Ce qui hante les bois, Dawn Kurtagich, Éditions du Chat Noir, collection Cheshire, 1er avril 2020

Publié le par Maude Elyther

couverture par Raquel Neira

couverture par Raquel Neira

4ème de couverture

Fuyant un père qui les maltraite, Silla et Nori arrivent à «La Baume», le manoir de leur tante, une vieille bâtisse couleur de sang. Pour la première fois, les deux sœurs se sentent enfin en sécurité. Mais peu à peu une sombre réalité se dévoile… Le bois qui entoure la propriété n’est-il pas trop silencieux ?

Tant de questions restent sans réponse : qui est cet homme que seule Nori peut voir ? Tante Cath n’est-elle pas en train de sombrer dans la folie ? Et pourquoi les arbres semblent-ils se rapprocher ?

« Ce livre hantera le lecteur avec ses émotions brutes, sa peine palpable, et ses personnages si bien campés… Terrifiant et addictif, ce roman gothique va facilement entraîner les fans dans sa sinistre hystérie. » Kirkus Reviews

« Les lecteurs vont avoir du mal à décrocher de cette histoire vraiment effroyable, tandis que le sanctuaire des deux sœurs se transforme en cauchemar. » Publisher’s weekly

Avants-propos

Sans doute est-ce dû à mes cogitations à propos d'un projet de roman (un spin-off à Crimson Wood) : en ce moment j'ai envie de lire des romans gothico-horrifiques. Pour cela, rien de mieux que de piocher dans ma PAL du Chat Noir ! J'ai malheureusement été déçue par WaterWitch, mais avec ce titre de Dawn Kurtagich, j'ai trouvé une nouvelle autrice à suivre. D'ailleurs, avant Ce qui hante les bois, est paru The Dead House, que je pense lire prochainement.

Avec Ce qui hante les bois, tous les ingrédients d'une œuvre gothique et horrifique sont réunis : manoir, solitude, tourments, folie... et plus encore, grâce à la plume de l'autrice.

Mots clefs

Young adult - horreur - gothique - fantastique - roman psychologique - manoir - Croquemitaine - folie - famille dysfonctionnelle - bois - corps malade - huis clos - tourments - décrépitude - faim

illustration de Lenka Simeckova

illustration de Lenka Simeckova

L’histoire

Silla emmène Nori loin de leur maison à Londres. Fuyant un foyer avec un père violent, les voilà arpentant le chemin lugubre d’un bois, direction La Baume, un manoir familial qui incarne la lumière pour Silla. Là, les deux filles sont accueillies par leur tante Catherine – Cath la folle. Cependant, alors que de meilleurs jours chassent les noirceurs antérieures, Cath part s’enfermer au grenier. Alors âgées de 14 ans et 4 ans, les deux sœurs se retrouvent seules, devant survivre avec les moyens du bord car le manoir est coupé du monde extérieur. Recluses dans La Baume qui se transforme, elles vivent dans l’ombre du Croquemitaine vivant dans Python Wood, le bois par lequel elles sont arrivées. Alors que Silla a l’impression que les arbres avancent vers le manoir et que Nori sourit au mur, qui est Gowan, ce garçon qui émerge tout à coup dans leur quotidien ?

 

Manoir gothique

Lorsque Silla découvre La Baume, le manoir familial étrange avec ses murs peints en rouge sang, il n’a rien à voir avec la demeure qu’elle s’était imaginée. Cath y vit seule depuis longtemps et l’intérieur ne se révèle pas aussi sécurisant qu’elle l’escomptait. Pièces clairsemées, planchers qui grincent, toiles d’araignées, serpent dans les toilettes… pourtant les deux sœurs vont y vivre de merveilleux et chaleureux moments en compagnie de leur tante. Jusqu’à ce que la raison de celle-ci ne s’estompe complètement et qu’elle laisse Silla et Nori à leur triste sort.

