Claire Krust, L'Héritage de l'esprit-roi, Éditions ActuSF, Collection Bad Wolf, 19 août 2022
4ème de couverture
Shinya est l'onmyoji impérial. Maniant l'illusion et la divination, il est le garant de l'équilibre entre le monde des humains et celui des esprits, à la fois protecteur, juge et bourreau. Quand la fiancée de l'empereur est victime d'une étrange malédiction, c'est à lui de mener l'enquête. Shinya se lance sur les traces du coupable, mais celles-ci semblent conduire tout droit vers un lieu de son propre passé, qu'il pensait oublié…
D'où vient la longévité extraordinaire de Shinya et la marque noire qui apparaît parfois sur son front ? Quel prix l'onmyoji est-il prêt à payer pour maintenir l'équilibre ?
Avec L'Héritage de l'esprit-roi, Claire Krust revient dans son univers japonisant de prédilection qu'elle avait déjà exploré dans Les Neiges de l'éternel. Avec la sensibilité qu'on lui connaît, elle propose une relecture personnelle des liens qui unissent humains et esprits.
Avant-propos
Je remercie les Éditions ActuSF et Jérôme pour l’envoi de ce service presse ! Ce nouveau roman de Claire Krust m’a de suite attirée par la présence bien marquée du folklore japonais. D’ailleurs, j’en avais récemment profité pour enfin sortir de ma PAL Les Neiges de l’Éternel de la même autrice. Celui-ci présente un Japon féodal fantasmé où déjà l’on sent l’importance des croyances et du folklore. Avec L’Héritage de l’esprit-roi, toutefois, l’accent est mis sur les esprits, entre Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro !
Mots clefs
Fantasy – Japon – Isekai – folklore japonais – monde des esprits – yōkai – esprits – fantômes – malédiction – hommes et esprits – équilibre – enquête – passé
Enquêter sur une malédiction
Avec son nouveau roman, Claire Krust nous offre une ribambelle d’esprits en tout genre ! Dans cet univers japonais, le folklore prend vie : démons, fantômes et autres existent bel et bien, ils côtoient les humains. Toutefois, l’équilibre entre ces deux mondes doit être maintenu, c’est la raison d’être des onmyojis. Ainsi l’on suit Shinya, l’onmyoji impérial, personnage énigmatique et secret, qui change son apparence et porte une étrange marque au front qui apparaît de temps à autre.
Alors qu’il est appelé pour guérir la fiancée de l’empereur, il fait appel, pour l’assister, à Sayo, à qui aurait dû revenir le titre d’onmyoji impérial. Elle est persuadée que c’est à cause de Shinya que sa grand-mère est décédée, et cherche à le prouver. Le sortilège qui a atteint la fiancée de l’empereur se révèle une malédiction puissante, lancée par un esprit. S’ils ne parviennent à l’identifier, Shinya entraperçoit le lieu où elle a été lancée. Une forêt.
Les deux onmyojis font alors équipe pour enquêter et retrouver l’esprit qui a lancé la malédiction, car il doit être puni. Ils sont accompagnés de leurs Shikigamis, « esprits domestiques ». Moryo, un loup arrogant, et Aï, une jeune femme dont se servaient des humains, sont au service de Shinya.
La ville de esprits
Comme à son habitude, Shinya n’est pas causant, aussi, ses compagnons prennent leur mal en patience durant le trajet. Les voilà qui abordent l’orée d’une forêt. L’onmyoji impérial les conduit à une frontière, là ils pénètrent dans le monde des esprits ; des masques cachent l’identité humaine des deux onmyojis. D’étranges lanternes animées finissent par apparaître, et bientôt, ils aperçoivent la ville. La ville des esprits.
À l’instar du Voyage de Chihiro, cette ville s’apparente grandement aux versions humaines, mais à l’architecture parfois impossible, très haute. Bien entendu, ici il n’y a que des esprits, des onis (ogres), des kitsune (renards) : toute la représentation possible des yōkai (démons japonais).
