Sabrina Calvo, La Nuit des Labyrinthes, Éditions Mnémos, novembre 2020

Publié le par Maude Elyther

Illustration de couverture par Cindy Canévet

Illustration de couverture par Cindy Canévet

4ème de couverture

Marseille, 1905. En ce soir de Noël, on inaugure le pont Transbordeur dans la fête et les feux d’artifice. Bertrand Lacejambe, botaniste aux cheveux capricieux, assisté par son ami Fenby, elficologue amateur, est chargé d’élucider la mystérieuse disparition de la plus banale espèce de fleur de la ville.

Piégés dans un labyrinthe urbain aux occultes secrets, de soirées mondaines en scènes de panique, nos deux héros vont très vite se retrouver au coeur d’une conspiration qui menace de plonger la cité phocéenne dans le chaos. Et de ressusciter l’un de ses plus terribles cauchemars.

Après Délius, une chanson d’été, La Nuit des labyrinthes nous plonge dans un univers féerique et effroyable, une enquête délirante aux implications ténébreuses.

Sabrina Calvo est née à Marseille en 1974. Reconnue pour son sens très singulier du merveilleux et de l’absurde, elle vit quelque part dans le monde fatal.

Avant-propos

Je remercie chaleureusement Estelle des Éditons Mnémos pour m’avoir proposé ce second opus de la « trilogie des fleurs » * de Sabrina Calvo en service presse !

Le premier opus, Délius, une chanson d’été, avait été une véritable révélation pour moi l’année dernière. Pourtant, je ne lui consacré qu’un article il y a peu, après l’avoir relu.

La Nuit des Labyrinthes se révèle très différent de son prédécesseur. Si bien que certains points ont ralenti ma lecture. Cependant, au final, celle-ci aura su me titiller et m’en mettre plein les yeux.

Si vous n’avez pas lu Délius, je vous conseille de ne pas aller plus loin dans ma chronique (risque de spoiler !)

* terme que je reprends de l'article sur Le Bélial' Editions (source).

Mots clefs

Trilogie – enquête – botaniste – elficologue – enquête – détectives amateurs – fleurs – Marseille – début du XIXème siècle – sombre – surréalisme – absurde – mythologie – historique – franc-maçon – ésotérisme – architecture – passé – ténèbres – transformation – métamorphose – mer de sang – effroyable – purifier

Le Transbordeur, Marseille, 1905 (source : https://structurae.net/fr/ouvrages/pont-transbordeur-de-marseille)

Le Transbordeur, Marseille, 1905 (source : https://structurae.net/fr/ouvrages/pont-transbordeur-de-marseille)

8 ans après l’affaire du Fleuriste

L’intrigue de ce second opus se déroule 8 ans après l’affaire du Fleuriste. Bye bye la lumière, l’humour et la flamboyance de Lacejambe et de Fenby. Le botaniste nous couve une dépression, perdant ses cheveux toujours caméléon. Lui et son acolyte sont demeurés cloitrés dans l’appartement capharnaüm, dans la grisaille et le silence, comme un vieux couple qui ne prend plus conscience de la présence l’un de l’autre. Tandis que Lacejambe s’est terni, Benby lutte autrement, en s’arrondissant. Si ce dernier a repris apparence humaine il n’en demeure pas moins fleur, une fleur délaissée par le botaniste. La mort du petit Josh et celle de la dernière fleur de cadavre pèsent sur leur existence.

Néanmoins, en ce soir de Noël 1905, ils se montrent chez Engandine, soirée mondaine vertigineuse. C’est là qu’Ours-Antoine confie une enquête à Lacejambe. Lui trouver la meilleure Marina massalia, une fleur lambda. En voilà une étrange requête pour un salaire de roi ! Cependant, la partie se complique d’emblée lorsque notre duo découvre que la Marina a tout bonnement disparu !

