Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

Publié le par Maude Elyther

Bonjour à vous !

J'ai l'immense plaisir de vous proposer une interview de Vincent Tassy à propos de son splendide dernier roman, Diamants, paru aux Éditions Mnémos et arborant fièrement le bandeau Pépite de l'imaginaire 2021.

Ici promis, je vais faire l'effort de ne pas m'étaler sur mon amour littéraire pour les textes de Vincent. À la place, je vous remets quelques infimes passages de ma chronique que vous pouvez toujours (re)lire ;)

Diamants fut une lecture intense, envoûtante, fascinante, tragique, hallucinante aussi, tout comme douce, magique, merveilleuse et sublime…

Une lecture sublimée qui vous saisit de vertiges encore longtemps après.

Magies et sortilèges sont sans doute à l’origine du talent de Vincent, sans doute, en effet, a-t-il été touché par les fées, mais cela, comme dans l’univers de ses textes, restera à jamais mystère et vérité enfuie…

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

Diamants en quelques mots :

Précieux condensé du meilleur de Vincent Tassy, Diamants offre une fresque aux accents de fantasy et de gothique qui ne pourra que déposer sur vous l’empreinte d’un merveilleux songe. Vibrante de douceur et de magie, son écriture sensible et sensorielle nous entraine au cœur de sentiments et émotions bruts. Dans le vertige Vincent nous conduit, et dans le vertige il nous laisse. Criblés de toute part, entre lumière et ténèbres, nous aussi maintenant voyons le monde à travers un prisme. Les diamants sont souverains et il ne reste plus qu’à vous de vous plonger à votre tour dans la splendeur hallucinante de Diamants pour en saisir la signification ; au-delà des mots, au-delà de l’amour : la lumière, berçante, scintillante, éblouissante et vertigineuse.

(Re)découvrez ma chronique entière :

crédit photo : Émilie Garcin

crédit photo : Émilie Garcin

Bonjour Vincent ! Tout d’abord encore félicitations pour la parution de Diamants et merci d’avoir répondu présent pour cette interview ! Je te lis depuis un moment maintenant, mais ici nous te découvrons dans un style auquel tu ne nous avais pas habitués : de la fantasy, de la fantasy gothique plus exactement. Bien sûr, tu avais abordé un univers de fantasy au travers de ta nouvelle « Regarde ce qu’il y a dans sa tombe », parue dans l’anthologie Âme ténébreuse, Cœur lumineux aux Éditions du Chat Noir, mais ici tu nous surprends avec un roman de 373 pages. Peux-tu nous raconter la genèse et la naissance de ce riche et vertigineux univers dans lequel tu nous plonges avec Diamants ?

Merci beaucoup pour cette interview et ces mots doux : ton soutien et ton intérêt pour mes textes sont précieux pour moi depuis toutes ces années, vraiment ! Concernant la genèse de Diamants, je me rappelle que l’image première était celle de l’ange arrivant sur Terre. L’image était un mystère, bien sûr, je ne sais même plus dans quel contexte elle m’est arrivée ; mais finalement, je n’ai pas tant cherché à élucider ce mystère. J’ai préféré faire le livre dans le mystère même. Sinon, ça ne m’aurait pas du tout intéressé. Après, dans l’histoire de Diamants, le mystère se disperse d’une certaine façon, la dynamique narrative repose en partie sur l’espoir d’obtenir des révélations. On en aura. C’est un livre qui a été très difficile à entreprendre, à mettre en place, mais je voulais vraiment le faire. Je savais depuis longtemps que je ferais un jour de la fantasy « pure », dans un univers secondaire, avec beaucoup de magie, etc. Comme beaucoup de lecteurs et lectrices d’imaginaire, c’est dans l’espèce de sensation d’illimité qu’offre la fantasy que mon intérêt pour ce genre de textes est apparu. Et je savais aussi que je voulais faire ce texte avec un éditeur comme Mnémos. J’avais pensé aux Moutons Électriques aussi. Mais ça n’a pas été la peine de leur soumettre le tapuscrit. Frédéric et Nathalie de Mnémos se sont montrés intéressés très vite. En mars 2018, ils avaient publié mon premier roman, Apostasie (paru en grand format au Chat Noir deux ans plus tôt), dans la collection poche, et ils avaient envie de travailler avec moi sur de l’inédit en grand format. Je leur ai proposé les trois premiers chapitres de Diamants, je n’avais alors rien écrit de plus, et ils ont dit : « Considère que tu as trouvé ton éditeur. » C’était à peu près un an avant que je termine le premier jet. J’ai passé l’année suivante à écrire. J’ai élaboré l’univers sans trop de difficultés. J’avais envie d’une grande carte avec des pays évaporés. Quelque chose qui serait très esquissé. On ne sait pas grand-chose du vrai monde. Même si on voyage beaucoup, on n’en sait guère plus sur le vrai monde que d’un monde inexistant. J’ai fait ce monde inexistant, c’était très plaisant, puis je me suis laissé du temps pour trouver ce que j’avais envie de faire avec sa mythologie. Et surtout, ce qui pouvait se passer après l’arrivée d’un ange de prospérité. Ça a été long de trouver. Difficile de tout articuler. Je n’avais jamais travaillé de cette manière, j’ai fini par y arriver ; je suis satisfait du texte final que j’ai retravaillé, principalement pendant l’été 2020, avec l’extraordinaire Patrick Mallet (cherchez sur Google ce qu’il crée lui-même, vous ne serez pas déçu•e•s), mais je garde de la phase d’écriture un souvenir très ambivalent. Il y a eu des moments fluides, formidables, peut-être les meilleurs que j’aie vécus. D’autres un peu cauchemardesques, où je ne voyais pas du tout comment j’allais m’en sortir.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

