Éloïse Berrodier, Que chantent les pins, Éditions l'Alsacienne Indépendante, collection Odeline, 15 juillet 2024
4ème de couverture
Extrêmement solitaire et peu encline à accepter le rôle que la société veut lui assigner, Aubépine a sacrifié la possibilité d’une vie stable pour se donner corps et âme à sa passion : la photographie. La nature qu’elle se plaît à arpenter lui offre la liberté dont elle a besoin. Ainsi que bon nombre de mystères…
Un crâne de cervidé dans les ruines d’un château habité par l’ombre d’un intrigant vampire va peut-être changer sa perception du réel.
Dans les villages alentour, les disparitions régulières inquiètent les habitants. Deux ans après celles de son petit frère et de sa sœur aînée, Éléonore refuse d’imaginer le pire. Alors que tout le monde semble avoir abandonné, la jeune femme continue d’espérer. Elle trouve en Sylvain, son compagnon, le soutien nécessaire pour lui permettre d’avancer.
Où les énigmes s’installent et la forêt se dévoile, quel chant sylvestre pourrait bien lier ces trois personnalités ?
Éloïse Berrodier signe avec « Que chantent les pins » un roman sur fond d’écologie, qui aborde également des questions identitaires fondamentales sur la place de chacun dans la société et les orientations invisibilisées que sont l’aromantisme et l’asexualité.
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Que chantent les pins - Eloïse Berrodier
Que chantent les pins d'Eloïse Berrodier.Résumé : Extrêmement solitaire et peu encline à accepter le rôle que la société veut lui assigner, Aubépine a sacrifié la possibilité d'une vie s...
Avant-propos
J'ai le plaisir de partager avec vous mon retour à propos du nouveau roman de mon amie Éloïse Berrodier (découvrez son univers ici) dont je vous avais déjà parlé via sa nouvelle L'Enchante Thé ! Autrice autoéditée, Éloïse signe avec Que chantent les pins une publication en maison d'édition. J'avais eu le privilège de bêta-lire son texte, alors j'étais très heureuse et impatiente de le redécouvrir sans sa version définitive !
Écrivant essentiellement des nouvelles et novellas, Éloïse propose ici un roman, un roman qui lui ressemble, entre le contemporain et le fantastique, qui questionne la société tout en mettant en lumière l'identité de genre, l'art comme l'écologie.
Mots clefs
Fantastique – contemporain – ownvoice – écologie – nature – forêt – solitude – résilience – aromantisme – asexualité – art – imaginaire – bestiaire fantastique – mystère – disparitions – Jura – deuil – obsession – quête identitaire – acceptation et affirmation de soi
Représentation
personnage principal asexuel et aromantique, personnage principal noir
Mon retour
« Elle n’avait sa place nulle part, voulait être normale tout en estimant la normalité si triste et ennuyeuse. Et puis, être normale, ça voulait dire quoi ? »
Avec Que chantent les pins, Éloïse nous convie en territoire jurassien, là où la forêt et les rivières conservent coûte que coûte leur pureté, leur nature antédiluvienne entre magie et mystère. Dans un premier temps, nous suivons Aubépine, une jeune femme solitaire qui oscille entre désillusion et son rêve/son besoin de vivre de la photographie. Elle vit de petits jobs, peu reluisants, qu’elle enchaîne pour payer son loyer et se nourrir. En parallèle, elle s’acharne à poursuivre dans l’art, dans la photographie, et tant pis si pour le moment on l’embauche davantage pour couvrir des mariages que pour ses clichés de la nature.
Elle repensa au crâne qu’elle avait découvert dans les ruines du château, imagina un vieux chevreuil venu trouver un abri dans les ombres et céder sa vie aux bras des ténèbres. La silhouette qu’elle avait rencontrée lui apparut, berçant le cadavre à peine éteint du cervidé. Et elle s’endormit, perdant conscience au cœur de la forêt.
En plus d’avoir choisi le chemin professionnel difficile, Aube porte également un mal être intérieur, son malaise quant à la société. En effet, cela ne l’intéresse pas d’être en couple ; quand son entourage évoque relation amoureuse, mariage, enfants…, elle préfèrerait disparaître. Elle ne rentre dans aucun moule, et au lieu que cela soit sa force, elle l’endure comme un fardeau, elle reste en retrait, éminemment solitaire. Heureusement qu’une discussion à cœur ouvert lui fera entrevoir que, non, elle n’est pas anormale, et que d’autres personnes lui sont semblables. Sans mettre les mots, Éloïse aborde avec le personnage d’Aube l’aromantisme et l’asexualité, sujets sur lesquels elle revient en annexe en plus d’une bibliographie et de liens.
Le personnage d’Aubépine est également marqué par un puissant imaginaire : elle voit, ou elle créé, des créatures, telles des naïades. Et puis, il y a à ses côtés la présence de Calhoun, plein de surprises entre ses taquineries, ses discours sérieux, son amitié réconfortante. Un jour où elle se promène dans la forêt, armée de son appareil photo pour faire de nouveaux clichés, Aube arrive pour la première fois sur les ruines d’un château ; entre l’apparition d’un vampire puis, plus tard, de feux follets et d’une femme tenant un discours écologique un peu perché, le quotidien de la photographe va se retrouver ballotter plus que jamais entre réalité et imaginaire. Et si la réalité devenait fantaisie ?