Et voilà que le manoir se transforme lentement à son tour… Véritable entité vivante qui grince, respire, soupire, avec ses textures (la tapisserie qui se décolle comme des lambeaux de peau, l’humidité qui fait gonfler le bois…) et ses odeurs (moisissure, viande avariée…), il fait écho à la décrépitude des corps des deux filles qui sont vouées à la faim.

 

Huis clos

Livrées à elles-mêmes, les sœurs tournent dans le manoir, alors que la menace des bois contenant le Croquemitaine oppresse de plus en plus Silla, l’aînée, qui s’occupe de Nori comme de sa propre enfant. Elle la tient éloignée de Python Wood, s’en se douter que le Croquemitaine approche déjà sa sœur… Les journées se superposent de façon cyclique : Silla cherchant de la nourriture pour préparer à manger à Nori, alors que le jardin meurt et que les réserves de nourritures diminuent.

Elles sont coupées du monde extérieur car le manoir ne possède pas de technologie moderne : plus de téléphone, une radio qui fonctionne à peine… Et alors que les rumeurs d’une nouvelle guerre sont parvenues jusqu’à La Baume et que Silla a découvert que le village voisin, où Cath allait s’approvisionner, a été déserté, le sentiment qu’elle et Nori sont des survivantes s’intensifie et ajoute au caractère oppressant de leur situation.

 

Tourments

Au départ, de leur passé, nous savons uniquement la violence de leur père. Aucun détail quant à leur fuite de chez elle. Le lecteur suppute juste qu’il s’en ait pris à Nori. Nous percevons bien les ténèbres tapies en Silla, ce qui lui confère un tempérament d’autant plus ambigu, elle qui est partagée entre prendre soin de sa sœur, coûte que coûte, et cette colère qui la submerge par moments. À sa psychologie tourmentée, s’ajoute les supplices de la faim et la déliquescence des corps. Voilà trois ans que Cath est montée au grenier et que les sœurs survivent dans La Baume. La nourriture se fait rare et Silla démontre d’une forme d’anorexie pour nourrir sa sœur. Elle perd des dents, des cheveux… mais ce qui l’inquiète le plus est cette moisissure qui, après l’intérieur du manoir et leurs vêtements, investit leurs peaux.

 

Folie

Cath est folle, mais qu’en est-il de Silla ? Elle se pose sérieusement la question, alors que les phénomènes fantastiques et terrifiants se multiplient et prennent de plus en plus de mesure, de place dans leur quotidien, jusqu’à investir les replis de la conscience de Silla. Elle tente de cacher tout cela à Nori, lui faisant croire à des jeux. Mais tandis que les journées se répètent, de plus en plus oppressantes, les liens entre ce qu’elles traversent et le passé de leur mère et de leur tante se croisent, s’entremêlant jusqu’à ne plus sembler faire qu’un. La folie, affaire de famille ?

Silla commence à ne plus savoir ce qui est réel ou non. Son esprit devient tortueux, labyrinthique comme La Baume dans laquelle elle tourne en rond, dans laquelle elle se sent devenir folle. Dans ce décor, Gowan apparaît comme une lumière, mais ne dit-on pas que les apparences sont trompeuses ?

 

Lecture envoûtante

Narré à la première personne du singulier, sous le point de vue de Silla, Ce qui hante les bois propose également des passages écrits par Nori, des bribes de l’enfance de Cath et de la mère des filles, ainsi que des fragments que couche sur papier Silla (ou bien Cath ?). Ce mélange qui impose une mise en page particulière et soignée (taille des caractères, polices d’écriture, mise en page de certains mots…) participe à l’étouffement crescendo du récit. Alors que Python Wood avance sur La Baume pour l’engloutir et que Silla se perd dans les méandres du manoir comme dans ceux de son esprit, la narration apporte également cette notion de sombrer (chuter comme perdre la raison).

