Léa Silhol, Sous le Lierre, Nitchevo Factory Ed., 31 mai 2016

Publié le par Maude Elyther

Couverture de Dorian Machecourt

Couverture de Dorian Machecourt

4ème de couverture

Par-delà un simple mur écroulé, au fond du parc d’un manoir anglais, s’étendent des bois immenses, ceinturés de légendes et d’étranges interdits. L’héritière de cette antique demeure, Ivy Winthorpe, ne se définit que par le regard sarcastique qu’elle jette sur toutes choses, les livres qu’elle lit en cachette, sa nature de centaure et, par-dessus tout, les bois vers lesquels elle ne cesse de s’évader, contre toute opposition et obstacle.

C’est la plume de celle qui se définit elle-même comme “un petit système ensauvagé” qu’endosse l’auteure, le temps d’un hymne barbare, à la charnière entre les jardins d’une aristocratie moribonde et les étendues de la millénaire forêt de Savernake, noyée de mystère et de vivants secrets.

Un voyage passionnel et féroce dans le grand vert de l’implacable nature, filigrané par la figure énigmatique du Green-Man, le pas des cavaliers, et hanté par l’ombre obsédante du Heathcliff d’Emily Brontë.

Au travers de ses cycles primés de Vertigen et du Dit de Frontier, Léa Silhol s’est inscrite comme une figure incontournable de la fantasy mythique, et une pionnière de la fantasy urbaine en France. Sous le Lierre est son sixième roman, et le premier à décliner à la fois les gammes du roman historique, et du réalisme magique.

https://nitchevo.net/sous-le-lierre

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Avant-propos

J’ai découvert Léa Silhol avec La Sève et le Givre lorsque j’étais au lycée, avec l’édition poche de France Loisirs. Je foulais alors des dimensions incroyables, tant sur l’œuvre en elle-même (cette vision de la Faërie de l’autrice !) que sur la plume : une véritable révélation pour la moi de cette époque. Et puis, est arrivé un véritable crève-cœur : les autres écrits de Léa Silhol ne se trouvaient plus que d’occasion, à des prix exorbitants. Bien des années ont passé avant que je ne découvre que la Dame avait certes continué d’écrire, mais qu’une foultitude de ses ouvrages étaient désormais disponibles chez Nitchevo Factory ! Depuis, j’ai commencé à collectionner ses livres, et enfin, j’ai sorti de mes étagères Sous le Lierre, dont je vous livre mon retour 😊

Mots clefs

Réalisme magique – roman historique – fantasy mythique – légendes – forêt – animaux – interdits – croyances – femme sauvage – hymne au sauvage – nature – mystères – secrets – poésie – Petit Peuple – symbolisme

Introduction

Il est des livres pour lesquels rédiger une chronique s’avère délicat, presque périlleux, dans le sens où cela devient un exercice intimidant oserais-je dire. En effet, comment traduire réellement les sentiments de lectures formidables que nous rencontrons, parfois ? Se défiler n’est toutefois pas un choix valable, dans la mesure où un texte et son auteurice méritent davantage que « J’ai beaucoup aimé. » [point]. Il y a le format « lettre d’amour » que mes doigts, galopant sur le clavier, tapent pour les romans de Vincent Tassy (ce qui est très clairement identifiable avec Comment le dire à la Nuit). Mais, ici, quelle forme esquisser ? S’il ne s’agit que du second roman de Léa Silhol que j’ai lu, La Sève et le Givre a laissé son empreinte indélébile pour les raisons citées dans l’avant-propos. Alors, en sus de retranscrire Sous le Lierre, c’est, aussi, un peu comme si je cherchais à rendre également hommage au premier titre de l’autrice que j’ai lu.

Aussi, je gage qu’il est indispensable de vous installer confortablement et de vous munir d’un bon thé pour lire ce nouvel article !

