Effroyable Porcelaine, Vincent Tassy, Ed. du Chat Noir, collection Chatons Hantés, avril 2017
4ème de couverture
Sibylle Delombre est une collégienne ordinaire. Enfin, si l’on considère qu’il est ordinaire de décorer sa chambre avec des ossements, des peluches chauves-souris, des schémas de dissection et des grimoires. Oui, Sibylle aime bien l’étrange et le mystère.
Ainsi, elle a de quoi se réjouir lorsque sa mère lui propose de l’accompagner pour débarrasser un vieux château. Mais tous les objets bizarres qu’elle rêvait d’y découvrir ne sont rien en comparaison de la splendide poupée en robe noire, aux cheveux argentés comme un clair de lune, qu’elle trouve dans une chambre et qu’elle s’approprie aussitôt, séduite par sa beauté vénéneuse.
Et si les cauchemars qui se mettent alors à hanter les nuits de Sibylle avaient un lien avec elle ? Et si cette poupée, aux yeux violets, au regard aussi triste que cruel, n’était pas inoffensive ? Quel terrible secret renferme l’effroyable porcelaine ?
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Effroyable Porcelaine - Éditions du chat noir
Sibylle Delombre est une collégienne ordinaire. Enfin, si l'on considère qu'il est ordinaire de décorer sa chambre avec des ossements, des peluches chauves-souris, des schémas de dissection et ...
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D'accord, elle avait peu d'amis, passait beaucoup de temps à lire ou à dessiner dans sa chambre, préférait la nuit au jour et l'hiver à l'été, mais son grand calme, ses beaux sourires et sa passion pour les histoires ne laissaient aucun doute : c'était une jeune fille heureuse et équilibrée.
Avant-propos
Passée l'émotion d'avoir le nouveau roman de Vincent Tassy entre les mains, j'ai dût patienter quelques temps avant de le lire (j'avais une lecture en cours et une chronique à rédiger avant). Mais les émotions ont tout de suite jailli dès lors que j'avais commencé à lire les premiers mots d'Effroyable Porcelaine... Est-ce vraiment utile de préciser qu'il s'agit (comme toujours) d'un coup de coeur pour cette nouvelle histoire de Vincent Tassy...?
Effroyable Porcelaine, est donc paru le mois dernier aux Editions du Chat Noir, illustré par Mina M., il inaugure l'une des nouvelles collection de la maison : Chatons Hantés (orientée jeunesse (9-12 ans). La plume de Vincent Tassy convoque à merveille des frissons tout en abordant des sujets sensibles. Ses thèmes de prédilection, qu'il décline selon les différents genres ou atmosphères de ses nouvelles, ainsi que dans Apostasie (son premier roman), prouvent ici qu'ils sont matières à sensibiliser les plus jeunes.
Car Effroyable Porcelaine parle de la différence, mais aussi de la mort, du suicide : des thèmes d'actualité qui touchent toutes les tranches d'âge.
Mots clefs
roman jeunesse - gothique - fantômes - épouvante - poupée - transgenre - suicide
Quand on n'a plus rien d'autre que la tristesse, tout ce que l'on peut faire, c'est la transformer en poésie, tu ne crois pas ?
Vincent Tassy nous propose ici deux histoires imbriquées l'une dans l'autre : celle d'Ophélia qui a vécu dans le passé, et celle de Sibylle, de nos jours. Sibylle a tout d'une jeune gothique avec ses goûts atypiques (sa chambre est un véritable cabinet de curiosités, elle aime les vieux films d'horreur...), aussi lorsque sa mère l'emmène dans un vieux château pour le débarrasser, elle se voit là projeter dans l'un de ses fantasmes. Visitant, chandelier à la main, une partie de l'une des ailes du bâtiment, elle fera une incroyable découverte : une poupée.
Mais pas une poupée ordinaire. Celle-ci a un côté effrayant avec ses grands yeux améthyste, sa longue chevelure argentée et sa robe de deuil. Elle est faite pour Sibylle, du moins c'est ce que la jeune fille pense. En la saisissant et en l'emmenant pour poursuivre son exploration, elle va déjà être la victime de curieux événements...
Événements qui la font frissonner, elle qui d'ordinaire est une adepte de la nuit, des vampires et autres sorcières. Très vite, Sibylle va faire le lien entre ceux-ci et la poupée. En compagnie de son ami Philémon, elle va remonter la piste d'Ophélia, celle à qui appartenait la poupée avant qu'elle ne la trouve. Car l'histoire d'Ophélia est liée à la poupée. Alors que Philémon va parler de l’œuvre d'un fantôme, la jeune fille va se retrouver confrontée à la triste vie d'Ophélia. En enquêteurs de l'étrange, les deux amis vont tout faire pour comprendre la raison du geste d'Ophélia, son suicide, pour libérer son fantôme.
