Les Chaînes du Silence, Céline Chevet, Éditions du Chat Noir, collection Griffe Sombre, 1er avril 2020

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Tommy TC

illustration de couverture par Tommy TC

4ème de couverture

Après avoir sauvé la vie d’un vampire, Nathanaël est contraint de fuir son village. Réfugié au plus profond de la forêt où ces créatures gardent les ombres, il est adopté par l’une d’entre elles qu’il nomme Kael, scellant ainsi son destin.

Malgré sa nouvelle condition d’animal domestique et le silence permanent de son maître, Nathanaël observe la communauté qu’il intègre et dont il ignore tout. Pour la première fois, il apprend à contempler ces espaces immenses qui isolent les hommes et abritent les Bêtes, ces créatures issues d’un autre temps.

Lui, l’humain fragile et sensible, symbolise tout ce que les vampires immortels ne regardent plus. Mais parce qu’il choisit de s’attacher pleinement à son maître, leur vie en est bouleversée. De ces chaînes nait un espoir. La liberté. Pour tous les deux.

Avant-propos

Alors que j’ai accumulé les romans de Céline Chevet dans ma bibliothèque, il était grand temps que je commence à en lire ! C’est chose faite avec Les Chaînes du Silence, un roman qui propose une vision fascinante et grandiose de ces créatures à longues dents que j’apprécie particulièrement. J’ai été touchée par cette histoire, par le tissage/la construction de l’amitié entre Nathanaël et Kael ; j’ai adoré les mystères de la forêt et des Bêtes. La notion d’écologie imprègne les pages de ce bijou, avec un questionnement sur les transformations, le devenir, l'ensemble avec une touche flirtant avec le spirituel et suggérant un Tout.

Mots clefs

Vampires – Nature – forêt – amitié – liens – Bêtes – art – beauté – liberté – silence – fable écologique – Entre Monde – tristesse – transformation/évolution – rapport aux autres/à la Nature/aux animaux – anthropomorphisme – spécisme – univers – cosmos – Tout

by Ted's little dream (détail)

by Ted's little dream (détail)

Vampires & Bêtes

Dans l’univers des Chaînes du Silence, nous trouvons des êtres humains, des vampires et des Bêtes. Les premiers, en voie d’industrialisation, sont armés contre les vampires qu’ils tiennent éloignés de leur bourgade. Quant aux Bêtes, ils les ont reléguées au rang de mythes, à tel point que pour les trouver, il faut se pencher sur les livres pour enfants. Les hommes possèdent le feu et ils se croient également forts de leurs armes. Pour eux, les vampires sont des animaux barbares et meurtriers, alors les Bêtes… Un groupe de religieux voue néanmoins un culte à ces dernières, les reliant à la Nature. Mais qu’en est-il réellement de l’essence des vampires et des Bêtes ?

Nathanaël et Kael

Nathanaël habite à Gaëul, bourgade qui craint la forêt, ne s’y aventurant jamais la nuit et à de rares exceptions le jour (et uniquement pour atteindre le village suivant en s’épargnant un détour de deux jours). Car les hommes redoutent les attaques de vampires. La nuit, pour les tenir éloignés de leurs remparts, ils badigeonnent leur porte de sang animal, le sang mort rebutant les vampires. Nathanaël vit une vie tranquille, il a son travail à l’imprimerie, une bande de copains, une jeune femme avec laquelle il se voit marié… Jusqu’au jour où un meurtre bestial est perpétré au sein de Gaëul. Dans les suites, une vampire demande l’aide de Nathanaël. Celui-ci décide de lui accorder son aide ; sa vie en sera à jamais changé.

Se retrouvant fugitif, à fuir dans la forêt, Nathanaël se fera adopter dans un clan vampire, une société matriarcale. L’adaptation essuie les maladresses de son « maître », un jeune vampire. Pourtant, il est le seul humain dans la ville vampire et le lien qui se tisse entre lui et son maître sera mal perçu. Nathanaël et le vampire s’attachent imperceptiblement l’un à l’autre, si bien que le second nomme naturellement le second, Kael, alors que les vampires ne possèdent pas de nom. Puis survient un rite initiatique, le passage à l’âge adulte pour Kael.

