Vincent Tassy, Belle Rose Porporine (anthologie Bal Masqué), Ed. du Chat Noir, juin 2017)
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Bal Masqué - Éditions du chat noir
Au premier temps de la valse, tournoient les étoffes chamarrées. Sous les lueurs vacillantes des chandeliers, les fantômes de la piste attirent les œillades des convives anonymes. Intrigues et ...
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Je suis l'exemple même de l'équilibre – autant que faire se peut, je ne suis pas bien certaine de ce que ce concept signifie. Je suis heureuse, ma vie est simple, je suis une bonne étudiante, je n'ai pas de problème particulier pour sociabiliser. Certes, je suis peut-être un peu cynique par nature, et je gère assez mal les minuscules contraintes administratives que ma vie actuelle m'impose, mais il n'y a là rien de bien exceptionnel vu l'époque à laquelle on vit.
Avec sa nouvelle Belle Rose Porporine, Vincent Tassy nous plonge dans un registre inédit : l'horreur. Les personnages et le texte sont intriqués dans l'actualité, par le biais des réseaux sociaux. Petit résumé : Marion accepte sur facebook l'invitation d'un contact qu'elle ne connaît pas, Violette S. S'ensuit un grand événement, un bal masqué dans une abbaye abandonnée. Mais pendant ce temps, d'étranges et perturbants faits se produisent...
Entre vulnérabilité et hypocrisie des personnages, Vincent déploie les fils d'une toile confinant au mal être qui soutend les "hyper-connectés", notamment par le biais d'une angoissante notion de masque. Et si notre identité n'était qu'une succession de masques ? La normalité aujourd'hui est de communiquer et de partager sur les réseaux sociaux, pourtant n'installons-nous pas par là un personnage idéalisé ? Malgré nos masques, nous sommes fragiles car ils finissent par nous trahir.
En en apprenant un peu sur Violette S., la maîtresse de cérémonie du bal masqué, Marion va s'impatienter de véritablement la rencontrer. Leurs rencontres vont montrer l'impact de l'idéalisation. En suivant l'héroïne dans cette recherche de l'autre, nous pressentons des failles, celles des masques, celles des réseaux. Car si au début elle s'est attachée à Violette S. par le biais de certains de ses amis qui la connaissent, elle veut être la seule à compter à ses yeux. L'unicité d'une relation bouscule les réseaux sociaux.
Lors du bal masqué, véritable happening aux allures de bacchanales, l'ambiance devient électrique, fantomatique. Les festivités sont hors du temps, et soulèvent le culte de la nuit éternelle. Danser, manger, boire, dormir, et recommencer, pour oublier le jour. Se développe une nouvelle connexion, une transcendance : les invités reconnaissent leurs amis à travers les masques qu'ils portent. C'est alors que l'horreur (après d'autres événements de la même trempe plus avant dans le texte) va surgir. Chaque invité se retrouve piégé par d'horribles et intimes révélations ; un piège des réseaux sociaux, Gossip Girl aux allures luciférines qui révèle dans une effroyable mise en scène la vérité derrière le masque.
Et l'abbaye est là, perdue au milieu des bois. Nom de Dieu. Il faudrait qu'on m'explique pourquoi ce n'est pas devenu un site touristique. Une ruine gothique, aux trous comblés de tôles industrielles ; elle est recouverte de guirlandes lumineuses, brille comme un crépuscule dans l'ombre de la nuit. Il n'y a pas la moindre raison pour que cet édifice soit là, au beau milieu de la forêt ; mais il est là, et sa majesté étiolée le rend plus impressionnant encore. Un parfum de vieille pierre se mêle à celui de la terre et des feuilles mortes, à l'air de décembre.
J'ai adoré l'ambiance horrifique qui convoque une part de surnaturel (des vidéos impossibles qui viennent et disparaissent, etc), de par la paranoïa et l'angoisse de nos ressentis, de notre perception. En l'espace d'une nouvelle, Vincent pose avec aisance tout un univers. Univers étoffé comme toujours de références littéraires, musicales, cinématographiques aussi ici (quelques uns dans cet article). J'ai ressenti une forme de détachement par rapport aux personnages, mais ce n'est pas négatif au contraire : cela a renforcé le côté froid (pas au sens indifférent mais artificiel) des liens et relations virtuels.
L'horreur ici n'est pas celle provoquée par un psychopathe venant vous éviscérer chez vous, mais celle surgissant par le biais d'un endroit auquel nous pensons en général pouvoir faire confiance, les réseaux sociaux. Pourtant là aussi s'y tapissent des personnes qui veulent nuire ; et il semble tellement aisé d'y parvenir...
Choisir son masque. C'est étrange, comme on prend ça à cœur. Je veux être qui ? Libre de décider, je ne sais pas vraiment. Exacerber les traits de celle que je suis, ou rêver que je suis une autre, un autre, quelque chose d'autre ? Choisir son masque, c'est se montrer quand même. Par des détours, des labyrinthes. Accepter ça, fêter ça, la scène perpétuelle de nos vies ; on est toujours au théâtre. Authentique dans l'inauthentique. Et si le masque doit cacher la vérité, alors la vérité est là, derrière lui, quelque part dans l'abîme du visage, suspendue. Le masque éclatera de rire si celui qui le regarde n'y a vu que du feu.
Belle Rose Porporine. Non, vraiment, j'adore cette chanson. Du grand n'importe quoi magnifiquement hideux, ou hideusement magnifique ; c'est mourir de rire en rêvant de châteaux.
lecture de Marion
en bonus : découverte de ce blog qui m'a l'air bien intéressant !