― Les fantômes sont des esprits malades qui déambulent à l'infini dans les lieux où ils ont souffert. Et ils se condamnent à revivre encore et encore ce qui les a détruits.
De son écriture poétique et ici concise, Vincent Tassy nous plonge avec une force incroyable dans les différents décors (le château abandonné et ses jardins, la chambre de Sibylle...), nous entraînant dans cet univers fantastique à la lisière du monde.
Le fantôme de l'esprit tourmenté d'une jeune fille s'acharne sur le duo d'amis, et tout ce désespoir qui l'anime, ils vont chercher à le comprendre, par le biais des flashs back ou visions qu'impose Ophélia à Sibylle. Scènes dans le noir, matérialisation du froid et du givre, sous-terrain et cimetière... : frissons d'épouvante et/ou de plaisir au menu !
Ils n'osèrent rien dire, saisis par l'écrasant silence qui régnait dans le parc, ce silence étrange qui précède les orages. Aucune brise, aucun chant d'oiseau. Sous les nuages presque noirs, on aurait dit que tout allait se changer en pierre.
Les deux amis se retrouvent seuls à tenir bon face aux aléas du fantôme. Et leur amitié est belle à voir. Tous deux, différents, atypiques, à leur manière, possèdent cette sensibilité pour les choses intangibles. Comme un don ils ont cette magie de voir autrement le monde qui les entoure, et d'en déceler des beautés invisibles pour d'autres.
Sibylle est forte et épanouie, grâce à son entourage aimant qui n'a pas de regards réprobateurs sur ses goûts détonnants. La jeune fille ne cherche pas à rentrer dans un moule, à jouer le rôle que la société attend d'elle. Elle est qui elle est, et se contrefiche de ne pas plaire à tout le monde. Elle aime les poupées cassées, trouve Philémon élégant là où les jeunes de leur âge l'insultent. Pour elle ces derniers sont des bouffons, acteurs du concept stupide d'être entièrement fille pour les filles, et entièrement garçon pour les garçons.
On lui lançait qu'il était « efféminé », comme une terrible insulte, comme si c'était affreux qu'un garçon se comporte un peu trop comme une fille. Sibylle, elle, trouvait Philémon très élégant. À qui faisait-il du tord ? Lui au moins, il ne laissait pas sa personnalité au placard pour venir en cours, comme si le collège était une scène de théâtre un peu bouffon où les garçons devaient jouer des rôles de garçon, et les filles des rôles de fille. Malheur à celui qui ne jouait pas le sien !
Sibylle aime les choses "bizarres", et en cela son propre regard ne peut être que sensible, bienveillant ; il émane d'elle une immense affection. A côté, la malheureuse vie d'Ophélia en est davantage triste, il en sonne un sentiment d'injustice, un poignant rejet qui illustre cependant un sujet d'actualité, la différence. Vincent Tassy décline un tout à travers la notion de transgenre abordé dans son Effroyable Porcelaine, comme l'homosexualité par exemple.
C'est un thème cher à l'auteur : « La question du genre nourrit tout ce que je fais. » (cf interview-vidéo à la fin de la chronique). Thème qui trouve ici une nouvelle place dans ce roman jeunesse, et fait en partie d'Effroyable Porcelaine une lecture intelligente et sensibilisante.
Sibylle aimait tout ce qui avait tendance à effrayer la plupart des gens. Sibylle aimait les fantômes, les vampires, les sorcières et les zombies, les romans à désastres et les films à glacer le sang. Ainsi en allait-il depuis toujours, et elle n'avait jamais chercher à comprendre pourquoi. Elle était comme ça, et tant pis si ça ne plaisait pas à tout le monde.
Un autre thème crucial dès le plus jeune âge : le regard des autres.
Que ce soit celui de la famille, des amis, des camarades d'école...il est important car il renvoie une image de nous...
...à laquelle nous aurions tendance à nous identifier trop rapidement. Vincent Tassy l'illustre parfaitement au travers de Sibylle et d'Ophélia. La première est épanouie, tandis que la seconde s'est donnée la mort par désespoir. Pour l'une nous percevons la passion et la légèreté qui l'animent, et pour l'autre nous sentons la souffrance d'être forcée à rentrer dans un moule, dans lequel pourtant son rôle sonne faux.
Pour Sibylle, le regard des autres a forgé sa confiance en elle, sa force. Pour Ophélia, le regard des autres l'a tuée car sa famille n'a jamais vu qui elle était vraiment, allant jusqu'à lui arracher la seule personne qui l'aimait telle qu'elle était.