Si la réalité se transformait en rêve, comment pouvait-elle se repérer entre sa propre imagination et la fantaisie du monde ?
Dans un second temps, nous faisons la connaissance de Sylvain et Éléonore, qui font face depuis deux ans à la disparition du petit frère et de la sœur aînée d’Éléonore. Si cette dernière fait preuve d’une résilience à toute épreuve, à l’intérieur, elle est rongée par ces absences, par les enquêtes ayant tourné court avec une explication sordide et révoltante. Tout cela la travaille, jusqu’à déborder dans ses songes, provocant des rêves teintés de cauchemars dérangeants, tous liés à la nature, avec l’émergence de certains animaux. Sylvain s’inquiète pour sa jeune compagne, qui ne s’ouvre pas sur le sujet. Elle est indépendante, active, enflammée, tandis que lui est plutôt introverti, mélancolique en plus d’être plus âgé. Ils forment un couple magnétique, démontrant une relation saine.
Pourtant, les cauchemars d’Éléonore, son acharnement à savoir vivants sa sœur et son frère commencent à créer un fossé entre elle et Sylvain. Lorsque d’un songe se révèle un lien improbable avec Aubépine, ancienne étudiante de Sylvain, l’univers de la sylve entre de plein fouet avec la réalité. Car la compagne du « vampire » qu’Aube a vue aux ruines du château ressemble à la photo d’Ivana, la sœur disparue d’Éléonore. Commencent alors des incursions en forêt, pour démêler la vérité. En parallèle, un journal local recense plusieurs disparitions d’enfants, mais nos personnages sont loin de se douter des lieux avec leur propre investigation…
Les arbres étaient arrangés dans un grand cercle, avec des buissons qui dessinaient un terrain au sol, où l’herbe, les ronces et le lierre prospéraient sans aucune contrainte. Les branchages semblaient valser librement, s’élevaient comme les bras d’une pieuvre en train de jouer avec le vent. Plusieurs statues étaient là, comme vivantes l’instant précédent et s’étant immobilisées sous leur regard, embourbées de végétations, prises dans de longues discussions avec les feuilles et la mousse qui les enlaçaient. Au pied de certaines, de arbres commençaient à grandir, comme s’ils s’étaient échappés du cercle ordonné par leurs parents bien plus âgés.
Si le thème de l’écologie est au départ abordé par le personnage d’Aube, notamment par le biais de son regard atypique sur la nature, Éloïse lui prodigue une empreinte bien particulière à travers la sylve elle-même. Car la sylve lutte, déployant merveille comme cruauté propre à ses règnes. Cette dimension rejoint l’entremêlement de la réalité et de la fantaisie qui amènent les personnages à faire un choix. Ce qui nous interroge à comment œuvrer pour la nature. Celle-ci est notre berceau, notre espèce est née en son sein avant d’en sortir, de s’en éloigner. Que reste-t-il de notre lien originel avec elle ? Qu’en est-il de ce que nous lui faisons subir, la détruisant petit à petit, devenant aveugles à sa splendeur, à son rôle inhérent à notre vie, à notre survie ?
Le choix proposé par la sylve arbore également un aspect plus subtil, voire dérangeant : il revête aussi une forme de suicide sociétal, d’autant plus incarné par Aube, séduite depuis toujours par la sylve et ses créatures.
À cet instant, la solitude lui semblait chimérique. Des milliers d’êtres vivants existaient autour d’elle, et même l’immatérialité des éléments devenait le plus confortable des compagnies.
Je vous laisse le soin de vous procurer Que chantent les pins pour découvrir par vous-mêmes les mystères de la sylve jurassienne proposée par Éloïse. Cette lecture sera parfaite, vous l’aurez compris, pour les amoureux de lectures contemporaines empreintes de fantastique. Si la couverture a été réalisée par Célia Bourdet (alias Celiarts), l’intérieur est quant à lui ponctué de photographies pleine page en noir et blanc d’Éloïse et de Nina Puslecki, qui prolongent l’immersion dans les décors jurassiens.
— (…) tu es ce que tu es, tu penses comme tu penses, et ça se fait dans une dynamique qui ne colle pas avec celle du plus grand nombre, mais ce n’est pas un drame.
En bref
Éloïse Berrodier nous propose un univers bien à elle, infusé par la nature jurassienne qu’elle connaît si bien et qui transparaît d’elle à travers Aubépine. Que chantent les pins se révèle un récit doux qui en même temps résonne de véritables cris viscéraux en ce qui concerne l’écologie, l’acceptation et l’affirmation de soi (asexualité, aromantisme…), le féminisme.
Il incarne aussi un cri d’amour à l’imaginaire : de l’imagination réconfortante à notre force et notre résilience.
Et en filigrane, il nous délivre ce message : cultive ta différence.
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