L’Enfer à Marseille

Ce soir, se célèbre également l’inauguration du Transbordeur, immense pont. Cette figure de métal et d’acier accentue la saleté de la ville, tous ces déchets. Comme un paradoxe, le pont, du haut de son architecture nouvelle, mène à la ruée vers la nouveauté, la consommation qui souille Marseille. Alors que Lacejambe et Fenby progresse dans la nuit, les décors paraissent salement gris, sombres. La folle effervescence de la population et les feux d'artifices en liesse ne réchauffent pas l'atmosphère. Au contraire, ils accentuent nos deux détectives amateurs ternis et paraissent même glauques à leur manière. À la recherche de la Marina, alors que l’ambiance est déjà épaisse des nuages d’ésotérisme et autres clubs secrets propagés chez Engandine, le passé du botaniste s’en mêle. Son père qui a aidé à construire le jardin vertical, et surtout l’une des trois serres, les années au sein des francs-maçons, la Commune, les morts, son ami/son amour, Vivaux, décédé il y a longtemps…

La nuit de Noël, voilà nos deux comparses préférés qui recherchent une fleur. Leur mission les conduira jusqu’au jardin vertical. Là où les choses dérapent pour de bon. Entre homme-boule, music-hall sous-terrain qui les plonge tout droit en Enfer, lampions parlant et carnassiers… De ce périple surréaliste, ils rencontrent une troupe de musiciens (un vieux, un nain, un bellâtre, et la jolie Noriko). En cette singulière nuit, ils décident de faire équipe, car décidément, il faut s’unir en ce soubresaut de fin du monde. Le Transbordeur est victime d’un accident, la mer devient sang et coagule, recrachant ses poissons. L’appartement de Lacejambe et de Fenby a été saccagé, seuls en ont réchappé Bubastis et Geoffrey Cook…

Le labyrinthe de l’esprit

La folie, la saleté, les sans abris se multiplient à Marseille. Alors que plusieurs cherchent un certain Lou, que les objets du quotidien parlent sans que personne ne s’en rende compte dans un premier temps, que la panique marche dangereusement sur les pas de la Commune d’hier, les ténèbres engloutissent lentement la ville. Ses rues deviennent un labyrinthe mortel. Alors que Lacejambe cherche des réponses auprès de ses contacts, qui ne lui facilitent pas la tâche, Fenby sent monter l’humanité dans son corps de fleur : la chaleur qu’il ressent à l’égard de Noriko ? Le groupe se scinde en deux. Le botaniste lasse, qui revit à nouveau les événements de la Commune sans pour autant parvenir à les lier à ceux de cette nuit.

Pourtant plusieurs pistes se trouvent sous son nez. L’hystérie collective, les objets, meubles ou encore lampadaires qui parlent, l’eau de la Durance, son alcoolémie, les francs-maçons, les clubs ésotériques, la mythologie, l’historique de Marseille, ses souvenirs, Vivaux…

Noir, infernal, éprouvant, La Nuit des Labyrinthes met l’accent sur Lacejambe, sur son passé, sa dépression. Depuis l’affaire du Fleuriste, il semble avoir perdu sa féérie, sa magie ; d’autant que par moment, le néant d’un bijou, un diadème, rouge, se fait entrapercevoir dans un recoin de son esprit… C’est Fenby, fleur de son état, qui communique avec ses congénères, quand le botaniste le croit halluciné de se prendre pour une fleur et non pas un homme. Oui, Lacejambe est sombre, désenchanté et Marseille, personnage à part entière, fait écho à son esprit tortueux.

source : https://fr.wiktionary.org/wiki/labyrinthe

source : https://fr.wiktionary.org/wiki/labyrinthe

Léger bémol

Je dois avouer que ce revirement de dynamisme, tant chez nos deux personnages que dans l’atmosphère et l’intrigue, m’ont déconcertée. Je ne pensais pas découvrir un récit torturé, d’autant plus qu’ici cela a fortement touché à des failles en moi. Aussi, ma lecture était lente, un peu hésitante, je l’admets ; j’ai mis une semaine pour lire La Nuit des Labyrinthes. En soi, ce n’est rien, certains ouvrages demandent plus de temps pour les découvrir. En revanche, un point m’a réellement dérangée dans cette lecture, sans que ce soit forcément négatif. Voilà, j’ai eu du mal avec les nombreux passages, dans environ les trois quarts du roman, essentiellement tournés sur la Commune, les références aux francs-maçons. Entre politique et anarchie, Histoire voire mythologie rurale de Marseille, je n’ai réellement su me fixer. Certes, je pressentais leur utilité à l’intrigue, en même temps que je percevais la volonté de l’autrice de faire de Marseille un personnage à part entière, de son amour pour cette ville, alors qu’elle transfigure vers une forme de psychose.