Angleterre, XIXème siècle

Nous sommes en Angleterre à la fin du XIXème siècle, dans le comté de Wiltshire plus précisément, où, au manoir d’Hornswood, vit Ivy Winthorpe, unique héritière. Ivy va fêter ses seize ans ; loin de se soucier de l’idée de mariage que son père esquisse, elle ne possède que véritablement 3 intérêts : son chien, Sylvian, son cheval, Aljabbar, et, surtout, ses promenades dans la Forêt de Savernake. Pourtant, les Bois lui sont interdits, bien que personne ne lui ait jamais expliqué pourquoi, mais pour elle, plus qu’une règle qu’elle transgresse chaque jour, il s’agit d’un véritable élan vital.

Tête renversée sous les astres pulsatiles, je respire les parfums de la forêt nocturne.

Sous le Lierre, Léa Silhol, Nitchevo Factory Ed.

Esprit indompté

Ayant grandi dans un milieu aristocratique, Ivy en possède en apparence les rouages. En apparence, car cette existence est pour elle un simulacre, le regard qu’elle porte sur ses contemporains se révèle cynique. Elle porte un masque sur son esprit indompté, celui qui aspire tout entier à la liberté : courir dans les bois. Si dans sa tête elle se voit hériter du domaine, en réalité se serait son époux qui en aurait la gestion, et cette pensée lui est intolérable. C’est comme si la sève de la Forêt coulait dans ses veines, elle la ressent et la comprend. La force de caractère d’Ivy, son envie de liberté, étroitement liée à l’émancipation, s’aligneront, en plus d’autres forces, sur son chemin.

J'aurais pu donc, certainement, me satisfaire de ma vie, telle qu'elle était, et avait toujours été : luxueuse, cossue et tranquille, marchant au pas de la verte campagne, des floraisons des roses et des récoltes. Oui, sans doute aurais-je pu, sans grand mal, trouver à m'en accommoder, si on ne s'était pas piqué de murer mon chemin vers cette autre dimension de la nature en général, et de la mienne en particulier : la beauté féroce et insoumise des bois.

Sous le Lierre, Léa Silhol, Nitchevo Factory Ed.

Ouvrir sur la Forêt

Qu’est-ce donc que Sous le Lierre : un roman historique, de folklore, de réalisme magique ? écologique ? féministe ? une satire sociale de la fin du XIXème siècle ? une ode à la Nature et au sauvage – à la femme sauvage ? Nous voila d’emblée face à sa complexité puisqu’il est tout cela à la fois et peut-être encore différent. Léa Silhol a bâti là un texte foisonnant comme une forêt, la narratrice étant tel l’arbre qui cache la forêt, ou plutôt : qui ouvre sur la Forêt. D’ailleurs, Forêt ou Bois, je ressens le besoin de les écrire avec une majuscule, entités à part entière.

Yoann Lossel, Forgotten Gods, 2013

Yoann Lossel, Forgotten Gods, 2013

L’enfant des bois

Il advient un crève-cœur : on fait murer l'accès d'Ivy à la Forêt, qu’elle avait au niveau de la grille au fond du jardin du manoir. Cette frontière vers la dimension végétale et sauvage est-elle réellement de nouveau infranchissable ? Au village, elle rencontre Fern Adelstadt. De la couleur de ses yeux, du physique qui dénote parmi les paysans, son port hautin ou encore le fait que les garçons de son âge se bousculent pour lui plaire : voilà Ivy intriguée. D’autant plus lorsqu’elle le surprend s’engouffrer dans le Bois, occasion par laquelle elle découvre un autre accès à sa chère Forêt. Les deux jeunes gens vont commencer à s’apprivoiser. Au contact de Fern, Ivy change, ou devient-elle enfin elle-même ?

C’est ensemble qu’ils arpentent les Bois, lisant de la poésie (Keats), nageant, courant. Pourtant, tout comme la Forêt, la mère d’Ivy lui interdit de parler à Fern. Le mystère autour de son ami la passionnant bien trop, elle va commencer à se renseigner, l’air de ne pas y toucher. Fils bâtard d’une Duchesse, les habitants du village se signent sur son passage ou lorsque son nom est mentionné. On l’appelle « enfant des bois », mais qu’est-ce que cela signifie ?

