GennaRose Nethercott, La maison aux pattes de poulet, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 janvier 2024

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture : Annouck Faure

illustration de couverture : Annouck Faure

4ème de couverture

« Comme Neil Gaiman et Susanna Clarke, GennaRose Nethercott maîtrise parfaitement l’alchimie de cruauté et de merveilleux qui forge les meilleurs contes de fées pour adultes. Les lecteurs auront du mal à trouver plus belle lecture pour passer la soirée. »
Shaun Hamill, auteur d’Une Cosmologie de monstres.
 

Séparés depuis l’enfance, Bellatine et Isaac Yaga pensaient ne jamais se revoir. Mais lorsque tous deux apprennent qu’ils vont hériter de leur grand-mère ukrainienne, frère et sœur acceptent de se rencontrer. Ils découvrent alors que leur legs n’est ni une propriété ni de l’argent, mais quelque chose de bien étrange : une maison intelligente juchée sur des pattes de poulet. Arrivée de Kyiv, foyer ancestral de la famille Yaga, l’isba est traquée par une entité maléfique : Ombrelongue, qui ne reculera devant aucun acte de violence pour détruire l’héritage de Baba Yaga.

GennaRose Nethercott, romancière, folkloriste et poétesse, a fondé le Traveling Poetry Emporium, une équipe de poètes à louer. Elle vit dans les bois du Vermont, à côté d’un vieux cimetière.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel

Avant-propos

Je remercie chaleureusement Gilles Dumay et les Éditions Albin Michel Imaginaire de m'avoir envoyé La maison aux pattes de poulet en service presse ! Ce roman a été largement demandé, je m'estime donc chanceuse. Dès que j'ai vu la sublime couverture, signée par Anouck Faure, et le titre, tous deux évocateurs de Baba Yaga, j'ai été séduite, puis conquise par sa présentation : un conte moderne sombre. C'est un coup de coeur pour moi !

Mots clefs

Réécriture de conte – conte moderne – contes slaves - histoire de fantômes – possession – fantasy urbaine – Baba Yaga – mémoire – dons et malédictions – héritage – héritage transgénérationnel – objets animés – monstres – lgbtqia – féminisme – sorcellerie – relation frère/sœur – chagrin – deuil – transformation – massacre – pogrom – horreur – golem

GennaRose Nethercott, La maison aux pattes de poulet, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 janvier 2024

Mon retour

« — Venez comme vous êtes ou comme vous n’êtes pas ! Venez le cœur avide, venez avec le goût de l’impossible (...). Eh oui, eh oui, Parques et Furies, Pieds-de-chardon vous attend au carrefour du démon. Vendez votre âme pour une nuit de merveilles. Cette nuit, et cette nuit seulement, la porte de l’Autre monde vous est ouverte. N’allez-vous pas franchir le seuil ? »

Baba Yaga, c’est le nom d’une femme. D’une sorcière. D’une ogresse mangeuse de chair humaine. Habitant une maison juchée sur deux pattes de poulet. Un conte de fées slave. Toutefois, les contes comme les mythes aussi protéiformes soient-ils naissent de faits, de vérités, un terreau bien sombre souvent imbibé de sang et de violence. Baba Yaga, c’est la rudesse et la cruauté d’une contrée reculée survivant à l’hiver. C’est la différence pointée du doigt. C’est le deuil et la rage éclatant en incendie dont les flammes se transmettront, tout comme de la boue, terre détrempée par les larmes et le sang, surgira un golem avec le goût de la fuite ancré au plus profond.

Baba Yaga, c’est le cœur battant d’un pogrom, la hantise d’une créature affamée, le tout enrobé par l’héritage transgénérationnel. La maison aux pattes de poulet s'inscrit indéniablement une histoire de fantômes. Attention toutefois car, comme dans La fille qui se noie (également paru aux Éditions Albin Michel Imaginaire), les fantômes ne sont pas ceux que l’on croit. Ici, ils sont plus que des souvenirs, ils sont un conte. Alors ouvrez grand vos yeux et vos oreilles, car voici le récit de Baba Yaga, qui remonte aux sources à travers ses descendants.