Dawn Kurtagich elle-même a travaillé son roman de cette manière, offrant un aspect visuel qui dérange à un autre niveau de lecteur. Autre résultat de cette façon de travailler autrement le texte aux résonnances musicales : une manière d’envoûter le lecteur. Fascinés et horrifiés par l’histoire de ces deux sœurs, nous sombrons nous-aussi avec elles, prisonniers de l’engrenage implacable instauré par le bois dévorant et le manoir labyrinthique.

Les chapitres courts, les narrations multiples qui se croisent et la mise en page spécifique font de Ce qui hante les bois un véritable page turner dans lequel le lecteur se retrouve prisonnier à l’instar de Silla et de Nori dans La Baume.

 

Dénouement heureux ?

Tout au long de sa lecture, le lecteur se demande quelle sera la fin. Il espère un dénouement heureux pour Silla et Nori, pourtant, les tourments qui les affligent peuvent-il seulement être résolus… ?

L’autrice a judicieusement glissé au cours du récit des pistes, tout comme des pistes pour détourner le lecteur de réponses. Cela ajoute des mystères et intensifie l’atmosphère lourde et perturbante du texte. Pour ma part, j’avais deviné certaines choses, sans que cela ne gâche mon plaisir de lecture puisque je n’avais aucune idée quant à la conclusion. Et lorsque celle-ci est arrivée, elle a été totalement inattendue qu’elle s’est imposée comme une réelle chute en même temps qu’une ouverture imprévue sur quelque chose de bien plus vaste !

Après les tourments, la maladie, la décrépitude du corps, le rapport à la faim, l’esprit pris au piège, qu’y a-t-il ? Vous le saurez en lisant Ce qui hante les bois. Je précise que Dawn Kurtagich a eu des problèmes de santé ce qui renforce certains passages de ce roman : en abordant des sujets qu’elle a traversés, l’autrice touche à nos peurs et angoisses les plus profondes, celles de notre rapport à la maladie, à la faim, à notre corps.

 

En bref : Ce qui hante les bois s’impose par son atmosphère gothico-horrifique dans laquelle le lecteur se trouve englué, pris au piège comme Silla et Nori. Alors qu’elles ont fui un foyer violent pour trouver la lumière et la sécurité, les deux sœurs se retrouvent à faire face à la solitude et à la faim. La folie se resserre autour d’elles, tandis que le manoir et le bois se meuvent et deviennent entités vivantes à part entière.

Huis clos psychologique, ce one-shot envoûte, fascine et révulse grâce à son écriture musicale, à la narration multiple et à la mise en page spécifique. Silla sombre de plus en plus dans les ténèbres tortueuses, jusqu’au point de rupture.

Ce qui hante les bois raconte surtout l’amour de Silla pour Nori, sa petite sœur qui porte sur elle les marques d’une famille dysfonctionnelle. Elle lutte et survit avant tout pour elle, car elle lui a promis la sécurité d’un nouveau foyer.

Dawn Kurtagich met en scène notre rapport au corps, à la maladie, à la faim, à la folie et cela sonne terriblement juste. Elle nous entraîne dans les méandres de l’esprit de Silla, de La Baume et de Python Wood, disséminant des pistes, comme le Petit Poucet ses miettes de pain.

Ce qui hante les bois, Dawn Kurtagich, Éditions du Chat Noir, collection Cheshire, 1er avril 2020

Publié dans chronique personnelle

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F
Je l'ai lu il y a environ un mois et je l'ai adoré ! Que ce soit pour l'ambiance, cette folie qui rode au travers de tout le récit, ces personnages mystérieux, ce lieu incroyable, qui inspire à la fois la sécurité et l'horreur. Bref, ce fut un coup de cœur, et il est plus que temps que j'écrive ma chronique dessus :D
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M
Je ne suis pas étonnée que tu aies autant aimé ! :) Hâte de découvrir ta chronique à son propos ! J'espère bientôt lire "The Dead House" :)