Sarah Buschmann, Sorcière de Chair, Editions Noir d'Absinthe, collection L'Antre de la Folie, octobre 2018
4ème de couverture
Australie, 2016.
Sept ans après un massacre qui a décimé toute une famille, de nouveaux meurtres surviennent à Melbourne. Des homicides si sordides que la Sorcellerie de Chair, taboue depuis les grandes chasses qui ont déchiré le pays, est évoquée.
Pour Arabella Malvo, lieutenant de la brigade criminelle, ils s’avèrent particulièrement déstabilisants. Pourquoi les victimes lui ressemblent-elles comme des sœurs ? Le meurtrier la connaît-elle ? Pourquoi maintenant ?
Une chose est sûre : l'abîme qu’elle fuit depuis toutes ces années risque de s’ouvrir à nouveau sous ses pieds. Et cette fois, de l’engloutir pour de bon…
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Avant-propos
Edit : j'avais mis en hors ligne cet article, pendant faire une chronique commune avec le second tome mais je préfère le remettre en ligne et proposer ultérieurement mon retour sur la suite !
Revoilà donc ma chronique pour le roman Sorcière de Chair de mon amie Sarah Buschmann :-)
Mots clefs
thriller - sorcières - Australie - famille dysfonctionnelle - manipulation - trash - fantasy contemporaine - sombre - urban fantasy - viscéral
Un récit impitoyable
Après plusieurs nouvelles publiées (Éditions Rivière Blanche, Éditions Elyranthe), Sarah propose avec Sorcière de Chair son premier roman. Et je peux vous dire qu'il est de grande qualité ! Dans le cercle de l'urban fantasy, son texte détonne par son caractère sombre et implacable. Ici, les personnages sont tous pris, sans distinction, dans un engrenage cruel et violent, au sein d'une vie dont l'espoir a disparu depuis longtemps. Sans concession, mais sans aller dans le trash uniquement pour le trash, Sarah se montre sans pitié envers ses protagonistes, comme envers ses lecteurs. Vous aurez beau espérer, prier, la chute sera impartiale.
L'appartement d'Arabella était étriqué. Sombre. Nu. Les pièces se révélaient trois fois plus longues que larges. Dans la salle de bain, il fallait quasiment enjamber les toilettes pour atteindre la douche. Un homme n'aurait pu y tenir de face. Mais Arabella était svelte et n'accueillait pas beaucoup de visiteurs masculins. Les fenêtres étroites ne laissaient entrer que de maigres filets de lumière crépusculaire qui projetaient des ombres ternes sur le papier peint défraîchi, seul habillage des pièces. Aucune décoration ne venait égayer l'appartement : ni touche de couleur ni photographies.
La jeune femme y dormait, y mangeait, parfois, et s'y lavait. Elle ne le hantait que lorsque l'obscurité recouvrait de son voile la vacuité de ce qui aurait dû être son lieu de vie. Mais Arabella ne vivait pas vraiment. Elle ne savait pas comment faire. Elle travaillait. Quand son esprit était occupé, les démons cessaient de la harceler.
Enquête viscérale
Sorcière de Chair propose une enquête sombre et viscérale, sous fond de relations toxiques, du passé de son héroïne totalement dysfonctionnel. Arabella est liée aux horribles meurtres qui font la une. Elle-même sorcière - et attention nous sommes très loin de Charmed : dans l'univers de Sarah, les sorcières sont des parias qui peuvent plus ou moins contrôler les hommes en interférant via leurs neurones -, elle devine rapidement que la vengeance motive ces atrocités. Elle tentera de faire cavalier seul car elle a peur que sa nature soit révélée : le sort réservé aux sorcières étant l'enfermement dans une prison au milieu du désert. Son enquête en cours est sombre. Son quotidien est sombre. Sa vie intime est sombre. Arabella est un personnage qui survit, au gré des jours. Elle ne connaît pas le bonheur, quand bien même elle cherche à le simuler. Son existence est sa punition. Pour ce qu'elle a commis, il y a longtemps, dans une autre vie presque.