Voici un conte moderne, lorsque à New-York arrive d’Ukraine un étrange héritage. Une maison juchée sur deux pattes de poulet. Un frère et une sœur qui ne pensaient pas se revoir vont devoir remonter leur don/malédiction pour comprendre et sauver leur héritage. Car l’étrange isba est en danger, une créature, Ombrelongue, veut la détruire, souillure qu’elle représente à ses yeux. Voici le récit de Bellatine et d’Isaac Yaga, d’une ébéniste maudite par l’Embrasement et d’un roi caméléon en fuite.

La forêt n’était que sérénité. Lenteur. Un répit bienvenu. Elle cueillit des baies de fin d’automne dans les ronces et ramassa des chanterelles. La pluie n’avait pas tardé et la terre palpitait de tritons rouges – des salamandres tachetées, menues comme des échardes. Les dernières feuilles des érables étaient tombées ; les bois d’octobre étaient squelettiques, lugubres. Les branches s’enchevêtraient en ombres chinoises sur fond de ciel gris, traçant des routes et des chemins parcourus par de véloces corneilles. "C’est bientôt ce qui va nous arriver", songea Bellatine. "Nous aussi, nous survolerons les cartes."

La maison aux pattes de poulet, GennaRose Nethercott, Éd. Albin Michel Imaginaire, 2024

Pieds-de-chardon, l’étrange isba sur ses pattes de poulets, court le pays, faisant étape au gré des représentations de ses deux propriétaires. Car Bellatine a accepté le marché d’Isaac : en échange de sa part de la maison, son frère a souhaité qu’elle l’accompagne un an en tournée pour remettre sur le devant de la scène le spectacle de marionnettes de L’idiot qui se noie. Leurs parents leur envoient le coffret contenant les marionnettes, ravivant avec horreur le feu des mains de Bellatine, la cadette. Quant à Isaac, contraint de jouer son propre rôle uniquement, il a toutes les peines du monde à tenir en place. Alors quand il est sauvé in extremis du poison d’Ombrelongue par une bande de musiciens pré-apocalyptiques, c’est comme si son désir prégnant de fuite s’expliquait, trouvait son origine.

Mais qui ou que sont les véritables monstres dans cette histoire ? Isaac et sa panoplie d’identités ? Bellatine et ses mains qui ressuscitent le bois, la pierre et les cadavres ? Ombrelongue, une créature qui entraîne dans son sillage folie et mort au nom de la purification ? Pieds-de-chardon, maison intelligente en fuite qui s’apparente à quelques légendes urbaines similaires ?

Bellatine avait oublié ce que la beauté de ces marionnettes avait de déchirant. Leur mère les avait tendrement conçues, de ses aiguilles, de ses pinceaux. Leurs squelettes de bois portaient les mille marques de la gouge affectueuse de leur père. Couchées dans leur caisse de transport, les marionnettes avaient l’air d’une famille de petits démons qu’on aurait arrachés à leur pays féerique pour leur faire entamer une vie nouvelle parmi les mortels.

La maison aux pattes de poulet, GennaRose Nethercott, Éd. Albin Michel Imaginaire, 2024

Les pages se tournent toutes seules alors que défilent les kilomètres sous les pattes de Pieds-de-chardon, que les souvenirs hantent Isaac, que Bellatine tente de refouler l’Embrasement – qu’elle perçoit comme une malédiction, une monstruosité –, que l’autrice nous plonge dans des histoires dans les histoires : Pieds-de-chardon elle-même contant différentes versions de sa naissance, de l’histoire de Baba Yaga, mais également via la représentation des enfants Yaga de L’idiot qui se noie.

