Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

Publié le par Maude Elyther

Bonjour à vous !

Il y a peu, je vous partageais ma chronique à propos de La Nuit du Faune de Romain Lucazeau, paru aux Éditions Albin Michel Imaginaire. Cette vertigineuse odyssée cosmique m'a tant émerveillée que j'avais envie de poser quelques questions à son auteur, qui a gentiment accepté d'y répondre !

Cet époustouflant récit nous conduit au seuil d'un imaginaire vaste et infini, en poétique allégorie des galaxies. Impermanence et éternelle transformation projettent nos angoisses archaïques. Ici, Romain Lucazeau voit les choses sous un regard bienveillant pour y apporter la philosophie de la sagesse.

Cet Objet Littéraire Non Identifié use de la science-fiction comme prétexte, offrant à la fois une odyssée, un conte contemplatif, philosophique et réflexif, avec une touche d'onirisme et de poésie.

(Re)découvrez la chronique que je lui ai consacré ci-dessous. J'espère que ces deux articles vous donneront la curiosité d'élargir vos lectures en découvrant cet auteur et ce roman en particulier :)

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

Bonjour Romain, encore merci à vous d’avoir répondu présent pour cette interview ! J’ai été très enthousiaste à la lecture de votre dernier roman, La Nuit du Faune, tellement que plusieurs questions en ont découlé. Vous êtes l’auteur de la duologie Latium (Éditions Denoël, 2016, puis collection Folio SF aux Éditions Gallimard, 2018), que je découvre suite à mon engouement pour le Faune, pouvez-vous nous faire part de votre parcours ?

Je suis né à Aquae Sextiae. J’ai, pendant mon enfance, vécu à peu près partout dans le monde. J’ai fait des études de philosophie à Normale Sup, puis, après avoir un peu enseigné, je suis devenu consultant, spécialisé dans l’appui stratégique et la prospective au service des acteurs publics.

En parallèle (et il y a un rapport entre les deux), j’ai commencé à écrire des nouvelles de science-fiction, à la grande surprise éditées et pour certaines primées. C’est là que j’ai commis la folie de me mettre à Latium, un texte très long à écrire, qui a été un vrai cheminement, et que j’ai conçu comme une sorte de tombeau et d’hommage, mais aussi comme une tentative de faire de la sf avec le même niveau d’ambition que les Anglo-saxons, en m’appuyant sur un substrat culturel propre à l’Europe : l’Antiquité gréco-romaine, ou du moins une version de celle-ci, telle que le Grand Siècle pouvait la concevoir.

Latium, qui devait dans mon esprit constituer une tétralogie (les tomes III et IV viendront un jour), constitue ainsi l’expression d’un objectif d’appropriation et de réinvention de la sf et plus spécifiquement du Space-opera, et une manière de continuer à penser certains objets philosophiques « par derrière », à savoir les codes narratifs des « mauvais genres ».

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

Vous signez ici un roman vertigineux et éblouissant aux vastes thématiques réflexives tendant vers la philosophie. Nous sommes à la fois dans la science et au-delà, avec un fort impact imaginaire qui dépasse les limites et l’imagination. Comment s’est opéré la genèse d’un voyage d’une telle envergure ?

Le soir, je m’installais avec mon ordinateur aux cafés de la Porte de Champerret, présent et absent à l’agitation continue des lieux, aux cris des livreurs et aux bavardages fatigués des prostituées venues prendre une pause entre deux séances de piétinement. Je laissais mon esprit naviguer dans une sorte de vaste poème, une scansion primitive et maniérée à la fois, dont chaque épisode dirait tout à la fois l’univers comme il est et le cosmos comme il faudrait qu’il soit. Je concevais des scènes où, dans les interstices que nous laisse notre connaissance actuelle du monde, je pouvais glisser du merveilleux. C’était une période à la fois très belle et très dure pour moi, sur le plan personnel, et j’ai tiré de ce voyage intérieur une sorte de consolation à ré-enchanter ainsi les choses, à les faire parler avec le ton des aèdes.

Je ne crois pas qu’il existe quoique ce soit d’humain (au sens figuré du terme) et de poétique là-bas, dans les étoiles, rien que la froide mécanique de la physique. Mais faire comme si, pendant quelques instants, m’a apaisé.

C’était en 2018. En 2020, j’ai repris ce texte et je l’ai transformé en La Nuit du Faune, en lui donnant la forme d’un conte, sans totalement gommer ce que j’estime être une dimension poétique, et avec l’idée de transmettre un peu de cette magie que j’avais vécu dans ma tête.

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

La Nuit du Faune n’est pas à proprement parler un roman de Science-Fiction : conte, voyages, onirisme, poésie…, vous traitez de l’impermanence, du cycle inhérent à toute vie, de la transformation plus que de l’évolution il me semble. Le futur, la notion d’extinction, de disparition, sont des sujets angoissants, qui touchent à nos peurs archaïques, à l’image des monstres dans les profondeurs abyssales. Pourtant vous apportez une étincelle de sagesse et un regard bienveillant sur cet ensemble. Considérez-vous qu’écrire ce récit a été une (auto)thérapie à l’égard du présent ?

La forme relève d’un objectif similaire à celui de Latium : m’approprier la science-fiction dans des formes qui sont celles d’un genre littéraire, un peu oublié aujourd’hui, qui est celui du conte philosophique. Ce type de texte intermédiaire entre le théorique et le récit est oublié d’une partie du lectorat, d’où les réactions de certains, trop habitués a des structures narratives simples, inspirées du B.A.-BA de l’écriture du roman depuis le XIXieme siècle : un personnage vit des événements avec une dimension d’antagonisme, qui testent sa détermination à accomplir un but, et dans ce processus il se change lui-même.

