Anthelme Hauchecorne, Moitiés d'Âme, tome 1 des Chroniques des Cinq-Trônes, Éditions Gulf stream, 3 octobre 2019
4ème de couverture
Un lien que tisse une Faëe, un mäge seul n’en saurait faire de pareille. Il faudrait deux mäges pour la recréer. Pourquoi ? Parce que vos sentiments sont faibles. Et vos cœurs incomplets. Ce qu’il vous manque, vous le cherchez dans l’autre. Aussi longtemps que vous fouillerez au mauvais endroit… vous resterez des Hälflüngen. Des Moitiés d’âme.
La mägerie n’obéit qu’à un seul principe : elle ne peut s’exercer qu’à deux. Liutgarde le sait. Elle a pourtant fui Ortaire, l’époux qui lui avait été imposé, renonçant ainsi à son pouvoir. Exilée au nord des terres, elle serait morte sans l’aide des caravaniers et de Rollon, un mäge à l’esprit torturé. Épris l’un de l’autre, Liutgarde et Rollon se déplacent en roulottes avec leur communauté dans l’hostile forêt de la Sylverëe, ancien royaume des Faëes de l’Hiver. Mais l’équilibre de cette vie en cavale va complètement basculer, les obligeant à régler les dettes de leurs vies antérieures. Car dans ce monde tout se sait et tout se paie un jour. Leur pouvoir et leur amour suffiront-ils à les protéger ?
Avant-propos
Première lecture de l'année et première découverte des Éditions Gulfstream !
Anthelme Hauchecorne fait partie de ma liste d'auteurs chouchous ! Je vous en avais parlé sur le blog avec deux chroniques : Le Carnaval aux Corbeaux (joyeux macabre) et Journal d'un Marchand de Rêves (onirico-steampunk). Je me procure ses romans les yeux fermés : pour vous dire, je ne savais même pas de quoi parlait réellement Moitiés d'Âme, à part la mention des Royaumes Féeriques, en me le procurant aux Halliennales 2019. Il faut savoir qu'Anthelme est un éternel insatisfait : il serait capable de vous dire sur un salon qu'il trouve Moitiés d'Âme meilleur que son prédécesseur mais que ce n'est pas encore ça ^^ Quoi qu'il en soit, au fil de ses publications, on perçoit la constante recherche et évolution dans son travail d'écriture. Ce premier tome de la saga des Chroniques des Cinq-Trônes ne fait pas exception, et il est l'ouvrage pour lequel j'ai le plus ressenti la quête de perfectionnisme d'Anthelme.
Moitiés d'Âme est estampillé jeunesse, à partie de 15 ans, mais que cela ne vous rebute pas, au contraire : Anthelme nous propose une histoire au sein d'un univers riche et fouillé empreint d'anciennes et sombres féeries, des personnages truculents comme il en a le secret, bref un voyage jusqu'au centre névralgique du Royaume de l'Hiver. Une lecture de saison à boire auprès du feu avec votre plaid de prédilection et votre boisson chaude préférée.
Remarque : vous constaterez dans ma chronique des termes à l'orthographe singulière, il s'agit de la touche d'Anthelme. Et cela confère une touche allemande supplémentaire par rapport à certains mots utilisés, comme Hälflüngen (moitié d'âme).
Mots clefs
saga - premier tome - fantasy - fantasy médiévale - young adult - féerie - anciens contes de fées - royaumes - hiver - magie - mages - sylve - caravane - guerre
Mägerie
L’automne dernier, j’ai lu l’artbook Noces D’écailles d’Anthelme Hauchecorne et de Loïc Canavaggia, paru aux Éditions du Chat Noir. Je ne l’ai pas chroniqué par manque de temps, mais j’espère y revenir. Dans tous les cas, dans ce projet à quatre mains, naissait un univers médiéval qui contait la légende de la Vouivre. Le texte et les illustrations faisaient la part belle à une sylve mystérieuse et dangereuse : déjà résonnait le caractère cruel et pourtant fascinant de féerie ancienne. Justement, tout cela se prolonge avec Moitiés d’Âme !
Anthelme place son intrigue dans un monde de fantasy médiévale qui a, autrefois, vu s’affronter les hommes contre les Faëes. Ces dernières étaient réparties en quatre Royaumes, chacun possédant ses propres caractéristiques : l’Automne (déliquescence), l’Hiver (faim), le Printemps (Arts) et l’Été (colère) ; les Faës de chaque Royaume semblent personnifier chaque saison. Puis vint le Royaume des hommes… et la Guerre des Cinq-Trônes. Les hommes sortirent vainqueurs de ces affrontements. Aussi, des Faëes ne demeurent, à l’heure où nous est conté le récit, que des ruines et des tumuli-faës (tombeaux royaux du Petit Peüple). Cependant, d’avoir côtoyé les Faëes, certains hommes ont appris la mägerie. Aujourd’hui encore persiste ce pouvoir, qui se transmet de façon héréditaire. Seulement, la mägerie a un prix : elle doit être pratiquée à deux, d’où les couples arrangés. La magie solitaire n’existe pas, bien qu’elle soit un mythe. Son utilisation nécessite également l'utilisation de l'arcäne (une substance sécrétée pour tisser les sorts) d’ambre, d’argile, de bois, de sève etc.
