Le Changelin, Victor LaValle, Éditions ActuSF, collection les 3 Souhaits, 5 novembre 2024

Publié le par Maude Elyther

Illustration de couverture : Evangeline Gallagher

Illustration de couverture : Evangeline Gallagher

4ème de couverture

« La vérité, pensa-t-elle. Aussi terrible que la mort. Mais plus difficile à trouver. » (Philip K. Dick) 

Apollo Kagwa est heureux. Malgré une enfance marquée par le départ de son père, il est désormais amoureux, jeune papa et avec un métier qu’il aime : chasseur de livre ancien à New York. Ce bonheur se fissure lorsque sa femme commence à se comporter bizarrement avec leur bébé… jusqu’à ce qu’elle commette le pire et disparaisse.

C’est le début d’une quête pour Apollo, une quête pour comprendre et résoudre les mystères qui désormais le hantent… Que découvrira-t-il ?

« Un roman étrange et merveilleux » The New York Times

Depuis quelques années, Victor LaValle et sen train de s’imposer comme un auteur majeur de l’imaginaire, avec des histoires où l’horreur et le fantastique se mêlent à la féerie et à un portrait au vitriol des États-Unis. Adapté en série sur AppleTV, Le Changelin a obtenu les prix Locus, World Fantasy Award et British Fantasy du meilleur roman.

Traduction : Claire Chevalier

Avant-propos

En premier lieu, je suis ravie de poursuivre mon partenariat avec les nouvelles Éditions ActuSF qui ont renaît de leurs cendres ! Présenté comme un conte de fée moderne et horrifique, avec la figure d'un changeling, Le Changelin m'avait de suite interpellée, de même que sa couverture qui pousse à plusieurs interprétations.

Il n'a pas été le roman auquel je m'attendais, le fantastique et l'horreur n'arrivant que tardivement dans le récit jusque là d'un réalisme saisissant. Toutefois, comme pour d'autres retours que j'ai pu lire, la lecture a été très entraînante et prenante. Je vous en parle plus longuement ci-dessous ;)

Mots clefs

Roman contemporain fantastique – conte de fées moderne – conte moderne – horreur – critique sociétale – sorcières modernes – littérature américaine – paternité – famille – secrets de famille – légendes

Représentation

Personnage principal métis

Le Changelin, Victor LaValle, Éditions ActuSF, collection les 3 Souhaits, 5 novembre 2024

Mon retour

Ce roman commence comme un conte de fée moderne : les États-Unis, l'histoire d'amour d'un américain blanc et d'une femme nigérienne, qui donnera naissance à un garçon, Apollo. Mais voilà, le père va disparaître, et l'enfant grandir sans figure paternelle. Adulte, sa rencontre avec Emma l'aidera à surmonter cette absence qui a laissé des séquelles et des questionnements. Car peu a peu, leur couple se forme, jusqu'à la grossesse, et la naissance de Brian. Et ce n'est que le début du roman. L'auteur installe un réalisme saisissant en prenant le temps d'introduire ses personnages, leur environnement. Il faut plus de la moitié de l'ouvrage pour que surgisse l'événement perturbateur.

Celui-ci s'abat violemment dans le quotidien que nous suivions depuis le commencement. Une vie de tous les jours dans laquelle surgit sans prévenir la dépression, la folie. Emma, en plein stress post-partum commet l'irréparable et disparaît. Quant à Apollo, sous le choc de l'incompréhension, il va se lancer à la recherche de son épouse car le cas d'Emma n'est pas isolé. Emma est en vie, il veut la retrouver. Pour quoi ? se venger ? réclamer des réponses ? découvrir la vérité ?

S'enchaînant au réalisme immersif, le basculement dans l'horreur domestique est d'autant plus saisissant et nous interroge à l'instar d'Apollo. Marqué par l'absence paternelle, il veut être un bon père (un nouveau père) : il emmène Brian au travail, se lève la nuit, l'emmène au parc... Lui qui n'y croyait pas, le voilà gaga de son enfant, prenant des dizaines de photos qu'il poste sur sa page Facebook. Mais voilà, après son père, c'est son enfant et son épouse qui ont disparu.

