Estelle Faye, Un Reflet de lune, Éditions ActuSF, Collection Collector, 22 janvier 2021
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Artwork par AMMO
4ème de couverture
Paris, un siècle après l’apocalypse. La capitale est plongée dans les pluies de printemps et Chet, dans une affaire qui le dépasse. Des sosies apparaissent pour lui faire porter le chapeau de crimes dont il est innocent. Du lagon du Trocadéro au repaire lacustre des pirates de la Villette, Chet arpente les bords de la Seine en crue à la recherche de ces mystérieux doubles, autant que de lui-même.
L’autrice multiprimée Estelle Faye (Les Seigneurs de Bohen, La Voie des oracles) retrouve son héros jazzy Chet pour une nouvelle aventure indépendante dans l’univers poétique et fantastique d’Un Éclat de givre.
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Avant-propos
Tout d’abord, je remercie Jérôme et les Éditions ActuSF pour l’envoi de ce service presse que j’attendais avec grande impatience !
Estelle Faye et les Éditions ActuSF nous récompensent de notre longue attente, suite à la parution d’Un Éclat de givre (paru en 2014 aux Éditions Les Moutons Électriques, puis chez Folio en 2017 dans la collection SF), avec la parution d’Un Reflet de lune, un nouveau volet des aventures de Chet, chanteur vingtenaire Queer dans un Paris post-apocalyptique !
Si 6 années séparent les deux romans, nous retrouvons Chet moins d’un an après l’affaire Éden. Pour autant, que les lecteurs se rassurent : avec ce nouvel opus, l’autrice propose un titre indépendant. Nul besoin d’avoir lu Un Éclat de givre pour vous lancer dans Un reflet de lune ! (Mais je gage que vous souhaiterez vous procurer le premier après la lecture de celui-ci…)
PS : je suis toujours aussi enchantée de partager le sommaire de l'anthologie Bal Masqué (Éditions du Chat Noir) avec Estelle Faye (et d'autres supers auteur.e.s !) ❤
Mots clefs
Paris – post-apocalypse – LGBTQIA – Queer – identité – poétique – Jazz – aventure – sosie – masque – scène – étrange – fantasmagorie – musique – écologie – environnement – fantasy – fantasy urbaine
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Mon retour
Un Reflet de lune s’ouvre avec Chet dans une mauvaise posture. Son amant d’une nuit a tenté de le tuer aussi il a dû l’assommer et, pour prendre la fuite, il n’a d’autre choix que de sauter par la fenêtre… pour plonger dans la Seine polluée. Voilà une entrée qui cadre aussitôt et sans fioritures l’univers et le personnage. Un Paris postapocalyptique où la Nature transformée peut vous dévorer et le narrateur, Chet, jeune Queer de vingt-quatre ans qui se trouve bien trop souvent au mauvais endroit au mauvais moment.
Ce duo Paris/Chet nous embarque dans une étrange aventure : alors que les pluies printanières menacent la ville et que la population y voit là la main de l’homme (d'autant plus qu'émerge une secte de "purificateurs"), des sosies de Chet se multiplient, tous mêlés à de sordides et sanglants faits. Pourtant, depuis que sa meilleure amie Tess est partie à la recherche des forêts de Sibérie qui existeraient peut-être toujours, que Galaad demeure de plus en plus inaccessible à Chet, notre chanteur jazzy ne sait plus où il en est. Qui il est. Il préfère laisser la place à Thaïs, chanteuse sensuelle qui cartonne : il se glisse dans sa peau pour demeurer debout et oublier la réalité.
J'ai l'impression que ma vie m'échappe, mes doubles absorbent ma réalité pour nourrir la leur. Ma réalité s'évanouit comme cs derniers fils de feu liquide qui s'amalgament au gris noir du charbon, dans les braseros de Néo-Louvre. Parce que Tess est partie vers des forêt illusoires de Sibérie. Parce que Galaad reste hors de ma portée. Parce que mon histoire avec Damien a de moins en moins de sens. Il ne subsiste que Thaïs à qui me raccrocher. Thaïs qui, sur les affiches délavées, sur les bois verts des bouquinistes, existe bien davantage que Chet perdu sous ces statues trop grandes, dans cette pyramide que les ténèbres gagnent peu à peu...
