Interview : Christophe Guillemain pour "L'Enterrement des Étoiles"

Publié le par Maude Elyther

Interview : Christophe Guillemain pour "L'Enterrement des Étoiles"

Bonjour à vous !

Je reprends enfin la rubrique "interview d'auteurices" par ici :)

Bien que j'ai lu L'Enterrement des Étoiles en début d'année, je demeurais intriguée par cet univers, aussi Christophe Guillemain s'est prêté avec plaisir à cette interview.

Pépite de l'Imaginaire 2022 aux Éditions Mnémos, il s'agit du premier roman de l'auteur.

L'Enterrement des Étoiles en quelques mots :

Dans un monde au bord du déclin, les laissés pour compte se retrouvent au cœur d’une prophétie. Car l’élu a été annoncé, Celui qui ouvrira la porte d’Omorée, le paradis, aux miséreux. Entre fantasy, mythologie, prophétie, magie, l’auteur brosse un univers bien à lui, entre humains et créatures surnaturelles égarés par les illusions.

N'hésitez pas à (re)découvrir ma chronique :

Interview : Christophe Guillemain pour "L'Enterrement des Étoiles"

Maude Elyther : Bonjour Christophe, merci infiniment d’avoir répondu présent pour cette interview ! Je vous ai découvert via L’Enterrement des Étoiles, Pépite de l’Imaginaire 2022 aux Éditions Mnémos. Pourtant, il ne s’agit pas là de votre première publication. Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours littéraire ?

Christophe Guillemain : Bonjour Maude, merci beaucoup pour votre invitation.

J’ai 39 ans et je vis à Clermont-Ferrand. J’ai toujours baigné dans l’imaginaire, d’abord grâce à la bibliothèque de mes parents. Enfant, je lisais Creepy, Métal Hurlant, Pilote, puis j’ai découvert la littérature d’épouvante et d’horreur, et la Fantasy dans une moindre mesure (essentiellement par les jeux de rôle). D’une manière générale, j’aime l’insolite, le bizarre, tout ce qui stimule mon imagination et me transporte dans des lieux inattendus. Mais il n’y a pas que les bouquins et le cinéma, les visites de sites historiques et les balades ont aussi ce pouvoir stimulant.

Tout jeune, j’ai commencé par essayer d’écrire des Livres dont vous êtes le héros, je m’inspirais de ceux que je lisais, j’aimais beaucoup la collection Quête du Graal de Brennan, ses bouquins se distinguaient par leur loufoquerie. Et puis, j’écrivais des nouvelles inspirées par Lovecraft et Moorcock.

Après une période à vide, je me suis essayé à la scénarisation, j’ai lu des bouquins sur le sujet et j’acceptais n’importe quel projet en me disant que toutes les expériences étaient bonnes à prendre. Certaines collaborations étaient enrichissantes, d’autres moins, mais je crois que le plus important est d’être dans une dynamique, peu importe les échecs. Aussi, le coût des films est souvent un frein à la liberté, d’autant plus qu’il faut composer avec les desiderata des investisseurs. L’acte d’écrire, en soi, est essentiellement un investissement en temps, pas besoin de matériel ou de logistique pendant la phase de création. Cette liberté me convient mieux.

Pendant une période de chômage, j’ai écrit des dizaines de nouvelles et quelques romans. Mes premières publications étaient des textes courts, La loi de Fontalaine dans la revue Etherval, Marche vers le crépuscule dans une anthologie aux éditions Fantasmagorie, La tour dans le labyrinthe chez AOC… J’ai ensuite publié quatre nouvelles dans la revue Gandahar, ce qui m’a particulièrement touché, car j’apprécie le travail de J.P. Fontana, Caza et Andrevon, et que je regardais souvent ma VHS de Gandahar étant gamin. J’ai également eu la chance d’avoir une couverture de Boucq aux Éditions Secrètes. Lorsqu’on travaille seul dans son coin pendant des années, ce sont des petits succès qui stimulent beaucoup.

Fin 2021 et début 2022, j’ai publié deux romans, un conte nommé La marche de l’enfant-saule, illustré par Nadia Meyer, aux éditions Kelach, et l’Enterrement des étoiles chez Mnémos.