La forme du conte est quelque chose de différent. Le personnage est là pour servir un propos, comme dans l’apologie ou la fable. Mon propos, dans Le Faune, est simple : même dans un monde enchanté, ce qu’il n’est pas, il n’est de valeur que dans la beauté, et celle-ci se trouve dans nos actes et non à l’extérieur de nous. C’est une morale, non de la modestie et du repli sur soi, mais de l’affirmation d’une sagesse artiste face à un cosmos indifférent. Cela, j’y adhère à titre personnel et c’est mon moteur dans l’écriture : agir comme si chacun de nos actes devait se répéter indéfiniment, à jamais, nous confrontant en permanence à leur survenue si jamais ils sont laids, lâches, dénués de grâce. Plutôt mort que minable, en somme. Et, par ce détour, je vous rejoins. Mon texte vise à porter les couleurs, en un inutile baroud d’honneur, de la noblesse d’âme, du courage personnel et de l’amitié dans une société où l’action individuelle et l’engagement n’ont plus de sens.

Enfin, les thématiques que vous évoquez sont bien entendu nos peurs du moment : celle de l’effondrement, celle de la mort de la civilisation, mais aussi les peurs de tout moment depuis que les gens font société.

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

Astrée, créature séculaire sous l’apparence d’une fillette, est désenchantée car la science a expliqué la magie. Toutefois, dans l’infinité du cosmos, demeurent mystères et surnaturel. Tout comme l’imaginaire, la magie semble ainsi ne jamais se tarir. Voyager élargit les horizons, nourrit moults réflexions. Astrée se montre très pédagogue en ce sens, bien que sa vision se montre dans un premier temps pessimiste. Au final, l’émerveillement conquiert les trois personnages que nous suivons, autant que nous-mêmes.

Dans quelle mesure le cosmos vous fascine-t-il ?

J’aimerais que le cosmos me fascine. Je crois que le Cosmos recèle des merveilles comme le chrétien prie parfois le Seigneur, en désirant son existence plutôt qu’avec une quelconque certitude. S’il y avait de vastes civilisations indécelables dans le bulbe central de la galaxie, cela me fascinerait. Je suis pessimiste, néanmoins. C’est pour cela que je suis écrivain, pour rêver un peu.

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

Vous usez de l’imaginaire collectif pour rendre compte à notre archaïsme, tout en mêlant la science. Comment s’est construit ce mélange entre littérature, philosophie et science ?

Dans La Nuit du Faune, le personnage intercesseur entre les concepts évoqués et le lecteur est Polémas, le Faune. Parce que nous avons bien plus en commun avec un homme des cavernes qu’avec une créature post-technologique quasi divine comme Astrée.

Donc nous sommes en permanence dans l’équilibre entre la science et le primitif, parce que le primitif est en nous. Si nous nous confrontons au merveilleux, alors le primitif revient à la surface.

En cela, le texte n’est pas qu’un conte philosophique, il est aussi un conte pour enfants devenus adultes.

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

À travers l’odyssée d’Astrée, Polémas et Alexis, vous évoquez les arts, les civilisations qui disparaissent tandis que d’autres se bâtissent plus tard sur leurs ruines en les ignorant. Le passé et le futur sont inextricablement liés, ce qui appuie le perpétuel cycle de la vie. La littérature et les différents arts nous aident, comme la croyance pour d’autres, à faire face à nos questionnements existentiels, à l’angoisse de la mort, de la maladie etc. Ils sont aussi les fondements des mythologies et plus précisément les cosmogonies.

Vous-même dans ce roman témoignez d’une origine de la vie différente encore : s’agit-il ici d’une totale invention, ou a-t-elle été étayé par quelque fait réel ?

Si votre question porte sur l’art, j’essaie de créer un lien entre le statut de ce texte et ce qui se dit sur l’objet d’art dans le fil de la narration. Comme beaucoup d’œuvres, La Nuit du Faune s’auto-commente. Et ce qui s’y dit, par exemple dans l’épisode de Galatée, c’est que la création artistique demeure l’un des moyens les plus sûrs de tenir le coup face à un univers qui ne nous apporte pas souvent des raisons d’espérer. L’idée que l’art serait une belle surface, un beau mensonge apte à nous aider à demeurer en vie est ancienne, je ne l’invente pas.

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

Bien que grande amatrice des littératures de l’imaginaire, je suis encore novice dans le genre de la Science-Fiction. J’ai bien senti que vous faisiez des références à d’autres œuvres : pouvez-vous revenir sur vos principales inspirations ?

Cyrano de Bergerac et Voltaire du côté du conte. J’accorde une place particulière au premier. Il est clairement, pour moi, le premier auteur de science fiction, voire de Space / Planet Opera.

Concernant le genre au siècle dernier, j’aimerais citer Bradbury, pour la mélancolie des Chroniques martiennes. J’avoue que j’ai beaucoup lu et que la plupart des scènes contiennent des clins d’œil à une foultitude d’auteurs comme Reynolds, Egan, Simmons, …

Interview : Romain Lucazeau pour "La Nuit du Faune"

Aurons-nous le plaisir de vous lire de nouveau prochainement ? (En tout cas, d’ici là, il faut que je me procure les tomes de Latium !)

Mon cycle d’écriture prend plusieurs années. Je n’en vis pas, loin de là, et je n’écris qu’avec parcimonie. De plus, je n’écris jamais que quand écrire constitue pour moi un chemin au sens le plus personnel du terme. Après, vu la durée du voyage d’un photon émis depuis le centre de la Voie Lactée, ça va passer comme un battement de cils.

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