À propos de la réalité, celle de Chet semble se diluer de plus en plus, sous les eaux du printemps. Sa réalité lui échappe, lui qui s’évade de façon toxique dans des rêveries ensoleillées au côté de son aimé. Lui dont des sosies se baladent dans la capitale, pour que cela finisse en bain de sang et destruction.
Voilà ma relation la plus profonde, en ce moment. Une histoire d'amour-haine avec trois brins de chlorophylle. Ça dit quelque chose d'assez déprimant sur ma vie.
Perdu, fragile, insolent, séducteur, amoureux de la musique, de Paris, Chet découvre de nouvelles facettes de la capitale, de sa ville. Personnage à part entière, celle-ci grouille de ruines, de végétations Génétiquement Modifiées, elle sent la vase, renferme des fragments des anciens temps, d’avant l’Apocalypse, un siècle plus tôt. Dans ces échos du passé, Chet se retrouve, il leur ressemble, ou bien est-ce un idéal qu’il fantasme ? Les aventures dans lesquelles il se retrouve mêlé le dépassent et pourtant, il paraît incarner la ville, cette ville qu’il chérit et de laquelle il se sent parfois si éloigné, comme d’un.e amant.e.
La chaleur de Damien, dans mon dos, me gagne peu à peu. Elle me calme et je redeviens capable, vaguement, de réfléchir. Quelqu'un sème mes doubles dans la ville comme des miettes de pain dans une forêt de conte. Quelqu'un qui m'en veut ? Qui m'en voudrait autant ? Qui se serait persuadé que ça vaut la peine de... de monter cette machination délirante rien que pour me faire souffrir ? J'ai des ennemis, d'accord, j'ai des ex, parfois les deux se recoupent, et parfois ils aimeraient me tuer, mais enfin personne ne me hait à ce point. Un long frémissement me dévale l'échine. Damien resserre son étreinte. Non, ce n'est pas moi que tout ça concerne. Pas directement. Ce qui se trame me dépasse.
L’univers de Chet est coloré et torturé, doux et âpre. Il se décline avec l’éventail de personnages que notre héro côtoie : Damien, son pianiste et plus, son proprio-pharmacien, Paul, son ami paternel de la Sorbonne qui lui vient toujours en aide, Sybil, la cheffe des enfants psys… Mais voilà, Chet se sent désespérément seul, oscillant dangereusement entre réalité et fantasmagorie. Alors que la relation qu’il entretient avec la plante urticante offerte par Tess avant son départ symbolise parfaitement son existence, sa vie est à nouveau mise en péril. Il semble moins prompt à trouver des échappatoires dans un premier temps, un goût amer de fatalité sur ses lèvres peintes et pourtant, entre nouvelles rencontres et découverte d’une partie de Paris où il n’a pas encore mis les pieds, il tente de démêler le vrai du faux pour se hisser vers la surface.
Je me pose trop de questions, mais j'avance. (...) Je m'ébroue, reviens au présent. J'ai la sensation qu'on m'observe. Je me retourne, juste à temps pour voir une silhouette maigre disparaître derrière un bosquet. J'hésite à m'arrêter, mais ma guide ne m'attendrait pas. Sur le bord des voies, des renards pelés se disputent une charogne. Ils ne s'interrompent même pas à notre approche. Le vert de notre lampe éclaire au passage une fourrure striée de cicatrices. Une mâchoire gluante de sang. Un présage ? Les renards sont sacrés, ici, sur la Ceinture. Personne n'a le droit d'y toucher. Les renards sons maudits, murmure-t-on. Ceux qui s'attaquent à eux sont retrouvés morts écartelés, la peau arrachée, suspendus dans les anciens entrepôts.