Des rafales soufflaient du nord. Elles fleuraient bon le froid, les résineux, les vieilles légendes et septentrion. C’était l’haleine de la Sylverëe, ce monstre sombre qui dormait et rêvait non loin.
C’était un vent de mägerie.
Le parfum du foyer.
Caravane
Moitiés d’Âme s’intéresse au Royaume de l’Hiver, le Royaume féerique le plus mystérieux des quatre. C’est à la périphérie de la Sylverëe hiémale que débute l’intrigue. La Sylverëe est une vaste forêt où ont toujours racines les arbres-faës, debout depuis bien des siècles. Nous y rencontrons Liutgarde, jeune femme qui a fui son mari car les codes du Mägistère ne lui conviennent pas. En effet, Liutgarde est une miresse : une soigneuse. Dans sa fuite, elle a été sauvée par Rollon. Depuis, elle fait partie de la Caravane, ce groupe de roulottes nomades et hétéroclites composé de plusieurs voyageurs aux tempéraments bien différents. Des couples de mäges : Rollon et Liutgarde, Rénard et Pirine, puis Muse et Diane. Mais aussi des non mäges : Maître Cernault, vieil érudit féru de la Faërie, et Griche, forgeron doué pour créer des liänces (anneaux devenus rares car forgés par le Petit Peüple). Tous entretiennent des relations complexes (amour, amitié avec leurs lots de trahison, de retournements de situation et j'en passe !).
Rollon est un fugitif, cependant Liutgarde est parvenu à le convaincre de retourner à la civilisation. La lassitude quant à arpenter la Sylverëe aura eu raison de cette demande, ou bien avait-elle pressenti le lien entre la Sylverëe et Rollon… ? Car la jeune femme a fait un étrange et terrifiant rêve : celui à propos d’une Faëe de l’Hiver réclamant Rollon. Comme à son habitude, l’intéressé ne s’exprime en rien sur ce sujet, malgré l’insistance de sa compagne. Du reste, ils forment un couple bancal, ils paraissent incompatibles, et cela se ressent même jusque dans leur mägerie qui est pour ainsi dire infructueuse. Malgré tout, Liutgarde fait fi de tout cela et c’est bien pour une nouvelle vie qu’elle est parvenue à faire prendre à la caravane entière le chemin du Sud.
Pour autant, c’est cette décision qui va déclencher son effroyable rêve mais aussi des phénomènes étranges à macabres, ainsi que des complications une fois qu’ils débarquent dans la ville de Löprönan… Des croyances vont être remises en question : l’existence de la mägerie solitaire et celle des Faëes. Car après tout, comment ces dernières ont perdu face aux hommes ? Pourquoi ont-elles réellement disparu – si elles ont vraiment disparu… – ?
Contes et voyages
Si les membres de la Caravane sont tous distinctifs et complémentaires, les autres personnages rencontrés au fil de son premier tome sont également marquants. Anthelme démontre à nouveau de son talent et de son aisance à créer des personnages truculents qui ne tombent pas dans la caricature malgré les premières apparences. En effet, au fur et à mesure, nous allons en apprendre davantage sur ces joyeux bougres, au travers de parcelles de leur vie enchâssées dans l’intrigue principale. Mention spéciale au Capitaine qui m’a touchée, personnage bon et bienveillant qui se révèle derrière un physique très burlesque et ses zozotements ; d’ailleurs, vous comprendrez pourquoi ce physique disgracieux à la lecture car il ne s’agit d’un vulgaire stéréotype de la part de l’auteur, bien entendu. Nous croisons également d’autres mäges, imbus d’eux-mêmes et débordant de faux-semblants. Ils sont antipathiques, mais, en grattant la surface, le lecteur entraperçoit d’autres petites choses…
Cette galerie de personnages apporte grandement au récit. Ils sont ambivalents, avec des antagonistes, diversifiant les points de vue nuancés. J’ai particulièrement apprécié les micro-histoires de chacun, rapportés comme des récits au coin du feu. Dans ces mélanges, l’on en revient sans cesse à la mägerie et à la Faërie. Des mäges aux hommes privés de mägerie, aux hommes dont l’existence a été marquée par la Faërie… jusqu’au Royaume d’Hiver, où toute une armée se retrouve à monter son campement/citadelle dans la Sylverëe dont a cherché à s’éloigner Liutgarde. Mais le couple de mäges Cloud et Poppa traque-t-il la Bête ou bien une créature capable de mägerie solitaire… ?
François Dumoilin (@bub4r sur Instagram), Inktobr 2019 Day 17 : Ornament - Linda Bachammar, À nous deux...
