Gauthier Guillemin, Rivages, Éditions Albin Michel Imaginaire, 30 octobre 2019
4ème de couverture
On l’appelle le Voyageur. Il a quitté une cité de canalisations et de barbelés, un cauchemar de bruit permanent et de pollution qui n’a de cesse de dévorer la forêt. Sous la canopée, il s’est découvert un pouvoir, celui de se téléporter d’arbre en arbre.
Épuisé, il finit par atteindre un village peuplé par les descendants de la déesse Dana, une communauté menacée par les Fomoires, anciennement appelés “géants de la mer”. Là, il rencontre Sylve, une étrange jeune femme au regard masqué par d’impénétrables lunettes de glacier. Pour rester avec elle, dans ce village interdit aux Humains, le Voyageur devra mériter sa place.
Le seigneur des anneaux est assurément le livre préféré des Ents, mais Rivages pourrait sans doute les séduire.
Gauthier Guillemin est, en apparence, un homme sérieux avec un job sérieux (directeur adjoint de collège) qui aime lire pour s’évader, réfléchir, s’amuser. Voyageur au long cours, il a travaillé dans un lycée nigérien, avant d’habiter dix ans en Guyane, qu’il a parcourue en long et en large, avec sa femme et leurs trois enfants, en canoë, en moto, en avion, en pirogue.
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Rivages - Albin Michel Imaginaire
On l'appelle le Voyageur. Il a quitté une cité de canalisations et de barbelés, un cauchemar de bruit permanent et de pollution qui n'a de cesse de dévorer la forêt. Sous la canopée, il s'est...
Avant-propos
En premier lieu, je remercie Gilles Dumay des Éditions Albin Michel Imaginaire pour l’envoi de ce service presse ! Il est vrai que j’avais envie depuis longtemps de lire ce roman, mais comme beaucoup, je suis submergée par ma wishlist ^^
D’abord pensé comme un one-shot, Rivages s’avère être le premier tome de la duologie de Gauthier Guillemin. À l’heure où je rédige cette chronique, je n’ai pas encore commencé à lire le suivant, La fin des étiages, pourtant, je suis bien contente que ce second opus existe car, pour moi, il demeure des éléments dans Rivages qui n’ont pas été développés.
Attention, cette chronique va vous donner envie de voyager !
Mots clefs
Fantasy – dystopie – writing nature – fantasy post-apocalyptique – mythes – civilisations – voyages – forêt – magie – artefacts – légendes – racines – ancêtres – paysages – impermanence – évolution – cycles de la nature – botanique – herboriste – plantes – savoirs – philosophie – poésie – ondins – fomoires – méduses – communauté – exil – passé – quête – correspondances – symboles
Mon retour
Inclassable
Dans un premier temps, Rivages, premier roman de Gauthier Guillemin, intrigue : à quel genre littéraire appartient-t-il ? Il présente des éléments de dystopie, de fantasy, peut-être de fantasy post-apocalyptique, une touche de writing nature, de réalisme magique, avec des aspects philosophiques et poétique. Le début nous plonge dans une scène qui introduit à l’idée de ce que sera le point central du récit, le voyage. Pourtant le premier chapitre contrebalance en nous plongeant non plus dans la Forêt et les questionnements, mais dans la ville humaine, véritable enfer d’acier grignotant lentement la sylve.
Nous ne savons pas à quelle époque se situe le texte, aussi songeons-nous tantôt à une dystopie ou à une fantasy post-apocalyptique, bien que l’important ne soit pas à chercher une case. En effet, j’ai trouvé que cette incertitude participait aux réflexions qui vont nous traverser au fur et à mesure du récit. Alors, au final, que Rivages se passe dans un futur proche où lointain, les questionnements sont les mêmes. D’autant plus que le roman invite au voyage, physique comme intérieur. En ce sens, et compte tenu de l’ambiance, de la narration, de l’intrigue, cet ouvrage s’apparente pour moi à un conte, un conte sur la nature, l’impermanence et les correspondances.
