Mermere, Hugo Verlomme, Éditions ActuSF, Collection Les Trois Souhaits, 24 janvier 2020

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Zariel

illustration de couverture par Zariel

4ème de couverture

— En toi, deux mondes ennemis confluent, ne l’oublie jamais, dit Noah.

— Le monstre qui a envahi ton rêve… a bercé l’histoire de la Terre, et ton histoire aussi. Sur Terre, cela s’appelle un « arbre ».

Arbre… Horn connaissait ce mot. Mais rien ne lui avait suggéré toute la vie dont il était porteur. C’était le frémissement même de cette vie qui l’avait arraché à son sommeil. Cette intrusion en lui d’une Terre qu’il n’avait jamais vue, il la ressentait comme une réalité à la fois attirante et repoussante.

Qu’y avait-il encore au fond de sa tête ?… Quel âge avait vraiment sa mémoire ?
Ce jour-là, Horn prit conscience de la confluence qui l’habitait.

Avec ce roman culte, revu et corrigé à l’occasion de cette réédition, Hugo Verlomme nous entraîne dans les méandres d’un monde océanique débordant d’aventures et de merveilles. Une fable écologique qui n’a rien perdu de sa force, ni de sa poésie ; une ode à notre mère la mer, à la tolérance et au respect de chacun.

Hugo Verlomme fait partie des rares écrivains ayant consacré tous ses livres, romans et documents à l’univers marin. Très impliqué dans la défense des océans, il passe son temps sur les terres et les mers pour initier ses semblables aux mystères et beautés du monde aquatique.

Avant-propos

Je m’excuse à nouveau pour le retard que j’ai pris dans la lecture et donc la rédaction de ma chronique à propos de Mermere. Aussi je remercie Jérôme des Éditions ActuSF pour sa confiance dans le cadre de notre partenariat de services presses.

Mermere s’est révélé une lecture incroyable, une ode à la mer et à sa faune en mode épopée écologique. Je suis passée par bien des émotions et ce roman m’a touchée de par sa dimension spirituelle avec son approche des rêves et de nos énergies.

Comme d’habitude, je vous propose une version synthétisée de mon retour en guise de conclusion (en gras à la fin), pour celles et ceux qui fuient les textes longs.

Mots clefs

mer - écologie - eau - faune marine - société - écosystème marin - SF – science-fiction utopiste et maritime - intemporel - nature - diversité - tolérance - pollution - sauvage - épopée - ode - poésie - espèces - inter-espèces - antispécisme - contemplation - méditation - vision chamanique - énergie - langage des rêves – spiritualité

Marco Zagara

Marco Zagara

Un roman intemporel

Si Mermere a été publié la première fois en 1978, ce texte brille toujours par sa force et marque plus que jamais la nécessité de prendre soin de notre environnement. La puissance de ce roman se trouve dans l’univers et les thématiques abordés mais aussi par le point de vue et l’écriture sublime et poétique qui m’a tant captivée.

Dans les océans, tout circule, tout est dans tout, il n’y a jamais deux fois le même paysage, jamais deux fois les mêmes sensations, tout est issu de tout, rien ne disparaît. La mer qui touche les rivages de la Terre est aussi celle qui court autour du globe. C’est l’eau qui gèle dans les prisons de glace, qui se hisse en trombe, qui déferle en lourds paquets, c’est elle qui s’envole dans les bras avides des nuages, elle qui est génératrice de vie, qui est aliment, espace, corrosion, poison, énergie, froid, chaud, joie, mort…

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuSF

Mermere

Hugo Verlomme nous conte Mermere, le monde des noés, descendants de terriens ayant fui la terre ravagée, polluée et toxique, pour la mer. Ils vivent sous l’eau, sachant y respirer grâce à une greffe organique, un okam. À l’aise dans cet élément aquatique, sur le plan physique, il diffère quelque peu des hommes terrestres par leur capacité à nager. Ils vivent en harmonie avec la faune aquatique, dont certains représentants vivent auprès d’eux, non pas comme animaux de compagnie mais comme des frères et des sœurs. La relation inter-espèces mise en place possède ce quelque chose de naturel et d’émouvant (en tout cas pour moi qui suis végane). Puis il y a également les transfuges, des terriens qui rejoignent la mer : ils sont scannés avant qu’on leur accorde le port d’un okam.

