Interview : Sacha Bazet pour "Ce qui nous hante"
Bonjour à toutes et à tous,
Il est temps pour le lancement d'une nouvelle rubrique sur mon blog : les interviews d'auteur.ice.s !
J'ai contacté plusieurs auteur.ice.s qui ont répondu présent.e.s pour répondre à mes questions. Ce premier entretien sera centré sur... le montage d'un opéra contemporain. C'est parti !
Voici une prolongation dans l'univers de Ce qui nous hante : de jeunes artistes reclus un été dans un château au passé trouble pour monter un opéra, des fantômes, une double narration, une atmosphère de plus en plus oppressante... bienvenue au château de Loubet !
N'hésitez pas à (re)découvrir ma chronique :
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Sacha Bazet, Ce qui nous hante, Éditions Mnémos, collection Naos, mars 2021 - Maude Elyther
illustration : Vince Haig ; graphisme : Atelier Octobre Rouge 4ème de couverture Après un long sommeil dans son coin de forêt, le château de Loubet reprend enfin vie. Le temps d'un été, il ac...
Publié aux Éditions Mnémos sous le label Naos, ce one-shot a été écrit par Sacha Bazet. Un nouveau nom dans le milieu de l’imaginaire qui a beaucoup interrogé… Qui se cache derrière ce pseudonyme ? Réponse ci-dessous !
Bonjour à vous et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions ! Ce qui nous hante est paru au mois de mars dernier aux Éditions Mnémos sous le label Naos : bravo pour cette publication qui est la première !
Sacha Bazet, nouveau nom dans le milieu, nom qui en a intrigué plus d’un, notamment par sa caractéristique épicène… Pouvez-vous nous dire qui se cache derrière ?
Derrière Sacha Bazet, il y a deux amis qui se connaissent depuis plus de quinze ans. “Saba” et “Chazet”, si vous voulez. Chazet est passionné d’histoire de l’art et d’architecture, et Saba est une ancienne éducatrice spécialisée, reconvertie dans l’Humanitaire et souvent en vadrouille. Sacha Bazet, c’est une utilisation abusive de google drive, et un amour commun pour les histoires.
Comment est né ce projet polyphonique ? Et comment vous êtes-vous organisés dans son écriture ?
Le projet est né d’une très forte envie d'écrire à deux. Les premières esquisses de l’histoire ont été dessinées dans un train La Rochelle - Paris il y a quelques années, et ensuite le temps, le brainstorming intensif et les allers-retours sans fin ont fini par donner quelque chose ! Pour l’écriture, on s’est toujours concertés sur l’intrigue et les éléments principaux. Mais chacun avait deux personnages, et parfois on prenait quelques petites libertés sur ce qui était prévu. C’est génial comme sentiment à la lecture : être surpris·e par la tournure qu’a pris un chapitre avec des personnages et des situations qu’on a co-créées, les voir évoluer dans la tête de quelqu’un d’autre que soi…
Vous basez votre récit à la fois sur un milieu artistique en ébullition et un décor propice aux histoires de fantômes : cela est-il lié à vos goûts, vos expériences personnelles ou professionnelles ?
Nous ne travaillons pas dans le milieu du spectacle, mais du fait de nos études et des relations que nous avons tissées et conservées de cette époque, nous nous en sentons proches. Deux de nos amis sont metteurs en scène et nous ont beaucoup inspirés et aidés à donner corps à l’expérience d’une résidence artistique (les leurs n’ont jamais été aussi désastreuses, heureusement).
CHAZET : J’ai beaucoup pensé au documentaire Le concerto de Mozart, qui témoigne d’une expérience similaire : en 1997, le clarinettiste Michel Portal s’est isolé durant 15 jours dans un château avec 7 jeunes musiciens pour préparer le concerto pour clarinette. A posteriori, il avait dit avoir fait là, paradoxalement, l’expérience d’une “grande solitude”. Je me suis dit que les dynamiques humaines qui se jouaient dans un tel moment avaient plus de profondeur et de complexité qu’il n’y paraissait, et qu’elles avaient le moyen de surprendre. Et puis, bien sûr, une autre question a surgi : et s’ils n’étaient pas vraiment seuls, en fait ?
SABA : Et moi je me suis beaucoup inspirée de mes souvenirs de colo en tant que vacancière et animatrice. C’est quand même un monde à part : on quitte notre vie quotidienne pour quelques semaines, on crée des liens très forts avec les gens de par ces circonstances uniques qui poussent à la proximité, et souvent on devient amis avec des gens avec qui on aurait à peine parlé le reste de l’année ! Les rapports sociaux vont plus vite donc tout est décuplé dans la tendance à se mettre en scène, la capacité à tomber amoureux, à avoir le cœur brisé, à se faire des amis “pour la vie”. Cette dynamique me paraissait intéressante surtout à un âge où on pense en être affranchi et dans un contexte professionnel.
J’ai été très sensible à l’étrangeté qui s’installe progressivement, tant sur les personnages, que nous rencontrons sans encore les connaître, que sur le château de Loubet et son atmosphère. Comment vous y êtes-vous pris pour construire, brique après brique, ce décalage, infime puis de plus en plus prenant/oppressant ?
On voyait le surnaturel dans ce roman comme un bruit de fond discret, qui devient de plus en plus assourdissant au fil de la lecture. On a gardé ça en tête dans notre écriture pour faire les ajustements nécessaires : le surnaturel ne devait pas s’incarner uniquement dans des événements forts, mais aussi dans des petites touches parsemées ici et là.