Contrôler les mouvements du corps représentait une des possibilités les plus accessibles aux sorcières. Manipuler les synapses, ces connexions entre les neurones à l'origine de toute action, toute pensée, n'était jamais simple, mais le contrôle moteur était ce qui s'en approchait le plus. Les connaissances ou les pouvoirs du meurtrier étaient-ils peu développés ? Et pourquoi avoir choisi cette façon de tuer ? Il y en avait de plus discrètes. La personne responsable voulait que le corps soit trouvé. Il ne s'agissait pas d'un crime impulsif. Il avait été pensé. Préparé. Mais dans quel but ? Était-ce pour assouvir des pulsions ? Un acte de vengeance ?
Anti-héros
J’ai particulièrement apprécié le fait qu’aucun personnage ne soit tout blanc ni tout noir, tous sont gris. Côté psychologique (ça tombe bien, Sarah est psychologue), nous sommes vraiment dans les tréfonds de l’âme humaine : tout ce qu’il y de plus sombre, de plus laid ; la manipulation, la violence… Tous ont leur lot de souffrances. D’ailleurs, Arabella représente davantage une anti-héroïne qu’une héroïne à proprement parlé ; je ne savais pas à quoi m’attendre avec elle.
(…) la victime se rendait toujours compte que quelqu'un d'autre contrôlait son cerveau. À une époque, les affirmations telles que « c'est quelqu'un d'autre qui a quitté mes actes » ou « on m'a imposé ces pensées, ces sensations » catégorisaient la personne comme souffrant d'hallucinations psychiques. Depuis que l'existence des sorcières de chair avait été révélé, la tendance s'était inversée.
En 1974, une sorcière avait commis une série de meurtres à Sydney, ciblant de jeunes hommes blancs. La presse s'était emparée de l'histoire. Le terme « sorcière de chair » avait été créé par un journaliste pour nommer la meurtrière. En effet, ses victimes s'arrachaient des morceaux de chair à mains nues lors de soirée mondaine et mouraient vidées de leur sang.
Un thriller bluffant
Sarah maîtrise parfaitement les codes du thriller, elle m’a même bluffée sur ce point ! L’intrigue policière est menée à tambour battant, entre le présent et le passé d’Arabella qui est annoncé par bribes, les meurtres violents qui sont relatés (âmes sensibles s’abstenir)… J’ai dû le lire en deux ou trois jours, mais j’étais tellement prise dans l’histoire que je n’ai pas cherché mes propres hypothèses hors du temps de lecture, et, bien évidemment, je me suis fait avoir, ne m’attendant pas à certaines révélations !
Elle était allée au bout. Que lui restait-il, désormais ? Les sentiments de puissance et de révolte s'étaient évanouis. Ne demeurait que le néant. Elle avait l'impression qu'une partie d'elle-même venait de mourir. Une partie qu'elle ne connaissait pas et ne connaîtrait jamais. Une partie dont elle n'avait jamais soupçonné l'existence avant de la voir disparaître.
La part d'elle qui s'accrochait à la vie.
Australie
Petit plus : l’action se déroule en Australie, dans plusieurs villes plus exactement. Sarah y a voyagé, aussi ses descriptions et les informations qu’elle distille sur ce pays nous font vraiment voyager. Les décors des villes, les restaurants, les terrains plus sauvages etc Sarah dépeint tout cela, si bien que nous marchons nous aussi sur les pas d’Arabella.
(...) les souvenirs qui vivaient dans sa tête étaient trop insupportables pour qu'elle puisse s'en sortir. Elle avait réussi à s'en protéger un temps. Un sursis, mais son esprit était une prison de laquelle il était impossible de s'échapper.
En conclusion
Un premier roman implacable qui réserve son lot de noirceur et de souffrances à chacun des personnages. Une anti-héroïne très ambivalente, imprévisible. Une enquête à tambour rompus à l’écriture maîtrisée. Des scènes trash pour des sorcières qui effraient et que les hommes préfèrent enfermer. À ne pas mettre entre toutes les mains, mais une lecture détonante qui souffle un vent nouveau dans l’urban fantasy en proposant une œuvre noire mélangeant le thriller à la fantasy contemporaine.