Ai-je tort de mourir parce que je ne suis pas regardée comme j'aimerais être regardée ? Est-ce si important, le regard des autres ? Grande question. Si c'est le regard des autres qui m'a tuée, alors oui, il est important. Les yeux des autres me tuent. Les miroirs me tuent.
Effroyable Porcelaine aborde également le thème de la mort, de l'absence.
A travers l'approche du suicide, le mal être est exprimé, par la cruauté des autres (leurs regards, leurs insultes...), par la tristesse, immense gouffre miroitant comme la nuit. L'absence de liens et de partage (la vie d'Ophélia fut solitaire et malheureuse) renvoie à Ophélia l'image que les autres ont choisi pour elle, mais qu'elle refuse. Son identité se retrouve trouble. Ses quelques tentatives pour trouver du réconfort, de l'amour ont été brisé par son père. Alors ne reste que le désespoir.
Ne serait-elle, à tout jamais, qu'une force noire et aveugle qui emporte les vivants dans son désespoir ?
Nous découvrons l'histoire d'Ophélia "à l'envers" tandis que Sibylle perce son secret, la raison de son désespoir et de la cruauté parentale face à laquelle elle a abandonné. L'avancée de Sibylle et de Philémon pour briser la malédiction de la poupée va en parallèle constituer divers bouts de chemin qui conduiront le jeune homme à l'introspection. Le voeu qui en résultera sera accueilli avec lumière.
Car oui, Vincent Tassy aborde des thèmes sensibles pour un jeune lectorat, mais il le fait tout en émotions et en lumière.
Les différentes relations sonnent tellement vraies, légères et drôles, ou tristes et étouffantes, le tout baignant dans une atmosphère frissonnante. J'ai tout particulièrement adoré le duo Sibylle/Philémon (j'aurais aimé lire de tels romans lorsque j'avais une dizaine d'années !), et l'histoire d'Ophélia m'a énormément touchée.
Philémon avait une sorte de don, une sensibilité particulière aux choses invisibles. Il n'en avait jamais parlé à personne sauf à elle. Sibylle aimait bien se dire qu'ils étaient devenus amis parce qu'elle avait perçu cette pincée de magie en lui.
En amoureuse des livres, j'ai été aussi bien envoûtée par la plume que par les illustrations.
En plus de la couverture signée Mina M., l'intérieur du roman comprend dix illustrations en noir en blanc occupant chacune toute une page. D'un style fantastique, fin et élégant, Mina M. cadre des scènes clefs d'Effroyable Porcelaine. Une atmosphère mystérieuse et esthétique parfaite pour ce frissonnant et magnifique récit gothique.
En conclusion : un récit jeunesse...
...à mettre entre toutes les mains !
- Pour ses thématiques abordées avec luminosité
- Pour une lecture intelligente et sensibilisante
- Pour la plume de Vincent Tassy qui sonne juste et sensible
- Pour les amateurs de frissons et d'histoires de fantôme, de poupée maudite...
- Pour renouer avec l'enfant en nous (ce roman n'est pas interdit aux adultes ^^)
- Parce que c'est le nouveau roman de Vincent tout simplement !
Demande-t-on à un comédien de passer toute sa vie sur scène et de jouer le rôle du même personnage jusqu'à sa mort ? Oh, non.
Pour aller plus loin
Les écrits de Vincent Tassy par thématiques :
transgenre :
- Pour oublier les chrysanthèmes (nouvelle dans la revue Salamandre n°16)
- Mademoiselle Edwarda - Prix Merlin 2013 - (nouvelle dans l'anthologie Vampire malgré lui aux Ed. Du Petit Caveau) *
- Regarde ce qu'il y a dans sa tombe (nouvelle dans l'anthologie Ame ténébreuse, coeur lumineux aux Ed. Du Chat Noir) *
poupée/transformation :
- Malvina Moonlore nouvelle dans l'anthologie Montres Enchantées aux Ed. du Chat Noir) *
- Somnium (nouvelle dans la revue Salamandre n°17)
regard des autres/famille - ténèbres/lumière :
- Vanessa (nouvelle dans l'anthologie Créatures aux Ed. de la Madolière)
domaine abandonné/absence :
- Iravel (nouvelle dans l'anthologie Maisons Hantées aux Ed. Luciférines) *
sur l'ensemble de ces thèmes :
- Apostasie, son premier roman *
Autres lectures :
- Un baiser sous X, Eric Paradisi
- Le Royaume de Tobin, série de Lynn Flewelling
Film :
- Danish Girl
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Un baiser sous X, Eric Paradisi | Fayard
Fille et garçon, je suis né.Mon anomalie s'était vue confirmée à l'échographie, dévoilant la présence d'un testicule et d'un ovaire. Garçon et...
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
(...)
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
(...)