Il avait toujours eu conscience que, quelques centaines d’années plut tôt, l’homme avait tranché par la force brutale ses liens d’avec le cosmos : les correspondances oubliées se réfugièrent dans des livres ou des poètes couchaient sur le papier des vérités qu’ils ne comprenaient pas eux-mêmes, chemins vers une réalité plus vaste, antérieure, où chaque être, homoncule ou brindille, possédait une égale importance pour l’équilibre de tous.
Point de départ
Ainsi donc le récit démarre réellement, car chronologiquement, dans la Cité, la ville humaine grise, polluée, qui a vampirisé ses habitants. Ces derniers n’ont plus de lien avec la Nature, des ouvriers/esclaves ont le plus dur du labeur, à savoir agrandir la Cité surpeuplée. Pour cela, ils doivent grignoter la Sylve, celle-ci a repris ses droits : elle est devenue hargneuse et mangeuse d’hommes. C’est dans ce décor que nous rencontrons le personnage principal du récit, qui se fera appeler le Voyageur. Poussé par une force intérieure, quasi mystique, il décide de quitter la Cité et de gagner la Forêt, territoire nommé le Domaîne.
Entre le prologue et le premier chapitre, l’auteur établit d’emblée un jeu de miroir, plus qu’une dualité. La nature, le détachement envers elle en est un premier exemple.
Ainsi, le point de départ est un départ, celui du Voyageur qui quitte la Cité pour gagner le Domaîne, voir le monde hors des remparts de l’enfer. Comme un ultime élan, une ultime liberté. Alors que son identité a été diluée, mâchée par la Cité, lui veut s’extraire de ce carcan néfaste, comme pour respirer pour la première fois. Les quelques pas que lui laissera faire le Domaîne avant de lui envoyer ses prédateurs (animaux ou végétaux), lui seront suffisants. Retour à la Nature/au berceau ou suicide ? Il n’y a pas de pensée macabre, juste cet élan pour respirer, pour voir le monde au moins une fois.
— Nous avons la chance de pouvoir voyager en étant sûrs de toujours trouver du nouveau, de l’inattendu (…). Nous ne serons jamais d’éternels voyageurs toujours en quête d’ailleurs. Ailleurs est à notre porte, partout autour de nous. Nous remplirons rapidement nos mémoires de moments fabuleux et nous reviendrons vers nous-mêmes parce que le légendaire, le mythologique, est au sein même de notre peuple.
Au cœur de la Forêt
Le Voyageur avance donc dans le Domaîne, cette immense forêt dite prédatrice. Il avance, contemplatif de cette végétation inconnue. Il avance et les heures passent, puis les jours, jusqu’à ce qu’il en perde le compte. Où sont les dangers de la Sylve ? Les animaux prédateurs ? J’ai pensé aux mensonges des hommes à propos du Domaîne ; en le diabolisant, ils en restent coupés, comme si l’ère de l’harmonie avec la Nature était révolue, tabou même. Pourtant, le Voyageur ressent autre chose : pour lui, la Forêt l’accueille, comme si de là venait l’élan qu’il a eu de quitter la Cité.
Il avance et il tâtonne, s’attachant en hauteur, sur une branche d’arbre, pour dormir, commençant à s’alimenter avec des racines et autres végétaux qu’il trouve. C’est une transition qui s’avère douloureuse, une adaptation qui occupe les pensées du Voyageur. En même temps, la magie commence à opérer : le protagoniste se découvre une capacité, un don, et il va commencer à croiser des êtres quasiment humains, mais différents, certains ayant par exemple des branchies dans le cou, parlent d’autres langues. Il va être considéré avec indifférence, parfois il paraît même invisible, mais d’autres fois, il parvient à échanger sommairement, interrogeant alors ses interlocuteurs sur la Forêt, les autres peuples qui la peuplent, la magie.
Un jour, le Voyageur arrive aux abords d’une ville et y reste, chez la belle Sylve qui l’a choisi pour compagnon.
— Je veux revenir aux rivages qui ont vu naître mes ancêtres.
Réalisme magique : entre Nature et mythologies
Le Voyageur se retrouve ainsi dans la ville des Ondins, qui se réclament descendants de la déesse Dana. Enthousiasmé par l’imprégnation magique du quotidien et des mythes de ce peuple, il questionne sans cesse Sylve. Comme lui, nous apprenons des bribes de mythes plutôt que de l’Histoire. Car les Ondins sont en exil depuis très longtemps, chassés par les hommes, alors qu’ils avaient précédemment battus les Fomoires. Dans les grandes lignes, nous découvrons la succession de plusieurs peuples, civilisations. D’autres êtres, humanoïdes, sont évoqués ou entraperçus dans le récit.
