Pepper, octobre 2016

Publié le par Maude Elyther

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne, Ed. de L'Atelier Mosésu, Collection Pepper, octobre 2016

Durant notre sommeil, notre esprit quitte notre corps et explore d'autres dimensions. Imaginez. Nos songes existeraient, perdus dans l'abîmes de l'espace et du temps.

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

Après ma première immersion dans l'univers d'Anthelme Hauchecorne avec Le Carnaval aux Corbeaux, j'ai terminé la lecture de son tout dernier roman : Journal d'un Machand de Rêves, paru aux Editions de l'Atelier Mosésu, dans la collection Pepper sous la direction de Sophie Jomain, à l'octobre 2016.

4ème de couverture

J’ai séjourné en hôpital psychiatrique. Pas de quoi fouetter un chat sauf lorsque, comme moi, vous êtes fils de stars. Par crainte du scandale, mes parents m’ont expédié loin d’Hollywood, dans la vieille Europe.

Les meilleurs spécialistes m’ont déclaré guéri. En vérité, la thérapie a échoué. Les songes ont repris, plus dangereux que jamais.

Malgré moi, je me trouve mêlé aux intrigues de puissants Rêveurs. Des gens charmants et bien décidés à m’éliminer, mais avec élégance.

M’entêter serait totalement déraisonnable. Pourtant, deux plaies à vif m’empêchent de tourner la page…

La première est une fille.

La seconde, une soif de vengeance.

Je m’appelle Walter Krowley. Vous tenez mon journal intime. Prenez-en soin. Ce livre pourrait devenir mon testament…

(…) cette histoire bouillonnait en moi depuis trop longtemps. Elle griffait les parois de mon crâne, grondait dans ma gorge, rongeait mes dents tels les barreaux d'une cage...

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

Je songeais à présent que l'aventure se trouvait peut-être dans ma tête, de l'autre côté des portes du sommeil.

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

Avant-propos

Nous suivons les (més)aventures de Walter Krowley, un cinéaste égoïste et paumé, qui va découvrir l'envers du monde des rêves, les univers derrière le miroir de la réalité. Bienvenue dans l'Ever, où il se retrouve relié à une créature carnivore, son Ça, dans un monde aux quelques similitudes avec 1984 de George Orwell (des allures de dictature, un contrôle par rétro-vision).

Mots clefs

onirico-steampunk - condition humaine - mythologie - bestiaire fantastique - monde du rêve

La perspective d'un ange gardien veillant sur moi – fût-il monstrueux –, avait quelque chose de rassurant.

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

Il va y croiser la route de toute une galerie de personnages, et notamment se retrouver à Brumaire, dont le sable possède bien des particularités... Malgré son indifférence et sa lâcheté, il va y faire une rencontre qui va bouleverser son existence (aussi bien dans l'Ever que dans l'Éveil).

L'Ever est un brillant univers onirico-steampunk, pour lequel Anthelme Hauchecorne nous fait rêver avec notamment les Oniromanciens, ancienne civilisation avancée - tels les Mayas ou les Atlantes -, dont les épaves des constructions sont enterrées sous le sable... Quels secrets ont-ils emportés avec eux ? Pourquoi se sont-ils éteints ? À côté de cela, les Peaux Rouille, des Automates contre lequel même les rebelles, les Outlaws, luttent.

Des édifices empruntés à diverses époques – bastions, châteaux, donjons – ses dressaient parmi les habitations, majestueuses dans leur anachronisme. Le ciel bruissait de battements d'ailes de papier, celles de machines volantes qu'on jurerait jaillies des croquis d'un Léonard de Vinci. Ici, telles des mains tendues vers l'infini, les rêveries d'innombrables générations communiaient sous un ciel piqué d'étoiles, témoins de l'éternité.

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

Chaque Rêveur possède sa porte, son boudoir. Entre le contrôle du gouvernement et les orpailleurs de rêves ou voleurs de corps, la vie n'est pas toute rose dans l'Ever. Et pourtant, Walter va y vivre son lot d'aventures, qui va le forger...ou plutôt révéler et mettre à vif son âme d'artiste vulnérable, sa désolation intérieure. Anthelme Hauchecorne nous livre le portrait d'un homme qui cherche à se construire, à trouver un équilibre, même précaire. Cette compulsion passe entre autre par une addiction qui le prendra à Brumaire, mais aussi par l'écriture (tandis que celle de Banshee passe par la mécanique en tout genre, la réparation de toutes sortes de machines).

Dernièrement, j'avais côtoyé la mort de près. Pourquoi m'avérais-je incapable de prendre ce larcin avec philosophie ? / Précisément parce que rien n'allait dans ma vie. Ma condition de Rêveur ne m'avait attiré que des ennuis, que je n'avais enduré qu'avec le soutien d'un fragile espoir. Je croyais naïvement que ces coups durs me tanneraient le cuir, qu'ils feraient de moi un artiste accompli. À la façon d'un alchimiste du karma, j'avais cru pouvoir métamorphoser le bourbier dans lequel je me noyais en une œuvre belle et forte.

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

Journal d'un Marchand de Rêves trace comme fil rouge notre condition d'être humain, à travers le passé et la notion d'avenir, mais aussi les failles et les cicatrices, la peur du grand vertige, la vie et de la mort, la passion, la compulsion qui peut nous animer, nos peurs,... Anthelme Hauchecorne n'a pas son pareil pour brosser le portrait fouillé des personnages : à travers leurs défauts ou encore leurs caractères et leur quête de pouvoir, de contrôle, de vengance, leurs cicatrices et autres blessures vont ressortir toute leur humanité. Car c'est cela que d'être humain : vivre, aimer, même avec l'énergie du désespoir, les nerfs à vif, ou les émotions débordantes.