Ce qui est intéressant de noter, c’est que d’ordinaire, c’est-à-dire dans le monde humain, les différents esprits cohabitent ici, malgré la puissance et la bestialité de certains. Mais tout comme son reflet mortel, la ville montre des stratifications sociales : les Premiers (les plus vieux et donc puissants esprits) dans leur vaste propriété, la classe moyenne (artisans, commerces) et les clandestins.
Comment un tel univers est-il né ? Il s’agit de l’esprit-roi qui l’a créé, pour abriter les esprits car ils ne peuvent vivre auprès des humains, ces derniers les chassent en faisant appel à des exorcistes, les empêchent de rester dans leur lieu de vie humain. Si ce projet ressemble à une utopie, malheureusement l’esprit-roi a disparu depuis des siècles, et bien que tous attendent son retour, les inégalités et injustices se creusent dans sa ville. Les gardes en viennent même à tuer des clandestins.
Le passé refait surface
Alors que nos compagnons s’installent en ville pour enquêter, l’on comprend que Shinya a vécu ici, autrefois, dans une autre vie. Tout comme dans Les Neiges de l’Éternel, Claire Krust a mis en place un récit non linéaire. Car si Shinya ne se raconte pas, Aï entre dans ses souvenirs, ainsi, le récit est entrecoupé de plusieurs parties conséquentes de la vie de Shinya avant qu’il ne devienne onmyoji impérial. Je dois dire que ces passages m’ont le plus plu, ils sont le véritable fil du rouge du roman, le lien reliant le monde des humains à celui des esprits.
Le retour de l’esprit-roi
Shinya fait des efforts pour ne pas se laisser gouverner par son passé et la mélancolie et les colères qu’il contient, pour mener à bien sa mission, maintenir l’équilibre. Pourtant, plus nous avançons, et plus ce terme d’équilibre vacille. L’injustice ressort dans les deux univers, humain comme celui des esprits. Le passé que Shinya pense révolu existe toujours, bien que dans un premier temps il va fermer les yeux dessus, se réfugiant dans le rôle de l’onmyoji.
Lorsque l’enquête qu’il mène avec Sayo percute de plein fouet la sécurité de la ville de l’esprit-roi et, par extension, le monde des hommes. En effet, une étrange maladie pousse à la folie les esprits qui tuent alors leurs semblables, se métamorphosant en êtres ignobles pourvus de tentacules et imprégnés d’un miasme noir.
Alors que le passé de Shinya le rattrape, l’on murmure le retour de l’esprit-roi. Mais alors pourquoi accuse-t-on de traîtrise Hinode, la gardienne de la frontière, amie de l’esprit-roi ?
Traits et couleurs
Voilà les grandes lignes du nouveau roman de Claire Krust. Magie, folklore japonais vivant, malédiction, enquête et passé, le tout en un récit non linéaire. L’autrice nous propose comme de coutume un style épuré, toutefois, je pense qu’elle aurait ici gagner à donner des détails supplémentaires quant aux descriptions et aux personnages : par exemple, le tableau de la ville grouillante d’esprits manque de traits et de couleurs à mon goût. Par ailleurs, côté détails, Moryo est bizarrement absent durant une bonne partie de l’intrigue, et la question quant au cerisier de la famille de Soya, évoquée plusieurs fois dans le récit, n’a pas été résolue.
Malgré tout, passons sur ces détails : j’ai beaucoup apprécié cette lecture, notamment tout ce qui a trait aux esprits, à l’esprit-roi (un dragon !), au passé de Shinya, plus intéressant au final que l’enquête qui le conduit de nouveau dans la ville de l’esprit-roi. La résolution est magistrale ! Tous les éléments s’imbriquent pour assembler le puzzle final et terminer sur des couleurs plus apaisées, amicales.
En bref : avec son nouveau roman, Claire Krust nous offre un récit non linéaire, entre Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro. Magie, folklore japonais vivant, malédiction, enquête et passé s’imbriquent sous le style épuré de l’autrice qui, bien que manquant d’un peu de profondeur et de couleur, offre de bons moments de lecture. L’Héritage de l’esprit-roi nous offre une ribambelle d’esprits en tout genre ! Alors vous aussi, venez découvrir la ville de l’esprit-roi, mais n’oubliez pas votre masque, au risque d’être dévoré.e…
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