Interview : Christophe Guillemain pour "L'Enterrement des Étoiles"

Maude : Avec L’Enterrement des Étoiles, vous proposez une œuvre complexe, riche en ramifications et en profondeur : comment est née l’esquisse de ce projet ?

Christophe : Je pense que le point de départ était le personnage de l’élu de pacotille qui cherche à s’émanciper dans un univers de faux-semblants. Le rapport à la réalité est une de mes obsessions, d’où l’importance de cette quête de vérité. Le choix d’avoir intégré la plupart de mes personnages dans une compagnie de saltimbanques en découle, car le monde du spectacle et des illusions représente un miroir tendu à cette société basée sur le mensonge. Ici, la réalité est bornée d’un côté par la subjectivité de celui qui l’observe, et de l’autre par le vide qui précède à la vie, d’où l’idée d’un monde sans étoiles qui se réduit, se contracte à mesure que grandit l’aveuglement de ses habitants.

La genèse de cette histoire a été plutôt chaotique, je me suis interrompu plusieurs fois pour remettre de l’ordre dans mes idées, le temps d’écrire un autre texte. Il me faut parfois du temps pour comprendre ce que je cherche à écrire, car le point de départ n’est souvent qu’une vision, quelque chose d’instinctif, un peu comme au réveil, quand on essaie de se souvenir d’un rêve.

La quête de rédemption qui est le fil conducteur de la dernière version m’est ainsi apparue tardivement. Pour la mettre en place, j’ai réécrit une bonne partie du texte l’année avant sa parution.  

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Maude : Loin de vous contenter d’un nouveau roman de fantasy postapocalyptique, vous jouez sur les codes, notamment celui de la prophétie et de l’élu. Illusions, désillusions, monstres, mythes : vous avez à votre arc bien des éléments que vous avez repensés et manié à votre sauce. Sont-ce des éléments clef inhérents à votre travail d’écriture, de vous baser sur des items et figures existantes pour vous les approprier, les dépasser ?

Christophe : Je vois mes histoires comme des contes cruels plutôt que comme des romans de fantasy, d’où l’importance des symboles. Je n’aime pas inventer toute une faune et une flore fantastique, écrire de la High Fantasy ne m’intéresse pas, je préfère me servir des figures connues, comme ici le vampire ou l’ange, dans un cadre évoquant la mythologie chrétienne. Et puis, j’invente le moins possible de mots ou de noms, ou alors j’essaie de leur donner un sens. Par exemple, Mether est la contraction de « mother » et d’« éther », Todestre signifie « être mort », Ubricar « car l’hubris » …

Pour prendre l’exemple du monde dans lequel se déroulent les événements de L’enterrement des étoiles, je ne l’ai pas inventé de toutes pièces gratuitement. Il est à l’image des vices du tyran dont on découvre le visage, la projection de son âme tourmentée. Ce monde doit mourir pour que le tyran achève sa quête de rédemption, d’où la nécessité d’une apocalypse.

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Maude : J’ai beaucoup apprécié la galerie de personnages très hétéroclites que vous présentez, notamment via leurs souvenirs que vous distillez. Tous possèdent une grande profondeur, on sent les marques de leur vie, de leur passé. Plus on avance et plus on aperçoit leur véritable visage. Comment les avez-vous construits : via l’élaboration de fiches, ou les avez-vous laissé évoluer, vous surprendre ?

Christophe : D’habitude, je ne fais jamais de fiches de personnages, mais j’ai fait une exception à un moment précis où j’étais bloqué dans l’écriture de L’enterrement des étoiles. Probablement parce qu’au départ, je n’avais qu’un synopsis partiel de cette histoire et que j’avais choisi de la raconter par les yeux de nombreux personnages. Au fur et à mesure que se dévoilaient les tenants et les aboutissants du récit, j’ai modifié le caractère et les motivations de mes personnages pour qu’ils trouvent leur place dans mon univers. Certains ont connu de nombreuses modifications de personnalité et de leurs motivations, comme le vieux Todestre ou les deux confesseurs, d’autres beaucoup moins, je pense notamment au bossu Tristo, aux deux gamins, ou à la magicienne. Il y a aussi des personnages qui sont apparu en cours d’écriture, comme le roi Jenophon.