Reflet de lui-même, pâle reflet de Thaïs, Chet n’en est pas moins attachant. Cassé, coloré, sensuel, espiègle, un brin suicidaire par moments, il incarne le meilleur et le pire, la force et la vulnérabilité. Il se bat pour sa ville, il se bat pour sa liberté car il aime, amoureux de la capitale, de la nuit, de la musique, amoureux de l’amour aussi sans doute, lui qui passe de bras en bras jusqu’à se perdre, à se dissoudre pour oublier la réalité, cette réalité dans laquelle il s’est perdu.
Victime d’une affaire qui le dépasse, sacrifice, amant, chanteu.r.se, ami, idole, prisonnier, Chet passe d’un personnage à l’autre, est tout cela à la fois. Complexe et terriblement humain, il respire la liberté et la vie, même lorsqu’il semble plus survivre que vivre.
Une espèce de fleurs embaume de plus en plus fort dans la pénombre. Le parfum me monte à la tête. La nature autour de moi se déforme, les feuilles des vignes vierges se déploient immenses comme des palmes, épaisses et rouges comme des cœurs de chair. Les sépales des fleurs palpitent telles des lèvres amoureuses, telles des bouches avides. Il y a... tellement longtemps que j'avance dans un état second. Que je n'ai plus assez dormi. Les floraisons sans cesse recréent le monde. Il faut que je sorte d'ici. Il faut que je gagne la Bordure. Galaad...
À travers Paris, l’autrice nous parle de son amour pour le Jazz et la ville, de la scène, des troquets parisiens, mais aussi de l’environnement, de l’écologie, des dérapages humains scientifique et militaires, de la mémoire et des souvenirs. Et qui de mieux que Chet, chanteur Queer vibrant de vie, pour nous embarquer dans cet univers étrange et fantasmagorique, dur et foisonnant ? Tantôt dérivant, tantôt séduisant, perdu dans ses souvenirs et ses rêves ou ses fantasmagories, il est rappelé à l’ordre par son entourage, qu’il juge par moment trop bienveillant à son encontre. D’un décor à l’autre, de rencontre en rencontre, d'un masque à un costume et/ou inversement, il pense se perdre davantage, pourtant il avance, vers la lumière, vers lui-même.
Sous le maquillage, la robe échancrée et les hauts talons à paillette de Thaïs, le reflet de Chet émerge peu à peu. Rien ne lui est épargné dans cette aventure et pourtant il n’abandonne pas, il ne s’avoue pas vaincu, jamais. Se servant de sa séduction, de sa gueule d’amour, comme atout, il peut aussi compter sur ses amis. Placé comme martyre pour la capitale, il n’accepte pas le rôle sans le nuancer et le façonner à sa mesure car même perdu, il ne renonce pas à la vie. Et la vie pourrait bien lui apparaître sous un nouveau jour, pour le récompenser, et adoucir sa quête identitaire.
— Sais-tu pourquoi nous racontons des histoires ? Pourquoi nous continuons, jour après jour ? Parce que les mots nous forgent et nous réconfortent, parce que les histoires nous aident à ne pas oublier nos forces. Et nos erreurs, aussi.
En bref : Estelle Faye nous livre, après l’excellent Un Éclat de givre, une nouvelle aventure indépendante de Chet, son héro jazzy Queer. Dans ce Paris postapocalyptique où la flore se révèle dangereuse, les pluies diluviennes du printemps font crier au complot tandis que des sosies de Chet se multiplient, l’inculpant de divers crimes. Perdu entre ses souvenirs/rêves et ses fantasmagories, le jeune chanteur se dilue lui-aussi, reflet de son alter ego Thaïs. S'engageant dans une affaire qui le dépasse, il revisite le rôle de martyre. Terriblement complexe et humain, Chet nous entraîne sans temps mort dans son univers nuancé ou au-delà de survivre, la vie reprend ses droits.
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