Le ciel !
Horn fut décontenancé par la vision qu'il eut ce jour-là. Découvert par la cime d'une vague, le jeune noé émergea tel un bouchon dans les bras disloqués de l’écume. Plus encore que le spectacle vertigineux de la mer énorme, il eut la révélation d’une immensité infinie. Sous le coup d’épaule d’une lame, il se sentit propulsé vers le haut, flèche jaillissant de l’arc des océans pour aller percer la surface de ce globe sans fin. Une surface… encore une surface !
Où était donc son espace à lui, vers quelle surface se dirigeait sa vie, où était la fin, le commencement ? Le ciel, ah ! … une pesanteur inouïe, qui le rejetait implacablement vers son territoire, son merroir.
Petite poussière aux yeux profonds, qui es-tu pour oser braver les éléments du regard ?

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuS

Le Volcan

Dans cet univers, nous suivons dans un premier temps la vie au Volcan, domaine phare du territoire noé car c’est là qu’est établi Noah Noé, l’un des descendants du premier Noé. L’auteur nous introduit sans préambule dans la vie au Volcan, avec notamment l’histoire de Noah et de Masha, sa compagne, cosmonaute venant de la terre, qui avait été capturée après une mission dans l’espace. De leur union est né Horn, un garçon fascinant à la chevelure blanche et aux yeux mauves. Sa particularité physique fait écho à sa particularité intérieure (il est par exemple télépathe), enfant de deux mondes qui rêve d’un arbre sans en avoir jamais vu. Horn devient adulte et peu à peu il se dirige dans une quête, guidé par ses énergies intérieures et ses rêves.

Certains jours, il m’arrive de souhaiter la venue d’une grande catastrophe naturelle qui remettrait tout en question, qui tuerait des milliers d’êtres pour tenter de sauver l’humanité, qui raserait les édifices empoisonnés érigés par la science…
(Extrait d’un roman de la fin du XXe siècle, retrouvé par Emmolrev)

Hugo Verlomme, Ed. ActuS

Épopée

Mermere raconte une véritable épopée, tissée d’une pléiade de personnages, aussi bien noés, que cétacés et une brochette de terriens. Entre deux mondes, rebuté et en même temps attiré par la terre, Horn cherche son chemin, il doit voir de ses propres yeux. Car les noés sont considérés comme des terroristes sur terre, incriminés d’une pandémie toxique ayant décimé une partie de la population. Si Noah organisait quelques guérillas, les hommes terrestres n’ont pas réellement les moyens de les localiser, bien qu’un homme politique cherche coûte que coûte à les traquer, à les débusquer. Pourtant, lorsque les noés de la Grande Plaine sont contraints d’essaimer au Volcan à cause des terriens, puis lorsque des orques gladiateurs (« fabriquées » en laboratoire sur terre) attaquent, la quête de Horn se dessine, protecteur pacifiste des mers et océans.

Ils rencontrèrent rapidement les premiers débris flottants, banquises plastifiées, matières indéfinissables en décomposition qui portaient la triste signature de la Terre. Parfois leur peau piquait, agressée au travers des combinaisons par des éléments étrangers. Produits rejetés, plastiques, objets abandonnés, poupées fantômes, pléthore étouffante d’artéfacts, les artifices du paradis… Pourtant, derrière sa révulsion, une réflexion revenait dans la tête de Horn : « De la même façon que les noés sont venus par la Terre, leur survie passe par elle. »

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuSF

Inter-espèces

Noés comme cétacés sont présentés de la même manière : prénoms, relations… Certains cétacés parviennent à communiquer avec les noés, notamment Loul, la dauphine attachée à Noah qui parvient jusqu’à articuler des mots. Noés et cétacés partagent des relations amicales, même si la plupart des cétacés ne demeurent pas à proximité du Volcan. Cette vie harmonieuse entre espèces aborde malgré tout quelques failles sous le regard aveugle de Mush, un noé âgé de la Grande Plaine : finalement, il semble que ce sont les cétacés qui se soient adaptés aux noés plutôt que l’inverse… Puis il y a Loul, la sage Loul, Loul qui ressent des émotions et angoisse humaines, qui rêve d’une espèce unique, entre noé et cétacé…

« Terre, Terre, pourquoi engendrer des enfants matricides, pourquoi laisser les hommes se reproduire jusqu’à t’écraser sous leur nombre ? Pourquoi laisser les apprentis sorciers jongler avec la mort aux relents de nucléaire ? »

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuSF

Différents noés – spiritualité

Si le nombre conséquent de personnages en rebute certain.e.s, pour ma part, j'ai grandement apprécié la galerie proposée par l'auteur. Entre fragments de vie et de pensées diverses, Hugo Verlomme insuffle ainsi à son roman l'importance et la préciosité de l'empathie, de l'étude de plusieurs points de vue. Car c'est à travers les rencontres et les échanges que nous nous enrichissons, que nous élargissons notre conscience et que nous nous nourrissons intérieurement.