Dans les entrailles de la Sylverëe
Retour aux origines pour les membres de la Caravane : la Sylverëe. Mais Rollon va-t-il réellement guider Cloud et Poppa dans leur quête de pouvoir ? Il n’a pas encore délivré tous ses secrets… Liutgarde en était au plus près mais arrivera-t-elle à temps ? Pour empêcher la guerre qui se profile ? Pour sauver son amant et ses amis ? À l’écart du champ de bataille, sous la montagne, dort le Royaume d’Hiver. Après les périples des membres de la Caravane et la guerre, Moitiés d’Âme propose un troisième temps jusqu'au mont Mäg-Mör, dans les entrailles de la Sylverëe. Je n’en dirais pas plus, pour autant, je pense qu’il s’agit de mon passage préféré du roman ! Les décors changent et se teintent explicitement de cruauté, exposant sans fard l’empreinte de la Faërie ancienne. C’est à la fois beau et fascinant, cruel et froid, à l’image de sombres contes de fées.
Personnages féminins
Bien que Rollon soit au centre des différentes intrigues de ce premier tome, à mes yeux c’est Liutgarde qui en est le personnage principal. Elle est loyale, intrépide, courageuse… bref c’est un personnage fort qui porte énormément sur ses épaules. Elle a échappé à sa routine de jeune épousé mariée par obligation, quittant la noblesse pour vivre à la mode roturière. Même face à sa relation difficile avec Rollon et les nombreux secrets de celui-ci, elle n’abandonne pas. Elle va se dépasser, dans sa quête de savoir et de compréhension face à tout ce qui lui échappe. Elle donne énormément d’elle-même, tout en étant têtue. Ce personnage offre réellement un souffle très positif au récit et je gage qu’il fera beaucoup de bien aux jeunes lecteurs.
Bien sûr, dans l’ombre de Rollon et Liutgarde, demeure cette voix, cette Faëe. Elle m’est apparue comme une antagoniste de la jeune miresse et pourtant, je les ai trouvées plutôt complémentaires… Les sentiments ne sont pas propres aux Faëes, pourtant se pourrait-il que Dame Hölle soit différente, car après tout, pourquoi est-elle seule ?
Pour conclure
Moitiés d’Âme est tout d’abord un magnifique objet-livre de 500 et quelques pages : couverture semi-cartonnée, dorure cuivrée sur la couverture, signet en tissu, une typographie intérieure soignée, un petit lexique à la fin de l’ouvrage ainsi que des notes de Maître Cernault, le trône de l’Hiver représenté sur la tranche (si si), sans oublier l’illustration originale et la carte réalisées par O’lee qui nous font directement entrer dans l’univers du roman !
Le contenu n’est pas sans reste ! Il propose un voyage immersif et grandement visuel, cinématographique même, jusqu’aux scènes et dialogues, que ponctue le travail d’écriture d’Anthelme sur le découpage et le déroulement de chaque chapitre. L’intrigue se compose de trois parties distinctes, avec l’incursion de fragments de vie du passé et récits de vie des personnages principaux mais aussi secondaires. De protagonistes à antagonistes, la frontière est trompeuse, de même que chaque intervenant se révèle gris. Mention spéciale à la dernière partie du roman que j’ai grandement appréciée, surtout qu’elle laisse des réponses encore floues à certaines interrogations disséminées dans ce premier tome.
Avis aux amatrices et amateurs de fantasy immersive et visuelle, aux personnages truculents et travaillés qui surprennent, aux histoires de fées et plus particulièrement des anciens et sombres contes, aux personnages féminins forts, à l’hiver, à la magie, à l’écriture impeccable : ne passez pas à côté de ce roman ! Il ravira les jeunes lecteurs (à partir de 15 ans), comme les adultes !
Moitiés d'Âme est le premier opus d'une tétralogie, je gage que vous aussi saurez patienter pour le tome suivant car la qualité demande un temps nécessaire de maturation des idées et de travail d'écriture !
"The Mountain is a potent yet minimalistic ode to loss and hope. Telling a tale of soul in distress, goes forth on a journey and faces death, transformation and rebirth"
Anthelme Hauchecorne en dédicace au Furet du Nord de Douai le 18/01/2020 ! (photo sur la page Facebook de la librairie)
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L'atelier d'Anthelme Hauchecorne
Anthelme bricole des univers de poche. Anthelme donne une seconde vie aux histoires les plus cabossées.
À lire aussi :
* J’ai beaucoup pensé au roman La Sève et le Givre de Léa Silhol : pour les Royaumes des Fées répartis en Cours et leur caractère ambivalent et froid, leurs liens avec la Nature.
* L'artbook Noces d'écailles d'Anthelme Hauchecorne et de Loïc Canavaggia, une revisite de la légende la Vouivre que j'ai évoqué en avant-propos. Anthelme à la plume et Loïc aux dessins et peintures pour un ouvrage grand format de qualité et des illustrations nombreuses, pleines pages pour l'essentiel et en couleurs !
Bon à savoir : le roman La Sève et le Givre se trouve toujours d'occasion, voire en librairie comme Les Quatre Chemins à Lille !
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Noces d'écailles - Éditions du chat noir
Octobre 1345, Comté de Bourgogne. Fuyant la colère du baron, Aymeric Jodelet, peintre et coureur de jupons, doit s'exiler de son village. L'artiste trouve refuge dans la forêt voisine, au mépri...
https://www.editionsduchatnoir.fr/catalogue/graphicat/noces-decailles/