La notion de personnages ou de bâtiments hantés se retrouve souvent dans la littérature fantastique et horrifique. Pour autant, j’ai trouvé que vous avez instauré des perceptions et un discours plus personnels, plus profonds. Être hanté au sein de Loubet met surtout les personnages face à eux-mêmes, à leurs émotions, leur personnalité… On peut vite basculer à quelqu’un d’autre à chercher à ressembler aux attentes ou à l’image que les autres projettent sur nous. Aussi j’ai trouvé plus que pertinent et brillant d’amener ces réflexions à travers ce roman, orienté young adult !
Était-ce une thématique qui vous tenait particulièrement à cœur ?
Merci beaucoup !
Nous n’avions absolument pas envie d’utiliser les fantômes comme de simples épouvantails (même si on adore les histoires de fantômes de toutes sortes). On voulait non seulement en faire des personnages à part entière, mais aussi qu’ils participent pleinement au développement des personnages des vivants ; que se tisse une relation entre le fantôme et son hôte, et plus généralement entre l’ensemble des vivants et ce lieu hanté.
On change et se construit à tout âge, mais pour les “jeunes adultes”, la question de l’identité, et a fortiori de l’image qu’on renvoie, est particulièrement prégnante. Peut-être encore plus pour des artistes, surtout lorsqu’on leur donne l’une de leurs premières chances en tant que professionnels. Les enjeux peuvent paraître tels qu’on oublie vite d’être authentique en faveur de ce que l’on croit qu’il vaut mieux être. Les fantômes ajoutent un niveau de complexité à ce défi, mais ils sont aussi l’opportunité de se questionner sur ce qui est vraiment soi, et offrent en cela un miroir qui peut être riche d’enseignements.
L’échange, la correspondance sont aussi un sujet grandement mis en avant. D’autant plus qu’au château il y a un problème de connexion et que tous se retrouvent privés du monde extérieur, de leur bulle : pas d’appel, de sms, d’internet. Encore une fois, ils se retrouvent face à eux-mêmes, à devoir prendre place dans la troupe, dans leur résidence d’été. Priver tout ce monde d’interfaces virtuelles, c’est jouer avec leurs nerfs, pourtant, les groupes se mélangent, ils vont s’accepter les uns et les autres… Si là vous ne pointez pas du doigt notre propre quotidien, greffé au téléphone et internet… !
On ne cherchait pas spécialement à dire du mal de nos technologies de communication. On remercie d’ailleurs Internet à la fin du roman (ça nous paraît être la moindre des choses) ! Et puis, dans le cadre d’un roman contemporain, ancré dans notre quotidien, impossible de faire comme si ça n’existait pas.
Les résidents du Loubet allaient avoir du mal à se mélanger les uns aux autres, que leurs téléphones fonctionnent ou pas. Par contre, étant donné les paramètres du huis-clos qu’on souhaitait créer, il nous a fallu recourir à la bonne vieille méthode de la zone blanche.
Les rapports humains sont très importants dans votre roman, via les personnages, principaux et secondaires, comme ceux du passé. Tout cela participe à la double narration du récit et l’étau se resserre de plus en plus sur tous ces personnages. D’ailleurs, le fait qu’il n’y ait pas de héros/d’héroïne est rafraichissant ! Était-ce votre parti pris dès la genèse du projet ? Comment avez-vous créé vos personnages ?
Nous aimons beaucoup les romans à plusieurs voix, et cela faisait sens de toute façon puisque nous racontions l’histoire d’une troupe, d’un lieu et de ses résidents, et non pas d’une seule personne. Impossible de choisir un témoin privilégié des événements vécus par tous les autres, puisque beaucoup de choses se jouent à l’intérieur même des personnages. Il nous fallait avoir accès aux pensées d’un éventail varié de protagonistes.
Mais ce serait aussi malhonnête de prétendre qu’on n’est pas influencés par les modes de narration du film et de la série. Des séries. De beaucoup, beaucoup de séries.
Je m’arrête plus particulièrement sur Camille, qui est d’abord un trublion détestable avant de devenir attachant et de surprendre : quelques mots le concernant ?
Oh, nous n’avons aucun contrôle sur Camille.
Comme il est le fantôme auquel on est le plus confronté, et le plus tôt, il était l’occasion de développer notre vision du spectre : une personne qui n’a pas choisi ce qui lui arrive, qui ne dispose pas d’une connaissance magique des règles de sa propre existence, et dont les désirs peuvent être aussi forts, motivés et contradictoires entre eux que ceux d’un vivant.
Avez-vous d’autres projets sur le feu ? Car j’espère vous relire de nouveau !
Toujours ! Des projets antérieurs et parallèles à notre collaboration, qui mûrissent grandement grâce à ce que le processus de l’édition nous a appris. Mais aussi un nouveau projet ensemble, qu’on a vraiment très très hâte de partager.
Je vous laisse le mot de la fin !
Merci à toi Maude pour cette interview et merci à nos lecteurs, en particulier ceux qui ont pris le temps de nous écrire. Ça nous fait toujours chaud au cœur. Pour ceux qui ont aimé le roman et ses personnages, n’hésitez pas à suivre @ce_qui_nous_hante sur Instagram : on y a déjà mis plein de goodies.