En relisant ma première version, je me rends compte que l’histoire a beaucoup évolué. Au départ, le personnage amnésique était Ylias et non le vampire Matifas, qui n’avait pas eu le même rôle dans sa vie de mortel. Le confesseur Lauranz était un politicien (ce qui transparait encore derrière sa manière d’agir). Les personnages incarnés par Mether et Jenophon ne dirigeaient pas la cité de Naacht, ils arrivaient plus tard. Et puis, quelques personnages mourraient en chemin, alors qu’ils étaient promis à un destin plus grand…

En général, je pars d’une vision dont je cherche le sens, d’où la nécessité d’un certain retravail. Ce n’est probablement pas la méthode la plus rigoureuse ou la plus efficace, mais j’essaie de trouver un juste milieu entre la technique artisanale et la création instinctive. Les histoires trop bien calibrées qui pourraient être écrites par des machines ne m’intéressent pas.

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Maude : Plusieurs êtres et créatures se montrent entre les pages de votre roman, n’appartenant pas réellement au monde terrestre. Il y a les monstruosités égarées, le monde des ténèbres arachnéennes… J’ai lu dans une interview, sur le blog Les Chroniques du Chroniqueur, que pour ce dernier vous vous êtes basé sur votre arachnophobie : comment se sont déroulées la mise en place et l’écriture de ces passages ?

Christophe : D’une manière générale, j’utilise mes peurs pour créer mon univers, mais l’arachnophobie n’est que la moindre de ces peurs. La prédation sous toutes ses formes, la perspective de vivre dans un monde qui va devenir de moins en moins habitable pour les plus infortunés, l’impossibilité de communiquer… tous ces éléments sont présents dans cet univers qui ressemble à un enfer personnel. Ce roman évoque la quête de rédemption d’un tyran, sa mue. Pour devenir quelqu’un de meilleur, il va devoir sonder l’abîme de son inconscient pour découvrir son trauma, son péché originel. Nous en revenons à l’araignée démoniaque qui symbolise ce péché. Comme je l’explique dans l’interview que vous citez, je crois que j’ai emprunté ce symbole au roman gothique Tenebrae de Ernest George Henham (aux éditions Terre de Brume). Dans cette histoire prenant place dans un manoir sinistre, un homme assassine son frère par jalousie, avant d’être pourchassé par la vision d’une araignée qui va le plonger dans la folie.

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Maude : En ce qui concerne certaines apparitions (l’être au visage humain, l’apparition aux thermes), je les ai trouvées mélancoliques, tristes même, ou envoûtantes. Quel message vouliez-vous faire passer via ces entités ?

Christophe : Ces apparitions sont des chérubins, des créatures célestes au même titre que les anges. Lorsque le chemin vers le paradis a été perdu, ces êtres se sont retrouvés piégés dans le monde des mortels. Ce sont des créatures tragiques qui n’ont plus de but, ni de raison de vivre, des êtres plus ou moins imbéciles, pourvus d’organes démesurés ou de tentacules, mais d’une fascinante beauté. Ils sont devenus fous après des années d’errance dans le labyrinthe reliant le paradis et le monde terrestre. J’ai écrit les affrontements contre les chérubins de manière à montrer leur manque de volonté, certains d’entre eux se défendant à peine, comme s’ils souhaitaient mettre un terme à leur existence absurde.

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Maude : Revenons sur les personnages. J’ai adoré Matifas, son amitié avec la petite Poppiela. Aimez-vous certains personnages plus que d’autres ? Y en a-t-il pour lesquels il a été difficile d’écrire ?

Christophe : J’envisage souvent les personnages comme des duos et non individuellement, Matifas et Poppiela (l’immortel égaré et la jeune fille condamnée, mais déterminée), les deux confesseurs (le pragmatique et le dévot inflexible), Mether et Jenophon (l’orgueil démesuré et l’humilité poussée jusqu’à l’inconscience morbide), Tristo et Jyss (la révolte passionnée et la fuite en avant), etc…

Certains personnages ont mis plus de temps à se déterminer que d’autres, notamment Mether et le confesseur Yon, mais leur personnalité s’est révélée au fil de l’écriture, notamment par les conflits qui ont révélé leurs faiblesses.

