Marlon James, La Sorcière de Lune, Éditions Albin Michel, collection Terres d'Amériques, 02 janvier 2025
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4ème de couverture
À propos de Léopard noir, loup rouge
« Si la critique a pu comparer l’inventivité de Marlon James à celle de Tolkien ou de George R.R. Martin, son univers peuplé de références à des séries récentes autant qu’à des mythes anciens en fait un objet unique, spectaculaire. » Livres Hebdo
À propos de La Sorcière de Lune
« Là où Léopard noir, loup rouge, une quête épique, affrontait d’un pas inexorable d’interminables péripéties, La Sorcière de Lune est une confession dévorée par la rage et le deuil. Sogolon est une protagoniste palpitante et obsédante. » The Washington Post
Unanimement salué par la critique, Léopard noir, loup rouge initiait une trilogie fantastique imprégnée de mythologie et de folklore africains. Avec La Sorcière de Lune, Marlon James poursuit son épopée en se concentrant sur une héroïne hors-norme.
Élevée dans la misère, maltraitée par ses frères qui l’accusent d’avoir tué leur mère, Sogolon parvient à se libérer. Bientôt, elle bravera une à une les épreuves qui se dressent devant elle, vivra une dizaine de vies, et deviendra la Sorcière de Lune : une femme puissante et redoutée de tous, enfin maîtresse de sa propre destinée.
À mi-chemin entre la fantasy et le roman d’apprentissage, le récit fabuleux d’un empowerment.
Né en 1970 à Kingstone, en Jamaïque, Marlon James est l’auteur de cinq romans, dont Brève histoire de sept meurtres (Albin Michel, 2016), couronné par le très prestigieux Booker Prize et Léopard noir, loup rouge (Albin Michel, 2022), récompensé par le prix Ray Bradbury et finaliste du National Book Award.
Traduit de l’anglais (Jamaïque) par Héloïse Esquié
Avant-propos
Après Léopard noir, loup rouge, voilà enfin le second tome de la trilogie Dark Star de Marlon James ! Je remercie chaleureusement Sandrine Perrier-Replein aux Éditions Albin Michel de m'avoir fait parvenir cet ouvrage en service de presse. Je l'attendais avec une furieuse impatience, tant j'avais été marquée par son prédécesseur (sorti en octobre 2022), dont voici un extrait de ma chronique :
Mêlant mythologies africaines à son imaginaire, Marlon James signe [avec Léopard noir, loup rouge] un récit coup(s) de poing et flamboyant. Dark fantasy, magie, monstres, queer : voilà les ensorcelants ingrédients de l’auteur !
La narration orale protéiforme donne vie à un enchevêtrement de récits, de monstres et de lieux spectaculaires, horribles, vertigineux, oniriques ; de palais et de champs de bataille/de lieux de carnages, à la jungle des rêves, à un royaume dans les arbres, des terres dans les souterrains. Plusieurs histoires, plusieurs voix, une galerie de monstres (souvent humains), de nombreux lieux, tout cela pour retrouver un garçon, cette énigme vivante.
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Marlon James, Léopard Noir, Loup Rouge, Éditions Albin Michel, 3 octobre 2022 - Maude Elyther
Illustration de Pablo Gerardo Camacho / Design de Helen Yentus 4ème de couverture " Une Afrique antique, dangereuse, hallucinatoire, qui devient un monde fantastique aussi réaliste que tout ce qu...
Mots clefs
Fantasy africaine – Afrique antique – dark fantasy – empowerment – female rage – roman d'apprentissage – mythologies vivantes – horreur – sorcières – métamorphes – métamorphose – lgbt+ – sorcellerie – magie – monstres – bestiaire fantastique – violent – rage – deuil – résilience – impermanence – destinée hors norme
Mon retour
Imaginez un monde ancien, une terre féroce maudite par la loi du plus fort. Une Afrique antique, sauvage et hallucinatoire, que les dieux semblent avoir abandonnée, laissant moultes créatures monstrueuses y faire leur nid. C’est un univers de dark fantasy qui se dessine, violent, riche et complexe, mais tout autant flamboyant.
Aux lecteurices de l’Occident assoiffé.e.s de lectures radicalement différentes, engagées, protéiformes, proposant personnages, décors et bestiaires d’autres cultures, arrêtez-vous sur ce roman. Si vous avez le cœur bien accroché, venez vous plonger dans le récit de Sogolon, alias la Sorcière de lune, à la destinée extraordinaire.