Au groupe de paroles auquel il se rend, des pistes le lancent sur la voie d'Emma, entre réalisme magique, fantastique, sorcellerie et horreur. Jusqu'alors récit contemporain intimiste et réaliste, le décor se fissure et une autre dimension émerge. Bien sûr, le ton était d'emblée donné par le titre hautement évocateur. Pour autant, Victor LaValle nous entraîne par des chemins de traverse : l'horreur, la monstruosité sont déclinées et offrent des réflexions pertinentes quant aux technologies, aux réseaux sociaux, aux normes sociétales, au racisme... À elle seule, la société est un ogre qui nous digère lentement, nous effaçant.

Au cours de la lecture, je me suis longuement demandée si j'avais à faire à du fantastique ou à la folie. Le quotidien d'Apollo étant devenu un véritable cauchemar, avec paranoïa et surnaturel, n'était-il pas en train de décompenser pour faire face, l'horreur s'imbriquant si bien à la réalité ?

À travers Le Changelin, l'auteur se réapproprie le conte de fées, en l'enracinant dans notre époque (2004 pour la quête d'Apollo), il donne vie à la société américaine, mettant en exergue le racisme et les préjugés. À cela, il ajoute l'horreur, le point de bascule, le point de non retour en arrière, incluant légendes nordiques émigrées et légende urbaine. Il délivre un point de vue féministe, avec ces femmes fortes qui travaillent dur et luttent (critiquées parce qu'elles travaillent en plus d'élever leur enfant ; la mère d'Apollo l'ayant par ailleurs élevé seule).

Si de prime abord l'illustration de couverture m'avait fait penser à un métissage (les immeubles représentant la ville et les arbres des baobabs), il s'avère que les racines du récit puissent également plus loin et de façon plus universelles. Aussi, ce sont plusieurs légendes et mythes que distille l'auteur, à nous lecteurices de les reconnaître / de les interpréter. Sans artifices, Victor LaValle propose son propre conte, conte qui reprend la noirceur des contes de fées premiers ; la noirceur humaine, sous fond de sacrifice et de prédation.

Malheureusement, je ne me peux en dire davantage, car ce serait là spoiler la seconde part de l'histoire. Roman estampillé horreur féerique, j'avoue m'être attendue à autre chose, toutefois la lecture était entraînante, d'autant plus après l'élément déclencheur qui bascule la dimension. Légendes, monstres, dérives des nouvelles technologies/réseaux sociaux, ce sont aussi des portraits d'émigrants, de pères et de mères qui sont dressés. Et si l'intrigue suit plus particulièrement Apollo en tant que père, la figure de mère (notamment via Emma) demeure et irradie tout au long du récit.

Le Changelin, Victor LaValle, Éditions ActuSF, collection les 3 Souhaits, 5 novembre 2024

En bref

Le Changelin est une lecture que je vous recommande, que vous soyez amateurices de romans contemporains légèrement fantastiques, de contes de fées modernes, et qu'une touche d'horreur ne vous effraie pas.

Se réappropriant le conte de fées, Victor LaValle introduit longuement son récit, récit qui se démarque alors d'un réalisme saisissant duquel surgit l'événement perturbateur qui nous entraîne dans le cauchemar vivant d'Apollo. En quête de vérité, il se lance sur la piste de sa femme disparue. De rencontres en péripéties, l'auteur dresse un regard caustique sur la société, faisant surgir les monstres là où nous ne les attentions pas.

Le Changelin s'impose donc comme un conte de fées moderne, où la parentalité est mise en avant ; poussant dans les retranchements les plus extrêmes, elle transforme, pour le meilleur comme pour le pire.

Le Changelin, Victor LaValle, Éditions ActuSF, collection les 3 Souhaits, 5 novembre 2024

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C
Bonjour et merci pour cette belle critique ! Votre analyse est fine et pertinente. C'est un roman multi-facettes qui donne à réfléchir !<br /> Je me permets juste de vous contredire sur un détail : les parents d'Apollo ne sont pas afro-américains. Son père Brian West est blanc et sa mère, Lillian Kagwa, est Nigérienne. Apollo est donc un enfant métis et fils d'immigrée. Je pense que c'est important pour poser son contexte familial un peu bancal.
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M
Merci pour votre retour, je vais corriger ce point !