Je n'ai jamais ressenti l'empreinte de ce qu'on appelle le sacré, lors des cérémonies religieuses que prises tant mon père. Mais je le perçois toujours ici, dans les bois. Non comme une présence lourde, scrutatrice, qui passerait son temps à nous observer, dans l'attente de nos faux pas ; mais au contraire comme une simple existence, une dimension supplémentaire, plus aisément perceptible, du Naturel. Père, lorsque je lui ai opposé cet argument, m'a dit que je confondais le sacré et la beauté, et que c'était là un crime païen. Ma mère a simplement pâli, et ses yeux silencieux m'ont dit, encore : "N'y va pas."

Sous le Lierre, Léa Silhol, Nitchevo Factory Ed.

Croyances, superstition, folklore

Tâchant d’éclaircir le mystère Fern, Ivy va se retrouver confronter à d’étranges superstitions des villageois ; il devient évident qu’ils cachent quelque chose. Et, toujours, l’interdit pesant de sa mère quant aux Bois, à Fern. L’urgence se fait sentir lorsque Fern lui apprend qu’il partira en Virginie, sa mère, la Duchesse, lui allouera une terre. Il est impensable pour Ivy qu’ils se quittent. Alors qu’elle promet de trouver une solution, l’un de ses amis au village en a appris un peu sur les agissements louches. Je ne souhaite pas en dire davantage pour ne pas vous gâcher la lecture du roman, toutefois, cela a trait aux croyances, superstitions et folklore.

Ivy va continuer d’enquêter, avec l’aide de sa cousine Laura, très moderne, et de certaines connaissances de celle-ci, des professeurs. Le comté de Wiltshire étant riche côté folklore, quelques éléments se précisent grâce à leurs recherches. Il ne faut pas oublier que ces terres comportent leur lot de légendes, des tumuli, des chevaux… Ce passage, un peu plus érudit peut-être, m’a grandement passionnée !

Tomasz Alen Kopera

Tomasz Alen Kopera

Réalisme magique

Dans cet univers empreint de folklore, la Forêt prend vie, palpite, fascine. Face à des légendes, des récits de famille ancrées sur les terres des Winthrope, les Bois possèdent une aura mystique. Pour autant, la narratrice elle-même écrira ne pas être sûre d’avoir été confrontée à une réelle magie des lieux.

De ce fait, Sous le Lierre, s’apparente davantage au réalisme magique qu’au fantastique ou à la fantasy. Roman classique, historique, nuancé de folklore et de manifestations mystérieuses, la magie ne régit pas cet univers, tout comme les émanations d’aspect fantastique n’interviennent pas pour effrayer ou angoisser. Il me semble que le réalisme magique apparaît comme une prolongation de croyances, ici autour de la nature, plus précisément de la Forêt de Savernake. Ce sous-genre interrogerait sur les notions de « sens » ou encore de « vérité », ce qui est clairement établi ici. Ce qui se révèle parfait pour jouer sur les codes du roman, celui-ci étant « inclassable » de par son brassage de genres et de thèmes.

Nous sommes peut-être, au fond, tous semblables, nous les "civilisés" (...) : conservant cette part primitive de nos caractères qui nous pousse à aimer marcher hors des champs, des cultures bien rangées et de l'intendance que nous avons imposée au monde. Nous conservons la nostalgie de notre habitat tel qu'il était avant que nous l'ayons domestiqué : mystérieux, surprenant et, par-dessus tout, insoumis.

Sous le Lierre, Léa Silhol, Nitchevo Factory Ed.