Marlon James nous revient pour le second opus de sa trilogie Dark Star ! Après Pisteur dans Léopard Noir, Loup Rouge, c'est au tour de Sogolon de nous raconter son histoire. Avec ce nouveau tome, l'énigmatique Sorcière de lune, qui avait croisé la route de Pisteur, prend place, déployant sa longue vie ponctuée de violence, de rage, de deuil et de résilience. Effectivement, ce récit n'instaure pas une continuité, mais bien une seconde lecture à celui de Pisteur.
À noter que vous pouvez lire ces tomes de façon indépendante car les deux récits se rejoignent, se complètent, à nous, lecteurices, de nous faire notre point de vue à partir des versions différentes qui nous sont contées. Avec sa forme orale, ce tome interroge davantage sur la fiabilité de la mémoire, la vérité des histoires qui change selon le point de vue de chaque personnage.
Si j'avais beaucoup apprécié l'enchevêtrement narratif de Léopard noir, loup rouge, la narration change encore ici : elle se révèle linéaire, même si Marlon James prend soin de la métamorphoser à chaque partie. Aussi Sogolon se raconte tour à tour d'un point de vue extérieur, à la première personne du singulier, à travers ses mémoires écrites, à travers sa mémoire qui a oublié, comme avec ses ellipses ; car elle vit plusieurs vies.
D'enfant méprisée et violentée par ses frères, car elle a tué sa mère en venant en monde, elle est la fille sans nom, puis elle atterrie dans une maison close, se retrouve ensuite potiche dans une famille où sa maîtresse tente de lui apprendre à se tenir comme une femme, puis la voilà à la cour, offerte au Roi mais c'est auprès de la princesse qu'elle va demeurer. À la cour, elle rencontrera l'Aesi, le chancelier royal – son ombre même car ensemble ils forment le roi araignée –, cette figure démoniaque et charismatique qui hantait déjà le récit de Pisteur.
L'Aesi va avoir à plusieurs reprises un impact dans la vie de Sogolon qui l'intrigue par son destin hors du commun, elle qui a autrefois vécu dans une termitière et qui est hermétique à son emprise sur la psyché. Sogolon a toujours été maltraitée et pourtant, elle se tient debout, n'a pas sa langue dans sa poche, se débrouille seule, cherche à apprendre, à comprendre. À travers sa longue destinée, l'impermanence imprègne les pages : les rois et les guerres se succèdent comme les saisons, des villes se construisent et s'effondrent, elle-même devient femme puis amante et mère, et en fin légende.
C'est la rage qui l'habite, qui la cheville au corps. Les combats clandestins auxquels elle se livre, son refus de soumission, tout ça ne suffit pas, la rage la ronge au point que même sa famille ne lui suffise pas. En quittant celle-ci pour une mission qu'on est venu lui confier, c'est tout un autre pan de vie qui va s'ouvrir car c'est suite à ce moment de rupture qu'elle deviendra la Sorcière de lune.
Si nous avons l'impression d'être dans les pas de Pisteur, il ne faut pas oublier que le récit de Sogolon se passe avant le sien, avant que les deux ne se rejoignent, mais cette partie n'occupe que la fin du présent roman. Sogolon était là avant Pisteur, et pourtant les décors (Fasisi, Dolingo, Kongor...), les rois, les créatures (les Omoluzu, Chipfalambula, l'Ipundulu ou encore l'Ishologu), l'Aesi, la mission de retrouver l'enfant disparu... tout se télescope. Et l'histoire de Sogolon retourne celle de Pisteur. Sogolon, qui apparaissait perfide et énigmatique dans Léopard noir, loup rouge se révèle tout autre ici ; quant à Pisteur, attachant et flamboyant précédemment, on lui voit une facette fourbe. Qui croire ?
Avec La Sorcière de lune, j'ai eu l'impression qu'il y avait moins de créatures, mais c'est sans doute parce que je les connaissais à présent et qu'elles apparaissent moins que dans Léopard noir, loup rouge. Nous côtoyons beaucoup les métamorphes, des lions même s'il est fait mention de hyènes. Avec ce tome, la métamorphose revêt sa grande importance dans l'univers et l'imaginaire de Marlon James. Il confie d'ailleurs dans une interview pour le Time Magazine que pour lui, noir jamaïcain et gay, la métamorphose incarne la non-binarité.