Ici le Volcan incarne en quelque sorte la capitale de Mermere, il existe d’autres territoires investis par les noés, où les échanges sont quasi-inexistants. Il est même fait mention de certaines contrées plus sauvages qui ignorent l’existence du Volcan. Ou le Grand Centre, à l’atmosphère très particulière, où l’on découvrira des noés rebelles auxquels a été retiré leur okam et qui s’unissent aux cétacés…

Arrivés au Volcan, les noés de la Grande Plaine dénotent au départ avec leur régime alimentaire exclusivement végétal, leurs chevelures teintes et leurs discussions autour d’une pipe d’agartha. Bien que déjà pourvu d’une grande richesse intérieure, Horn va aller plus loin en compagnie de Mush, l’aveugle qui nage sans combinaison en compagnie du dauphin Alvar. Car le vieux Noé va l’initier davantage à la spiritualité, aux rêves/visions chamaniques. Si la perception de celui aux yeux mauves était déjà tournée sur les énergies, elle s’agrandit et lui montre d’autres voies. Ce qui le conduira à quitter Mermere pour entamer son épopée jusqu’à la terre.

Jadis, un homme avait dit : « La confluence est l’approche du néant. Dans la confluence totale, la présence remue. »

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuSF

Les terriens

Si le roman se passe exclusivement en Mermere, l’intrigue présente malgré tout des passages sur terre. Plusieurs générations après l’accident toxique qui a clairsemé la population, la crise gronde à cause de maladies et de déformations au sein des populations. Si elles ont pour origine les technologies, les hommes et femmes de pouvoir se le cachent ou l’ignorent. Parmi eux, Al Kawsini se moque un peu de tout cela. Obsédé par les noés, il ruse depuis des années à amener les dirigeants à traquer les hommes-cétacés. C’est lui qui est l’instigateur des orques gladiateurs. Son dernier coup d’éclat est d’arrêter d’envoyer dans l’espace les containers de déchets pour déverser ces derniers, comme autrefois, dans la mer… S’il vous paraît manichéen, ce personnage se révèle plutôt mégalomane, il croit réellement que les noés sont une menace, en même temps qu’il s’intéresse au procédé qui les fait respirer sous l’eau.

Marco Zagara

Marco Zagara

Écrire la mer

Je n’avais encore jamais lu de roman qui dépeigne la mer de cette façon ! L’ensemble de la bibliographie de Hugo Verlomme, impliqué dans la défense des océans, se consacre à l’univers marin. À travers sa plume poétique, onirique même, j’ai ressenti sa passion et sa connaissance pour le monde marin. La mer et les éléments naturels sont des entités propres, des personnages à part entière auxquels les noés sont à l’écoute, face auxquels ils se montrent humbles. Les descriptions et les personnifications des éléments sonnent avec brio et justesse, j’ai été propulsée aux côtés des noés au cours de ma lecture, percevant le roulis ou le calme des flots, la chaleur et le froid, la pluie purifiante, la caresse des algues, la proximité avec les cétacés, le chant des baleines, le rire des dauphins…

L’eau. L’EAU.
En dedans, en dehors, partout à la fois. Fourmillement incessant qui court sur le corps, frisson mouillé qui gratte le cerveau, le cerveau, le cerveau… Je ne respire plus ; ni besoin ni envie. Mon corps est un ensemble de liqueurs renouvelées, une pluie vitale canalisée dans des milliards de vaisseaux, de vaissEAUX. Une simple ligne de démarcation entre le vide du ciel et le vide abyssal. Je ne suis qu’une parcelle infime de l’horizon…

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuSF

Aujourd’hui

D’un autre côté, j’ai aussi été percutée par la véracité des propos de l’auteur, par leur écho en moi, en ce qui concerne la pollution, la dégradation de notre écosystème, le spécisme… tout cela est malheureusement toujours d’actualité, avec des répercutions flagrantes ces derniers temps (destruction de la forêt Amazonienne, incendies en Australie, la pandémie que nous traversons, le phénomène des algues rouges qui a tué nombre de tortues vertes, la disparition massive d’espèces animales et végétales, les saisons perturbées…).