À nouveau, tu abordes de nombreuses thématiques dans ce roman : vide, nature, lgbtqia, tolérance, décors vertigineux… pourtant j’ai senti que tu avais passé un échelon supplémentaire. Perçois-tu cette évolution au fur et à mesure de tes textes ou bien cela se fait-il naturellement ?

Je pense que le prisme du genre, celui de la fantasy, a orienté ma façon de faire dans ce livre. L’univers est vaste. Les personnages se déplacent. Il y a de la politique. C’est un récit dont la narration paraît effectivement de plus grande ampleur. C’est moins intimiste qu’avant. Mais dans le fond, je ne crois pas que ce soit très différent de mes précédents textes. L’essence est la même. Je ne peux pas échapper à moi-même ! D’ailleurs je n’essaye pas.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

Tu places tes personnages face à l’appel et la fascination des abysses, est-ce que de ton côté tu t’en remets à l’instinct, à l’inconscient pour écrire ?

Je m’en remets complètement à l’instinct. C’est la moelle épinière de mon rapport à l’écriture. C’est se mettre dans une situation d’écoute très attentive de ce qui doit se passer sur la page. D’une certaine façon, ce serait comme laisser venir les phrases à soi – bien sûr c’est une métaphore, une illusion, puisque les phrases ne se font pas toutes seules. Mais il faut atteindre la phrase comme on sent qu’elle doit être, être dans une attention extrême de la musique qu’elle produit. Des échos entre elles. Des sons, comment ils s’entrechoquent, s’entrelacent. Et les longueurs des phrases, des segments de phrases, qu’est-ce que ça produit, quelle harmonie. C’est ça le plus important. Ce n’est pas ce qui arrive aux personnages, les rebondissements, etc. Tout ça, c’est pour moi assez secondaire. Disons plutôt que ça ne peut exister, les rebondissements, les personnages, etc., que si j’ai pu, avant, faire la musique qui permettra à tout le reste d’advenir. Je ne peux vraiment pas faire autrement.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

Si j’ai eu la nette sensation que Diamants incarne un condensé du meilleur de tes textes (chose que je peux me permettre de dire, ayant lu toutes tes parutions, des nouvelles aux romans), un point m’a tout de même interpelée : ici j’ai retrouvé très peu de cette féerie macabre qui te caractérise, à part peut-être une scène avec Savanah dans laquelle le rubis de sa chair se répand sur la neige scintillante. Une volonté de ta part dans cet univers ?