Mœurs vampiriques

Alors qu’il vit auprès de Kael, Nathanaël ne saisit pas tous des codes vampiriques. Seule la mère de Kael, qu’il a nommée Téméra, concède à lui lâcher quelques mots. Les vampires ne s’expriment pas verbalement : user du langage les abaisse alors qu’ils sont supérieurs, par l’ordre naturel, aux humains. Nathanaël découvre néanmoins leur grand intérêt pour les arts (sculptures, musique), certains outils humains créés à partir du feu qu’il redoute (lunettes télescopiques pour contempler les cieux). Leurs meubles ont la particularité de ne pas être morts : des plantes et des arbres croissent à travers eux. La Nature et les Bêtes omniprésentes dans leur quotidien, Nathanaël ne comprend toujours pas le lien entre les vampires et les Bêtes : sont-ils sur un plan d’égalité ou les Bêtes se hissent-ils à une strate plus élevée ?

Dans les pas de Kael et Nathanaël

Au niveau de l’intrigue, nous suivons Nathanaël et Kael à travers le journal intime du premier, qui consigne ses mémoires sur son lit de moribond. À travers la lecture de ce cahier, un autre duo retrace leurs pas : un vampire et une jeune humaine. Le vampire effectue une quête. Selon lui, le journal de Nathanaël contient une vérité. Alors que les deux premiers sont considérés comme des parias, des traîtres, du fait du lien qui les attache, le vampire, lui-même exclu, semble les voir comme un modèle. Il cherche des réponses, traînant son humaine dans son sillage.

Le monde change

Au cours de sa vie à Gaëul, au côté de Kael, d’autres villes qu’il a été amené à voir des ses yeux, Nathanaël nous livre une vision du monde comportant différentes variantes. Les hommes, les vampires, les Bêtes : ils appartiennent tous à la toile du monde. Vivaient-ils en osmose, autrefois ? Sur leur chemin, les deux duos vont être témoins d’échanges entre les espèces : le troc entre humains et vampires dans certaines bourgades, une créature bâtarde accompagnée d’une Bête… Alliances, échanges sont possibles. Pourtant, demeure mystérieux le lien entre vampires et Bêtes.

Nathanaël qui considère Kael comme son ami bouleverse l’ordre des choses. Un vampire qui s’attache à un humain fait montre d’une empathie qui devrait lui demeurer étrangère. Et pourtant, ce lien, cette chaîne, qui les attache est si touchant. Nathanaël a beau parler pour deux, comme Kael n’emploie pas le langage sous cette forme, il n’en demeure que le plus important passe ailleurs. Par l’observation, les émotions, les épreuves sur la route, la Nature… Le silence fait ici écho à l'absence de langage verbal mais aussi aux non-dits et à certains mystères. Les vampires ne ressentent pas comme les humains, alors cet anthropomorphisme que Nathanaël prête à Kael est-il pure illusion ? Ou bien déteint-il sur Kael ? Ou encore : éveille-t-il d’infimes changements chez son maître ?

Nathanaël ne peut plus vivre parmi les humains, et il n’a pas réellement sa place dans la ville vampire de laquelle Kael est natif. Mais ce dernier n’a plus réellement sa place non plus, de par son lien avec l’humain. Que deviendront-ils ? Le vampire et son humaine qui retracent le parcours de Nathanaël et de Kael trouveront tous deux un espoir entre les lignes. Trouveront-ils la liberté ? Et si oui, quelle forme prendra-t-elle ?

Les êtres humains sont perfectibles, comme un matériau. D'ailleurs, la matière minérale se décline : que ce soit le regard des vampires comparés à des lames, l'attrait pour les étoiles et les astres ou la transformation des Bêtes lorsqu'elles meurent, la pierre évoque un cycle et rejoint donc la notion de toile. N'oublions pas la confrontation de deux univers qui découle de la relation entre Nathanaël et Kael : grandir ensemble, agrandir sa dimension, autant de strates que l'Entre Monde recèle. La construction et l'évolution de l'amitié entre le jeune homme et le vampire apporte un message de tolérance : vivre ensemble, comprendre l'autre.

À la lecture de ce roman, j’ai vraiment ressenti la notion du devenir : transformation, métamorphose riment ici avec perfection/perfectibilité, évolution et donc futur.

Le monde change et il faut bien que changent avec lui les représentations qu’on en fait.