La métamorphose pour l'alternance de code. De même, pour Sogolon devenue Sorcière de lune, sorcière n'est qu'un pseudonyme, elle ne se voit pas comme une sorcière, et ce malgré son don, son vent (pas vent) qui l'aide tout en demeurant capricieux. Tout comme elle se prend tour à tour pour un homme ou une femme, un entre-deux souligné par la clitoridectomie rituelle qu'elle n'a jamais eue. En cela elle rejoint Pisteur, non circoncis, gay qui n'assume pas sa "part féminine".
C'est toute une épopée que nous suivons : celle de la destinée hors norme de Sogolon, de fille sans nom à Sorcière de lune. In fine, c'est la vérité qu'elle recherche. Que veut l'Aesi derrière ses manipulations qui font oublier ? Qui est-il ? Pourquoi est-il toujours là, dans l'ombre de chaque roi, sans vieillir, sans éveiller le moindre soupçon ? Lui et les Sangomin, ces enfants monstrueux, chasseurs de sorcières, instillent leur idéologie dans les esprits, ce qui donne lieu à des inquisitions, à de la violence et à la perpétration d'horreur (viols, femmes torturées car accusées de sorcellerie).
Dans le sillage du chancelier, les vrais rois n'existent plus. Car le roi doit être le premier fils de la princesse, or quand toutes les princesses sont envoyées au loin pour devenir nonnes, la lignée pourrie. C'est dans cette optique que nous avons, avec ce tome, une vision beaucoup plus large quant à la place de l'enfant que Pisteur avait été missionné de retrouver, l'enfant qui a fait plusieurs foyers et qui a été perdu.
Sogolon casse les codes : elle veut se battre avec un bâton comme les garçons et les hommes, elle ne se soumet pas face aux hommes, elle met au monde des enfants métamorphes, elle possède un don, le vent (pas vent), et l'Aesi ne peut courber son esprit. Elle défie la mort également, du haut de ses 177 ans. Elle arpente l'Histoire, comme un témoin, mais aussi davantage car elle agit, en défiant l'Aesi, en devenant la Sorcière de lune, une figure légendaire.
Quelle épopée !
En bref
Marlon James nous revient enfin avec le second tome de sa trilogie Dark Star, une fantasy éclatante, et je l'attendais avec une furieuse impatience ! Quelle épopée ! Après Pisteur, nous suivons Sogolon, la Sorcière de lune. À travers son regard et ses pas, l'histoire autour du garçon perdu prend une toute nouvelle dimension, l'Aesi se précise.
Sorcière de lune, c'est le récit d'apprentissage, d'empowerment et de female rage d'une fille sans nom à la destinée hors norme qui traverse les âges aux règnes se succédant, à l'Histoire qui se morcelle à cause de l'oubli, aux monstres dont les pires sont les humains, à la violence d'un monde livré aux hommes. Elle connaît pourtant l'amour, la maternité, mais la rage prédomine et l'emmène inexorablement ailleurs.
Le récit de Sogolon se superpose à celui de Pisteur et ils se télescopent, ce nouveau témoignage retournant le premier. Or Sogolon n'est pas qu'un simple témoin, non, elle casse les codes, bafoue le temps, défie les dieux. Bien sûr, après Léopard noir, loup rouge, je n'ai pu m'empêcher de faire des comparaisons, m'étonnant notamment que ce soit l'histoire de Pisteur la plus grouillante de monstres et de magie. Mais, après tout, Sorcière de lune n'est qu'un pseudonyme pour Sogolon, qui rejette toute idée d'être une sorcière.
L'univers initié avec Léopard noir, loup rouge prend une nouvelle dimension, alors que se précise le personnage de l'Aesi tout comme nous nous rapprochons de la signification du titre de la trilogie, Dark Star... Inutile de dire que le prochain et dernier tome, White Wing, Dark Star [Aile blanche, étoile noire] s'annonce hautement prometteur et que je l'attends déjà !
Note : mon grand regret, c'est que la couverture de l'édition originale n'a pas été reprise comme pour Léopard noir, loup rouge, de même que le titre, Moon witch, spider king. Je tenais à l'inclure malgré tout à mon article :