La passion anime les Rêveurs, quoi de mieux que l'Ever pour réellement exister ? (pensent-ils, à leurs risques et périls).

― [Ce film traite du] potentiel inexploité... / Derrière chaque individu, il existe un univers. Une graine de rêve qui demande à éclore...

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

― Nos appétits nous rendent malheureux. Nos peurs nous empoisonnent. La haine nous dévore et la vengeance nous laisse creux. Seuls nos songes nous insufflent l'énergie d'endurer ce monde. Nos vies commencent et s'achèvent avec eux.

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

― (…) Tout nous glisse entre les doigts. Les gens, les années, les planètes et les étoiles.

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne

Tout cela est servi par la plume addictive d'Anthelme Hauchecorne qui distille, à travers un univers riche tel un travail d'orfèvre, une écriture rythmée (chapitres courts) qui ne laisse aucun temps mort, disséminant des pistes qui seront reprises et conclues plus tard. Le narrateur nous tient la main...pour s'amuser à la lâcher l'espace d'un instant, le temps de se poser des questions, d'amorcer des pistes.

L'écriture d'Anthelme Hauchecorne offre aussi de splendides images (les vestiges des Oniromanciens, le Cabinet de Curiosités avec son imposante et incroyable fresque, Sellexurb, l'envers de la ville de Bruxelles dans l'Ever,...) De Hollywood, nous mettons les pieds dans Brumaire, Myst,... : autant de décors tantôt désertiques, tantôt résolument sortis d'un western, tantôt onirico-steampunk... Le monde de l'Éveil n'est pas laissé de côté, là aussi Walter y découvrira des horreurs (une scène se déroulant rue Le Coin du Diable se révèle plutôt insoutenable sans que la description ne s'étale. Un ou deux paragraphes habilement tournés réalisent ce tour de main qui prend aux tripes et rend soudain très claustrophobe...)

Lire Journal d'un Marchand de Rêves, c'est se retrouver devant ou à l'intérieur d'un film : des images époustouflantes, des rebondissements en veux-tu en voilà, des personnages atypiques, de drôles d'animaux, des décors décadents et prolifiques qui mélangent les genres et les époques, des aventures dangereuses, des trahisons et des complots,...sans oublier la quête de liberté et de construction personnelle, l'humanité tapie derrière ce qu'elle a sans doute de plus vile : le pouvoir, le contrôle et la destruction. Dans l'Ever non plus apprendre du passé n'est pas à l'ordre du jour. Et pourtant :

― Sans mémoire il n'y a pas d'idée d'avenir.

À travers la lecture, un sujet n'apporte pas l'entière satisfaction d'informations : les Ça, ces étranges animaux reliés à leur Rêveur (on pense à Freud, au cordon ombilical... Et beaucoup à l'évidente particularité du Ça de Walter !). Une insatisfaction savamment manigancée puisqu'Anthelme Hauchecorne travaille actuellement à quatre mains sur une nouvelle aventure (indépendante au Journal d'un Marchand de Rêves) dans l'Ever ayant pour thématique principale ce bestiaire partiellemet effleuré. Il s'agira de Nos Chasses Nocturnes (L'Atlas des Songes / 2), en collaboration avec Cendrine Nougué.
(Pour une parution prévue en décembre 2017 aux éditions de L'Atelier Mosésu, sous la direction de Sophie Jomain.)

(couverture provisoire par Anthelme Hauchecorne)

(couverture provisoire par Anthelme Hauchecorne)

Seul bémol (et encore...cela n'a pas gâcher le plaisir de ma lecture) : comme Walter Krowley par moment, j'ai deviné plusieurs twists. [Ah au fait, Anthelme, en parlant de twist, les dernières pages étaient très riches en émotions...j'ai failli avoir besoin des mouchoirs ! :-P]

Pour conclure, procurez-vous d'urgence ce Journal d'un Marchand de Rêves, pour :

La plume addictive de l'auteur

L'univers riche et fouillé, débordant d'informations (à se demander si Anthelme Hauchecorne lui-même ne visiterait pas l'Ever durant son sommeil...)

Les nombreuses thématiques qui touchent à notre condition d'être humain

Les Ça (j'espère qu'ils seront tous bien traités dans le tome à venir, j'ai eu la chair de poule pour celui de Walter sur la fin, alors qu'il n'y a eu aucun détail quant à ce qu'il a subi...)

Le rythme soutenu, les aventures périlleuses

Les personnages hauts en couleur

L'évolution du personnage éponyme, ce cinéaste a priori excécrable qui tente de sauver sa peau et se construire comme il le peut

...

J'ajoute que les dernières pages sont très riches en émotions. Pas de happy end comme dans les films, mais une fin qui s'ajuste à la réalité (aussi bien dans l'Éveil que dans l'Ever : de vraies blessures, des pertes, une passion possessive...)

Je souligne également l'objet-livre :

Une couverture signée Marcela Bolívar

Journal d'un Marchand de Rêves, Anthelme Hauchecorne, Ed. de L'Atelier Mosésu, Collection Pepper, octobre 2016

Des titres de chapitres loufoques et colorés, une mise en page très aérée et donc très agréable pour le lecteur, ainsi que quelques frioritures qui soulignent chaque chapitre ponctuent efficacement cet ouvrage. Par contre vous n'y trouverez pas de carte territoriale : les cartographes de l'Ever ont encore de la besogne !

Anthelme Hauchecorne

Anthelme Hauchecorne

À noter qu'Anthelme Hauchecorne sera présent à Trolls & Légendes :

Publié dans chronique personnelle

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