Philippe Forest, "Araki enfin, l'homme qui ne vécut que pour aimer"

Fable écologique

Céline Chevet aime le folklore japonais, et justement, il y a beaucoup de Princesse Mononoké dans Les Chaînes du Silence ! Les hommes dénaturés, en-dehors de la forêt qu’ils intoxiquent lentement (pollution, destruction…).  Ici, les êtres humains ont peur de la forêt, car elle garde vampires et Bêtes. Les Bêtes paraissent divines, pour autant, ils n’hésitent pas à les traquer et à les tuer si elles s’aventurent aux abords de leur bourgade. Elles sont des animaux immenses, pourvus de branches, de feuilles… D’ailleurs, leurs cimetières se multiplient et pire : ils ne sont plus dissimulés.

Les Bêtes représentent-elles la Nature elle-même, et de ce fait leur disparition alerte-t-elle quant aux actions humaines ? Ou bien faut-il plutôt se pencher sur le lien entre les Bêtes et les vampires ? Ces derniers se nourrissent parfois du sang des Bêtes pour plus de force, pourtant, Nathanaël s’est bien rendu compte qu’il n’y avait pas de vieux vampires…

Voyant évoluer Nathanaël auprès des vampires, les humains endossent le rôle de la barbarie et de la cruauté. Oui, les vampires restent bestiaux et tuent pour se nourrir mais à côté, leur lien à la Nature, à l’Entre Monde leur essence même les rends « supérieurs », dans un ordre naturel puisqu’ils sont plus près du Tout. Alors si de telles créatures, qui ressentent énormément en étant dépourvues d’empathie, commencent à s’attacher à un humain, est-ce un équilibre qui s’effondre ? Ou est-ce que les deux espèces pourraient mutuellement s’inspirer, (re)créer une osmose entre les espèces pour libérer la Nature et se libérer eux-mêmes ?

Toile

J’ai utilisé plus haut ce terme. L’univers présenté ici par Céline est tissé par les humains, les vampires et les Bêtes. Au-delà de cela, les vampires sont connectés à l’Entre Monde, c’est par ce biais qu’ils communiquent entre eux, se déplacent, acquièrent leurs connaissances… Il s’agit d’un monde en noir et blanc, dangereux, une mémoire universelle. Les vampires sont ainsi reliés entre eux, ils échangent par images, ressentis. C’est aussi pour cette raison qu’ils n’ont pas de nom : car ce serait alors les (dé)limiter, eux qui sont immortels, infinis en quelque sorte. Kael qui s’attache à Nathanaël représente une cassure dans cette toile avec ses semblables. De même que le vampire sur leur trace a été exclu, coupé de cette toile, voilà pourquoi il est malvenu partout où il rencontre d’autres vampires.

L’Entre Monde s’apparente à un cosmos. D’ailleurs, n’est-il pas alors évident que les vampires aiment contempler la Voie Lactée avec des lentilles télescopiques ? De là ne viendrait-il pas leur goût pour les cartographies ? Ils déchirent littéralement, d’un coup de griffe, le voile pour s’engouffrer dans l’Entre Monde; tout comme les branches des arbres de la forêt griffent le ciel. Cependant, cet espace demeure ineffable et les vampires ne le comprennent pas dans son entièreté, comme le démontreront Kael et le vampire solitaire.

En bref : Les Chaînes du Silence est une lecture qui m’a touchée et émue. La Nature au centre de l’intrigue qui présente le parallèle entre deux duos de protagonistes, témoigne d’une fable écologique et propose une immersion fascinante et triste aussi dans l’univers des vampires et des Bêtes. L’empathie et l’amitié se tisse entre Nathanaël et Kael, un humain et un vampire, remettant en cause un ordre établi, ajoutant un nouveau lien à la toile, un lien de liberté qui va en inspirer d’autres. Ce roman parle aussi de notre rapport aux autres, à la Nature/l'environnement, aux animaux, montrant du doigt le spécisme dans lequel se sont enroulés les êtres humains.

Les Chaînes du Silence, Céline Chevet, Éditions du Chat Noir, collection Griffe Sombre, 1er avril 2020

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Publié dans chronique personnelle

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F
Et bien, effectivement, il était temps que tu lises Céline ! Ce roman <3
Répondre
M
Carrément ^^ Je n'avais lu que sa nouvelle dans "Bal Masqué"... Il est génial oui ❤❤❤