Une lueur dans le désespoir ?

Car quelque chose de ténébreux plane sur la ville défigurée par les immondices, les reconstructions en suspens, la mise en marche du Transbordeur. Entre conspiration, chaos et cauchemar, Lacejambe et Fenby devront démêler les fils. Malgré tout, le botaniste s’interroge sur le bien de sauver cette ville qu’il veut quitter. À travers cette enquête, une étincelle de renouveau jaillit en lui. Partir ailleurs, avec Fenby.

Ce tome tourne largement autour de Lacejambe. Mais si l’intrigue, tout comme le botaniste, a tendance à délaisser Fenby, Lacejambe analysera leur relation. L’elficologue n’est-il pas toujours présent auprès du botaniste, dans sa vie, au sein de ce quotidien qu’ils ont vécu l’un dans l’autre ? Aussi, après le lumineux Délius, une chanson d’été puis le torturé La Nuit des Labyrinthes, avec leurs changements et évolutions marqués sur bien des points, je me demande quels revirements, quelle conclusion Sabrina Calvo prévoit pour le dernier tome de sa trilogie, Laocoon, hymne d’hiver (qui paraîtra de toute évidence en 2021 aux Éditions Mnémos).

En bref : Avec ce second opus, Sabrina Calvo déstabilise son lecteur avec une intrigue et des personnages assombris. Dans cette atmosphère épaisse et torturée, la ville de Marseille se métamorphose vers la destruction. Or : la destruction n’incarne-t-elle pas la continuité de la beauté ? Sublimer l’idéal façonné ? Purifier ? Essentiellement centrée sur Lacejambe, l’intrigue nous en apprend plus sur le botaniste, pour autant, sa relation avec Fenby connaîtra quelques éclaircissements, grâce à un fantôme de son passé. Si j’ai connu une lecture lente et hésitante durant les trois premiers quarts, le dernier m’a totalement réconciliée avec l’univers, la plume de l’autrice et les personnages. Il me tarde de découvrir la conclusion de cette trilogie !

"La Maison" (…) aura été mon refuge et mon rêve intérieur face au monde réel. (…) 1993 m’apparut toutefois le moment de décider en toute lucidité de la fin de cette architecture. Un soir, j’ai pris une masse et j’ai donné un premier coup aux murs de carrelage. J’ai réalisé qu’étant unique, elle méritait plus d’audace et d’égard que cette architecture parfaite, figée qu’elle était devenue (…). Il me fallait lui faire subir un sort exceptionnel, digne d’elle. J’ai décidé de la métamorphoser, de l’emporter ailleurs, de lui faire vivre une expérience absolue. Pour cela, elle devait se soumettre à une ultime transformation : la démolition. (…)

De la destruction : un entretien avec Jean Pierre Raynaud, André-Louis Paré

Laocoon : cet opus propose de nombreuses références à la franc-maçonnerie, à l'Histoire de Marseille, à l'architecture mais aussi aux sculptures. D'ailleurs, moi qui adore la statue du Laocoon (vous connaissez ?), je suis enchantée du titre du dernier tome de la trilogie !

Laocoon, statue - détail (source : https://onartandaesthetics.com/2016/08/12/laocoon/)

Laocoon, statue - détail (source : https://onartandaesthetics.com/2016/08/12/laocoon/)

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S
merci pour cette très belle chronique, ça me fait très plaisir :)
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M
Merci à vous pour cet univers et ces personnages ! Et pour votre passage sur ma page :) J'ai vraiment hâte de découvrir le prochain opus !!