GennaRose Nethercot nous livre un fabuleux exercice d’écriture : un style moderne et fluide, non dénoué de poésie, un enchantement. Oubliez les réécritures de conte de fées, savourez celui-ci, qui remonte à l’origine de la légende de Baba Yaga, qui s’imprègne des mœurs de guerre, un siècle en arrière, alors que les juifs en fuite cohabitaient avec les paysans Ukrainiens. Imaginez donc qu’une femme juive élevant seule ses deux filles était perçue comme une sorcière. C’est la cruauté qui cristallise son histoire, celle de la rudesse de l’hiver, celle de la folie des hommes face à la différence et aux pensées limitantes. C’est sa rage et sa profonde détresse qui font naître de la boue un golem, une entité intelligente personnifiant l’héritage transgénérationnel. L’héritage comme une hantise : un fantôme familier que l’on perçoit de loin, sans tout à fait le comprendre alors que l’on sent son influence, venue d’un autre âge.

Les contes, on ne les oublie pas ; ils se contorsionnent et se pelotonnent autour du cœur jusqu’à y être tranquillement logés. Ils sont fluides, changeants, ils peuvent s’adapter à toutes les circonstances qu’ils traversent. Ils changent dans la bouche des conteurs et se font aux contours des oreilles des auditeurs. Les faits peuvent différer (…) mais leur noyau reste le même. Ainsi survivent-ils. S’assimilent-ils. Et avec eux – le souvenir.

La maison aux pattes de poulet, GennaRose Nethercott, Éd. Albin Michel Imaginaire, 2024

La maison aux pattes de poulet, ce sont les fils de plusieurs récits qui cousent la même marionnette, qui font tenir sur ses pattes Pieds-de-chardon, qui relient les membres d’une même famille, qu’importe la distance et les générations d’écart. Ces fils sont parcourus par l’électricité des fantômes, du surnaturel ou plutôt du réalisme magique marqués par les phénomènes de légendes urbaines ; cette énergie coule dans les veines des personnages, révélant la lumière de ces êtres d’apparence perdue, égarée. Des entités fabuleuses, des monstres fascinants, terriblement humains, avec sur leur trace, Ombrelongue, cette créature se définissant comme un « quand », qui possède un lien psychique avec Pieds-de-chardon.

La maison juchée sur ses pattes de poulet, la figure de Baba Yaga, le golem, la résurrectionniste, l’acteur aux milles identités, tout ce folklore se mêle à la magie de la Nouvelles Orléans, à celle des représentations de marionnettes, à la vie de vagabond le long des rails, au mythe de Pygmalion donnant vie à Galatée, statue, tout comme à des clins d’œil à des œuvres de fantastique comme aux série Supernatural et The Haunting of Bly Manor, ou encore à une nouvelle de Clive Barker. Et tout ce patchwork se marie à la perfection, comme les points d’une même étoffe, les carrés d'un patchwork.

« Éteignez les lampions »,
« Que le spectre se lève. »

Elle n’activait pas quelque chose, se disait-elle, là où il n’y avait rien. Elle activait. Elle ranimait. Perçait le tissu, le bois, le fil de fer jusqu’au centre, y trouvait alors le spectre caché. Elle se faisait paléontologue, chassant des créatures qui galopaient sur les banquises : les âmes des objets étaient des spécimens congelés attendant le dégel et la libération. Et lorsqu’elle trouvait ce fantôme, la chaleur de ses mains le faisait fondre ; bientôt il s’étirait, tel un chat, dans les fentes de son corps-objet ; il s’était réveillé.

La maison aux pattes de poulet, GennaRose Nethercott, Éd. Albin Michel Imaginaire, 2024

GennaRose Nethercott, La maison aux pattes de poulet, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 janvier 2024

En bref

J’ai été captivée par ce premier roman de GennaRose Nethercott ! Doté d’une grande maîtrise, son style poétique demeure suffisamment concis pour revêtir une forme fluide, mais riche d’évocation et de profondeur. Cette réécriture de conte fascinante mélange bien des éléments magiques : don/malédiction, héritage transgénérationnel, maison intelligente, fantômes, héritage, transformation ; le tout sans édulcorer la cruauté des hommes, pour nourrir la mémoire, ne pas oublier les horreurs du passé. L’autrice allie ce mélange à la modernité et l’inclusivité, de quoi combler toutes mes attentes.

Vous l’aurez compris, je ne peux que vous le recommander !

GennaRose Nethercott, La maison aux pattes de poulet, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 janvier 2024

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