J’aime particulièrement les personnages révoltés, ceux qui essaient de lutter contre le cours des choses. Je pense notamment au bossu Tristo qui est colérique, de mauvaise foi, outrancier dans toutes ses réactions. Il se montre volontiers protecteur avec les plus faibles, le jeune Sébaste et l’homme sauvage Joran, mais il est violent, incapable d’échapper à ses contradictions et de s’extraire de son ancienne vie d’assassin.

La quasi-totalité de mes personnages pourrait passer pour des « méchants », mais ce n’est pas ainsi que je les vois, car ils sont tous victimes de leur destin, y compris ceux dont on croit qu’ils tirent les ficelles.

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Maude : Quels ont été vos inspirations (littéraires, filmographiques, musicales…) pour L’Enterrement des Étoiles ?

Christophe : J’aime beaucoup chercher, après coup, mes influences littéraires et cinématographiques, je vois ça comme un exercice d’autoanalyse.

Tout d’abord, la maladie qui touche les deux enfants et qui les transforme en plante évoque la Divine Comédie de Dante ou les Métamorphes d’Ovide.

Les confesseurs, qui ont la capacité d’explorer les souvenirs d’autrui, tiennent des Extrapers de L’homme démoli, d’Alfred Bester.

L’univers en déclin, condamné aux ténèbres, me vient probablement du Pays de la nuit de W.H. Hodgson.

Il y a aussi du grotesque et un peu du personnage d’Ursus (refus des conventions sociales) de L’homme qui rit, de Victor Hugo.

Quant aux labyrinthes, j’en mets partout, c’est obsessionnel, j’aimais créer des donjons de jeu de rôle quand j’étais gamin. Les grottes m’ont également toujours fasciné, notamment celles de l’Ariège que je visitais près de Tarascon.

Les monstres aussi, je les ai toujours aimés, parce qu’ils sont singuliers et qu’ils vivent en marge de la société.

Et puis, il y a aussi des espèces d’easter eggs, volontaires ou non : l’œil géant qui roule dans un escalier est une référence au premier jeu vidéo auquel j’ai joué : Castlevania Adventure sur Game Boy. L’horloge présente dans la scène entre les deux vampires est un clin d’œil au cinéma de Jean Rollin. Les araignées, notamment dans la scène où les deux gamins luttent dans leur roulotte, peuvent évoquer les Facehuggers d’Alien, le maquillage d’Ylias lorsqu’il monte sur scène fait référence au somnambule Cesare dans le Cabinet du docteur Caligari… Ah, et puis, les combats ponctuant le récit, à chaque fois contre un nouvel adversaire dont la forme est surprenante, me viennent certainement des golgoths de Goldorak… Go Nagaï ayant été influencé par les gravures de Gustave Doré illustrant l’enfer de Dante, la boucle est bouclée.

Concernant les influences musicales, j’ai écouté beaucoup d’albums pendant l’écriture (je n’écris jamais sans musique, ou alors seulement des synopsis dans des cahiers), je citerais par exemple The Pogues, Radiohead, Uriah Heep, The Cranberries, Queens of the Stone Age, mais aussi quelques ballades de Polnareff...

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Maude : Enfin, pouvez-vous nous parler de vos projets actuels/futurs ?

Christophe : Je termine l’écriture d’un court roman contemporain dans le genre fantastique/horreur/absurde mettant en scène un labyrinthe (je n’en sors pas !). Il reprend certains thèmes de L’enterrement des étoiles, mais il est très différent, ne serait-ce que parce qu’il est axé sur un seul personnage.

Je compte aussi reprendre l’écriture d’un roman mettant en scène un personnage insolite mêlé à la quête du Graal dans une Auvergne fantasmée.

Et d’autres projets très différents, je développe toujours plusieurs synopsis en même temps pour rester ouvert à de nouvelles idées, mais aussi et surtout parce que rien ne me fait plus peur qu’une page blanche.

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Publié dans interview auteurices

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