— Souvent j’ai cherché dans cette multitude une planète nommée Terre, reprit Noémi, une belle planète qui ne serait pas dominée par ses enfants… Et puis… je pense aux bestiaires de plastique qui flottent vers Sable, aux oiseaux radioactifs, aux ordures nauséabondes qui viennent troubler notre sommeil et empoisonner ceux qui respirent ces vomissures…

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuSF

Conquête de l’espace

Mermere met donc en avant la destruction progressive de notre planète, dont nous sommes les acteurs à toutes échelles confondues, des continents aux océans, mais aussi plus loin avec la conquête de l’espace et la recherche d’une autre planète viable. En ce qui concerne ce dernier point, je ne m’attendais pas à la tournure que prendrait à la fin le récit. Pourtant j’ai trouvé cela surprenant, intrigant et au final, il s’agit, à mes yeux, d’une parfaite correspondance, d’une logique continuité avec les valeurs et le mode de vie de Mermere, même s’il demeure une part utopique indéniable.

Zdzisław Beksiński, Obraz AG76

Zdzisław Beksiński, Obraz AG76

Réflexif et intemporel

Habité par les mystères de Mermere, Hugo Verlomme a établi un enchevêtrement entre passé, présent et futur, instaurant de nombreuses pistes de réflexion sur notre monde d’aujourd’hui, pour sensibiliser à ces notions, orientant sur la façon d’agir pour le préserver. Aussi le personnage de Horn illustre à merveille tout cela, puisque nous le suivons durant un bon moment de sa vie, découvrant l’évolution de ses pensées, de sa perception… Nous ne pouvons que nous interroger, nous interroger davantage, à propos de notre société de consommation, notre gestion des déchets, notre consommation d’eau, notre rapport à l’environnement, notre lien dénaturé à la terre, avec les animaux…

Dans un monde qui va trop vite, qui fait l’éloge des nouvelles technologies, où se trouve la place à la Nature, à l’entretien de notre sensibilité, de notre clairvoyance… ? Au-delà de sa dimension écologique, Mermere nous imprègne de sa spiritualité, de notre existence qui est avant tout une quête vers nous-même.

Entre science-fiction et anticipation, ce roman intemporel se superpose en partie au monde d’aujourd’hui et à celui de demain. Le passé qui a conduit à la naissance de Mermere a des airs de notre présent. Nous venons de la mer, de même que toute forme de vie sur terre, mais nous n’en prenons pas suffisamment soin. Quel sera le monde de demain si les choses continuent en ce sens ?

Les fonds marins gardent cependant certains secrets, comme l'illustre à merveille l'appel des abysses. Pour autant, le mode de vie des noés contient un  remède essentiel aux maux de la terre : la tolérance, le respect et l'écoute de la nature.

« L’homme qui est assis sur le sol de son tipi pour méditer sur la vie et son sens, a su accepter une filiation commune à toutes les créatures et a reconnu l’unité de l’univers ; en cela il infusait à son être l’essence même de l’humanité. »

Hugo Verlomme, Mermere, Ed. ActuSF

Conclusion

Véritable ode à la mer et à la Nature, Mermere déploie un univers de science-fiction utopiste qui nous propulse dans un monde marin et sous-marin. Là, se sont établis les noés, descendants de terriens ayant fui la terre ravagée pour la mer. Les noés vivent en harmonie avec la faune et la flore. Nous suivrons notamment l’évolution de Horn, fils d’un noé et d’une transfuge (terrienne devenue noée), tiraillé entre deux mondes, celui de la mer et celui de la Terre qu’il n’a pas connu, qui l’attire et le rebute à la fois.

Hugo Verlomme nous entraîne dans une épopée, dans le sillage d’une pléiade de personnages, noés, cétacés et terriens. Il nous embarque dans un style poétique et onirique, développant une richesse incroyable avec une approche personnelle de la mer, allant jusqu’à personnifier les éléments.

Œuvre intemporelle, Mermere se hisse, tel Horn, en protectrice pacifiste des mers et des océans, avec son discours écologique toujours d’actualité qui fait prendre l’ampleur de la pollution, de la destruction des habitats naturels… tout en questionnant sur notre lien à la Nature, aux animaux, entre nous.

Mermere m’a émerveillée, m’a fait passer par un tourbillon d’émotions, m’a heurtée par ses thématiques actuelles, entre écologie et spécisme, auxquelles je suis sensible. Il m’a également fait voyager, ressentir la nature et m’a accompagnée par sa dimension spirituelle tournée sur les rêves/visions et l’énergie intérieure.

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E
Je pense que c'est vraiment un roman qui peut me plaire ! En plus je lis très peu de livres "aquatiques" donc ça va me changer, et puis les thématiques m'intéressent à mort ! Il a l'air vraiment bien !
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M
Il est dans la liste de mes romans préférés maintenant :) Cette lecture a été incroyable !