Femme sauvage

La mère d’Ivy lui répète que son cœur « est terrible », parce qu’elle la sait indifférente, qu’elle n’a pas de réels amis, qu’elle est « froide ». En réalité, la nature d’Ivy est sauvage : c’est une jeune femme qui court dans les Bois, qui ressent au plus profond d’elle la Nature, qui a un lien privilégié avec la Forêt de Savernake. En ces lieux, elle ne fait plus qu’une avec sa nature : un être humain qui redevient animal. Son rapport aux animaux, Sylvian et Aljabbar, reflète cette similitude humain/animal, notamment lorsqu’elle galope sur Aljabbar : ils forment alors un centaure. On ressent son instinct, son exaltation primitive, sa force. Mais aussi sa rogne sauvage lorsqu’on s’en prend à sa Forêt ou a son Fern.

Le personnage d’Ivy est à double sens : la facette aristocratique froide voire agaçante, et la réelle facette, insoumise. La première est le masque civilisé pourrait-on dire, quant à la seconde, elle incarne la femme sauvage.

Le prénom « Ivy » signifie lierre, cette plante parasite qui pompe la sève de son hôte auquel elle s’est fixée, mourant avec lui. Cette métaphore végétale peut aussi faire référence à l’ancrage d’Ivy, ou enracinement, à ses terres, toutefois, elle trouvera sa propre symbolique.

Tomasz Alen Kopera

Tomasz Alen Kopera

Hymne au sauvage

J’aimerais en dire beaucoup plus, mais je tiens à garder les mystères de cette œuvre ! Aussi, je termine cette dernière partie sur la Nature. Avec la Forêt de Savernake, Léa Silhol fait éclore un berceau universel, celui de la vie, l’habitat que nous, les hommes, avons quitté, celui qui par la suite nous a fasciné, effrayé, au point que nous lui créions – ou pas – un aspect mystique, féerique. Les Bois sont un écho boisé aux abysses des mers et océans : des berceaux-univers qui nous sont devenus mystérieux, étrangers.

Aussi, la narratrice de Sous le Lierre se fait la dépositaire de sa Forêt : la nature doit être comprise, protégée, quitte à ce que ses secrets ne soient pas révélés, peut-être juste effleurés par certain.e.s.

Les odeurs des sous-bois, de la rivière, imprègnent les pages de ce récit, donnant furieusement envie de courir pieds nus à la suite d’Ivy. Ce lien à la nature prend une tournure intime, tout en ayant fait écho à ma propre sensibilité.

J’ai adoré découvrir la Forêt de Savernake, qui m’a fait penser à mon Bois Écarlate, cette véritable entité mystérieuse dont les secrets semblent être gardés par une coven… !

Nous régnons sur les arbres comme nous l'avons toujours fait, et ne l'avions plus osé depuis des siècles : en maîtres absolus, et tout autant dévoués serviteurs. Associés dans une œuvre de mémoire et de sauvegarde millénaire, qui nous exalte, élève, et définit tout entiers.
Je n'ai jamais su décider si la magie de ces lieux est réelle, et si elle a même jamais existé. Si ces visions, rites, et bénéfices ne sont pas, uniquement, des chimères symboliques, que nous aurions jadis conçues comme de vaillants tuteurs, pour appuyer et guider la foi dont nous avons besoin, nous, pour accomplir des prodiges.

Sous le Lierre, Léa Silhol, Nitchevo Factory Ed.

En bref : Léa Silhol a bâti un texte foisonnant comme une forêt, la narratrice étant tel l’arbre qui ouvre sur la forêt. Dans cet univers empreint de folklore, la Forêt prend vie, palpite, fascine. Ici, le réalisme magique apparaît comme une prolongation de croyances autour de la nature. La nature doit être comprise, protégée, quitte à ce que ses secrets ne soient pas révélés, peut-être juste effleurés par certain.e.s. Un coup de cœur pour ce roman, qui donne furieusement envie de courir pieds nus à la suite d’Ivy !

lierre, fougère et branche d'églantier

lierre, fougère et branche d'églantier

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Léa Silhol, Sous le Lierre, Nitchevo Factory Ed., 31 mai 2016

Publié dans chronique personnelle

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