Alors que le Voyageur émerveillé comme un enfant, toute cette magie et ces mythologies demeurent toutefois au stade du réalisme magique. Nous voyons surtout que les Ondins et autres habitants de la ville possèdent des connaissances en botanique et en alchimie, des savoirs ancestraux qu’ils ont enseignés aux hommes. Sylve est d’ailleurs reconnue pour ses préparations de plantes etc, et le don de son compagnon va se révéler utile pour la cueillette mais aussi pour la ville. En fait, la magie du récit ne fait qu’un avec la Nature, ses symboles et ses correspondances. Les runes ou encore les glyphes sont utilisés, l’on parle des arbres et de certains végétaux comme d'êtres sentients, les années sont comptées en fonction du cycle lunaire. Et bien sûr, le fait de se rattacher généalogiquement à une déesse appartient au registre mythologique.
Mais alors, que signifie appartenir à une lignée divine pour un peuple ? Les Ondins évoquent régulièrement la mer et les rivages. La mer car leurs ancêtres sont nés là ; rivages pour le berceau de leurs origines. Or, ils ont oublié où se trouvait la mer, d’ailleurs, ils ne savent même pas si elle existe toujours. Alors leurs origines, les bases de leur identité culturelle est réduite à peau de chagrin, de mythologique, elle passe aisément à chimérique. Est-ce donc plus une croyance qu’une réalité ?
— Un poète a dit que l’homme en voyageant mesurait son infini sur le fini des mers. Au temps où les terres étaient toutes recensées, seuls les désirs de l’homme restaient sans limites. Je me demande si cela a changé.
La quête en jeux de miroir
Dans Rivages, les voyages riment avec respiration, fantasmes, rêves éveillés, odyssées rêvées, cartes imaginaires, contemplation. Le tout ne se montre pas moins généreusement saupoudré de réflexions, comme les étoiles parsèment les ciels nocturnes. Le voyage est physique comme intérieur, il nous change, affûte notre observation, élargit nos limites comme les frontières. Voyager pour quel but ? se fixer et faire ses racines ? Rien ne sera sûr dans ce récit. Car si la quête solidifie l’identité, celle du Voyageur comme des Ondins est délétère. Le Voyageur n’a pas de nom, d’ailleurs, à part la couleur de ses yeux, nous ne savons rien de son apparence. Quant aux Ondins : quelle est la place de l’identité culturelle alors que l’on a perdu le rivage de ses origines, les traces de son passé, et que l’on vit en exil ?
En parallèle, les fables des peuples s’étant succédé sur le territoire évoqué montre l’impermanence, cette impermanence marque l’évolution, tels les cycles de la Nature, encore une fois. Dans ce conte onirique, ce sont toutes ces correspondances et jeux de miroir qui s’opèrent à différentes échelles. Et ces jeux de miroir, le Voyageur les utilise grâce à son don, au point que ses pérégrinations semblent le mener depuis le départ à voir la mer, métaphoriquement par la Forêt de symboles, mais peut-être davantage.
En bref : pour son premier roman, Gauthier Guillemin nous propose une œuvre inclassable, un conte onirique, une respiration sur le voyage teinté de réalisme magique et de mythologies. Nous suivons le Voyageur, qui quitte la Cité, ville-vampire et polluée, pour le Domaîne, ce territoire-prédateur pour les êtres humains, la Nature ayant repris ses droits. Mais plutôt que se faire dévorer, le protagoniste va se découvrir un don et poser bagages dans la ville des Ondins. Ce peuple se prétend descendant de la déesse Dana. Mythologies et nature tissent un réalisme magique enveloppant, mais attisent sans cesse la curiosité du Voyageur qui s’intéresse particulièrement à la mer, berceau des origines des Ondins. Existe-t-elle toujours ?
Je suis contente que Rivages soit le premier opus d’une duologie : La fin des étiages m’attend !
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