Ce n’était pas une volonté. Ce que j’avais à raconter ici ne se prêtait pas tellement à ces espèces de visions sinistres et violentes qui ont pu se trouver dans mes autres livres. Elles n’étaient pas nécessaires. Si elles l’avaient été, il y en aurait eu. Mais je ne les ai pas forcées. Il m’est bien arrivé de me dire, un peu avant la parution du livre, que ça allait décevoir. Que c’était quelque chose qu’on attendait de moi. Mais ça aurait été faux dans le livre. Ça n’aurait pas convenu. J’ai laissé venir les choses comme elles me paraissaient devoir être, et le résultat, c’est que ce livre est en effet moins manifestement sombre et sordide que ceux qui ont précédé.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

Avec Diamants, tu nous proposes des mises en abymes, cette touche dont tu nous régales souvent dans tes écrits. Mais ici tu mets ce procédé au service de mythologies et mythes fondateurs que tu as créés. De ce fait, je ne peux que te comparer à un William Blake contemporain. Tu nous apportes différentes bribes de mythologies, comme quelques suggestions de créatures enchanteresses voire abominables et monstrueuses. Là justement je reconnais ta patte à garder un certain mystère, tant sur les origines, la nature ou l’apparence de certains êtres et créatures. Qu’est-ce que ces derniers représentent pour toi ?

Ce qu’ils représentent pour moi, tu le dis très bien : le goût du mystère. Je pense. Dans le déchaînement de l’imaginaire, il peut aussi y avoir une volonté, et c’est la mienne, de ne pas franchir toutes les limites, de ne pas tout donner à voir, malgré la liberté qu’on aurait d’essayer de le faire. Je déchaîne l’imaginaire, dans Diamants, j’essaye, comme bien d’autres l’ont fait avant moi et d’autres le feront après, de le libérer d’un impératif un peu despotique de révélation. Lui retirer ses chaînes, c’est le montrer dans sa nature profondément autre, accepter ce qui est en lui inaccessible ; ce que la part d’ombre de notre esprit, celle dont nous ne savons rien mais qui pourtant est là, devine et ressent de ce qu’un univers imaginaire suggère. C’est un peu la logique du fantastique – ce qu’on ne voit pas effraie plus –, mais dans une perspective plus onirique et fantasmatique : ce qui reste ignoré fascine. Notre ignorance fascine. La grandeur de ces monstres, leur magnétisme, tout cela serait ruiné si on le voyait trop. C’est du moins ce que je ressens et ce qui me guide en tant que lecteur et spectateur. Les visions les plus extraordinaires sont celles qui se dérobent à notre regard, demeurent dans la chambre obscure de notre imaginaire.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

J’ai également énormément apprécié la magie dans ton univers, la mancie comme tu la nommes ici. Sans trop en dire pour celles et ceux qui n’auront pas encore lu Diamants, peux-tu juste apporter quelques précisions autour de la floromancie et des fleurs ? Fleurs qui au demeurant sont riches en symbolismes et sont souvent liés à des légendes.

La floromancie existe sans doute en vrai, sous ce nom-là ou un autre, j’avoue ne pas m’être renseigné… Elle consiste, pour Dolbreuse, un personnage important du roman qui est en quelque sorte un « devin », à lire l’avenir dans les fleurs. C’est un peu, tu sais, comme les feuilles de thé au fond de la tasse. Dolbreuse sent l’énergie des fleurs, interprète le dessin que le hasard leur fait former. Il sait aussi lire les reflets, les surfaces de l’eau, mais c’est avec les fleurs qu’il est particulièrement doué. Quand j’utilise un nom de fleur dans le livre, ce n’est en général pas par hasard. Je me documente beaucoup sur le langage secret des fleurs, leur symbolique. Le nom de fleur que j’impose à un moment du texte est là pour créer en quelque sorte une profondeur, sous la scène qui est en train d’avoir lieu. Il n’est pas choisi au hasard. Pour moi les fleurs sont des mots avant d’être des choses. Leurs noms sont souvent somptueux. Les images qu’elles évoquent sont illimitées. Dans la vie, je suis catastrophique avec elles. Je ne les reconnais qu’à grand-peine. Je les oublie de toutes les façons possibles. Je les fais malheureusement mourir très facilement. J’en ai peu. Il ne faut pas m’en offrir. Sauf si elles sont fausses. Là, ça ira très bien.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

J’ai trouvé particulièrement juste que tu présentes les êtres humains dans toute leur complexité, aucun manichéisme, avec des désirs cachés, l’envie de briller de certains… Aussi, l’Évanescence, ce phénomène qui a progressivement éteint la mancie (bien que pas de manière uniforme), semble d’une certaine manière exacerber la convoitise, le désir, la cupidité des personnages, avec l’arrivée de l’Or Ailé, cet ange duquel des diamants tombent de la longue chevelure blonde. S’il est vénéré, très vite il y a un glissement qui se réalise : les gens vont commencer à se méfier de lui tandis que d’autres vont vouloir se servir de lui. Est-ce qu’ici c’est toujours l’envie de briller, quitte à détruire, qui guide certains de tes personnages dans leurs pensées et manigances pour déchoir l’ange ?

Je pense. Il y en a qui se méfient parce qu’ils perdent un peu la tête depuis que l’ange est descendu. Ils se sentent somnolents. Ils ont envie d’être en pleine maîtrise de leurs moyens. Pour beaucoup de courtisans, par exemple, ils n’aiment pas le mystère. Ils préfèrent le monde clair, lisible, dans lequel ils peuvent savourer pleinement leurs privilèges. Ceux qui veulent se servir de L’Or Ailé, plus encore, souhaitent briller : ce sont des gens puissants qui souhaitent exploiter les pouvoirs de cet être pour leur propre intérêt. C’est très classique. Tout le monde fait ça.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

J’ai évoqué William Blake plus haut mais j’ai perçu des influences de Tanith Lee et de Léa Silhol dans Diamants. Quelles ont été tes inspirations (littéraires, musicales…) pour ce roman ?

C’est vrai que très tôt dans mon parcours de lecteur j’ai croisé Tanith Lee et Léa Silhol. Ça a été un choc, et je pense que ça a beaucoup marqué mon écriture. Mais maintenant, quand j’écris, je ne pense pas à ce qui m’influence. Je suis influencé, c’est certain, mais je laisse les choses qui ont sédimenté en moi faire ce qu’elles veulent. Je suppose que c’est comme ça que ça se passe pour toutes les personnes qui écrivent. Bien sûr, ce que je fais serait très différent si je n’avais lu ni Tanith Lee, ni Léa Silhol, ni Marguerite Duras, ni Poppy Z. Brite, ni Gabrielle Wittkop, ni Anne Rice, ni Georges Bataille, ni beaucoup d’autres qui ne me viennent pas là tout de suite mais qui se sont en quelque sorte imprimés dans mon ADN d’auteur. Concernant la musique, pour Diamants, j’écoutais beaucoup de heavenly voices. Dead Can Dance ou Arcana, par exemple. Un certain nombre de noms de lieux viennent de leurs chansons. En écrivant, j’écoute toujours des choses atmosphériques assez tristes et éthérées, dans lesquelles le chant est soit lointain, soit absent. Ça aide à trouver le chemin d’une dissolution : ce que je désire quand je fais un texte, quel qu’il soit. C’est cette musique-là qui m’intéresse. J’ajouterai que les deux œuvres musicales que j’associe très fortement à la scène de l’apparition de L’Or Ailé sont « L’Hymne des Chérubins » de Tchaïkovski (un mouvement de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome) et « The Architecture of Melancholy » de Peter Bjärgö.

Interview : Vincent Tassy pour "Diamants"

Je ne peux terminer sans te demander si tu as déjà d’autres projets sur le feu ou des idées pour un prochain projet d’écriture ?

J’ai effectivement d’autres projets ! Je travaille sur un roman de littérature générale, donc sans imaginaire (ou alors la part en est tellement infime qu’on pourrait ne pas la voir). J’aurais bien du mal à en parler pour l’instant. C’est vraiment très différent de tout ce que j’ai fait jusqu’ici. C’est très contemporain. Très matériel. On verra bien si j’arriverai au bout. Si ce sera publié. Et puis j’ai d’autres petites choses en route, dont je pourrai sans doute parler un peu plus dans un futur proche ! Merci infiniment, Maude, pour la qualité de tes articles, de ta plume bien sûr, et aussi pour ta fidélité magnifique à mes travaux !

souvenir de ma première rencontre en chair et en os avec Vincent, à Livre Paris 2019 !

souvenir de ma première rencontre en chair et en os avec Vincent, à Livre Paris 2019 !

Publié dans interview auteurices

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