Eleanor Arnason, Les Nomades du Fer, Éditions Argyll, 3 novembre 2023

Publié le par Maude Elyther

Maquette et illustration de couverture : Xavier Collette

Maquette et illustration de couverture : Xavier Collette

4ème de couverture

« J’adore Eleanor Arnason. J’aime tout ce qu’elle a écrit. »

Jo Walton

Tandis que la Terre peine à se relever de la pollution et de la surexploitation de ses ressources, Lixia, une anthropologue, est envoyée vers une planète qui orbite autour de l’étoile Sigma Draconis. Elle et son équipage sont chargés d’observer les sociétés qui s’y sont développées sans interférer avec les populations locales.

Nia, quant à elle, est une artisane parmi celles et ceux que l’on nomme le Peuple du Fer. Marginalisée parce qu’elle a autrefois aimé un homme, c’est elle qui est choisie pour guider les terriens sur son monde où, au prix d’une séparation entre les hommes et les femmes, guerre et violence n’ont ni sens ni existence.

Toutefois, voilà qu’au sein de l’équipage divisé du vaisseau, la colère gronde et les conflits se multiplient, au risque de tout détruire. L’amitié naissante entre Nia et Lixia résistera-t-elle à ces dissensions ?

Née à Manhattan, Eleanor Arnason a vécu à New York, Chicago, Londres, Paris, Washington, Honolulu et Minneapolis, où elle profite aujourd’hui de sa retraite. Elle a publié six romans et une quarantaine de nouvelles.
Les Nomades du Fer, lauréat des prix James Tiptree Jr. Memorial et Mythopoeic, explore une société matriarcale et écologique, dans la droite lignée des œuvres d’Ursula K. Le Guin, qui l’avait adoubée.

Avant-propos

Je remercie infiniment Xavier Dollo et les Éditions Argyll pour l’envoi de ce roman en service presse ! Surtout, je m’excuse de l’énorme retard avec lequel arrive mon retour… Initialement publié en 1991, voici la première traduction française des Nomades du Fer, un planet opera coloré qui se savoure, sa densité ne doit pas vous rebuter.

Mots clefs

Planet opera - science-fiction – premier contact – société matriarcale – féminisme – femmes chamanes – écologie – fable écologique – amitié – anthropologie – artisanat – politique – mythes

Eleanor Arnason, Les Nomades du Fer, Éditions Argyll, 3 novembre 2023

Mon retour

Les Nomades de Fer m’est d’abord apparu comme une version du Moineau de Dieu de Mary Doria Russell (aux Éditions ActuSF) sous le prisme anthropologique : l’histoire d’un premier contact sur une planète proche de la Terre. Ici toutefois, l’action se déroule uniquement sur la nouvelle planète. Via le point de vue de Lixia, humaine, nous découvrons une société matriarcale agricole et artisanale, fondée sur le troc : l’échange de cadeaux. Lixia fait partie d’une brochette dispatchée sur le territoire de ce nouveau monde, mais étant une femme, contrairement aux autres, elle s’intègre de façon pérenne parmi les autochtones. Elle découvre ce monde et cette société pacifiste (elles ne connaissent ni la guerre ni la violence), fortement imprégnée de mythes et de rituels chamaniques.

Les longs chapitres sont l’occasion de rencontres, d’histoires dans l’histoire qui brodent cet univers, ce monde, que nous ne cessons, à l’instar de Lixia et Derek, de comparer aux nôtre. Lixia et l’équipage ont quitté la Terre depuis 2 siècles pour faire le voyage qui les a conduits ici. Après l’effondrement de leur planète suite à l’avidité humaine, les nouvelles générations sont parvenues à changer la donne, respectant enfin la nature et l’humain. Leur mission sur cette nouvelle planète est d’observer et d’étudier ses caractéristiques, notamment ses occupants. Les points de repères terriens vont vite semer la zizanie parmi l’équipe marquée par diverses politiques : doivent-ils ou non intervenir ? sortir les autochtones de leur ère agricole vers un modèle urbain, les initier à la technologie ?

Si j’ai trouvé la narration froide, dans le sens où elle manque pour moi d’affects, Lixia s’attache à son regard d’anthropologue. Elle est curieuse de tout, ne cesse de poser des questions. Évidement, elle a appris la langue des autochtones, le langage des cadeaux, jusqu’aux nombreux gestes des mains. Du reste, les autochtones ressemblent fortement aux humains, plus exactement aux hommes préhistoriques, en ajoutant le fait qu’ils sont entièrement recouverts de fourrure. Ils sont répartis en clans nomades, affiliés à une ressource naturelle : le fer, l’ambre, le cuir…

Seuls les garçons et les vieillards restent dans les campements, les hommes eux sont solitaires et vivent sur des territoires éloignés : après le premier changement, ils deviennent asociaux. Les femmes vont à leur rencontre au moment de leurs chaleurs, pour s’accoupler. La sexualité n’existe qu’à ce moment. Ainsi, Nia qui est tombé amoureuse d’un homme et a vécu avec lui a été marginalisée par son peuple, celui du Fer.

Alors que la présence de Lixia sème le trouble au village où elle est arrivée en premier lieu de sa mission, elle va rencontrer Nia et, ensemble, elles vont cheminer, faire de nombreuses rencontres et découvrir autant de récits que de paysages. À leur côté, vont s’ajouter l’Oracle, un homme saint, et Derek, un membre de l’équipage de Lixia qui, du fait de son genre, a été chassé par les autochtones qu’il a approchés. Les deux humains ne sont jamais coupés du vaisseau-mère, ils ont leur radio et un pendentif qui enregistre tout ce qu’ils vivent. C’est ainsi qu’ils apprennent que la politique de non-intervention, qui avait été premièrement établie, est en train d’être retournée. Si ce bouleversement paraît lointain, presque intangible, il va prendre de plus en plus d’épaisseur à mesure que notre étrange équipée fait route vers le point de rencontre avec l’équipage venu les récupérer.

Le point plaisant de ce roman est que ce sont les humains qui sont les extraterrestres. Imberbes parmi les autochtones, on les pense de prime abord malades ou démons. La traversée des territoires pour rallier le point de rendez-vous a cela de fascinant de brasser diverses coutumes et donc histoires, des mythes qui ne sont pas sans rappeler certains de notre monde. Ce voyage retrace leur Histoire, leurs liens aux divinités fondatrices dont les récits, comme ceux de la mythologie grecque, expliquent la nature (la neige, les tempêtes). Ces histoires marquent aussi les tabous et sont des points de référence unique à chaque peuple.

À cela s’ajoutent les couleurs de la faune et de la flore de ce monde. Déstabilisants voire monstrueux, la végétation comme les animaux colorent ce récit comme les broderies sur les vêtements des autochtones. Les animaux ont des airs de dinosaures, souvent avec des plumes, ils sont bleus, rose, lézards géants, bipèdes étranges, herbivores gigantesques, rares sont ceux poilus. Quant à la végétation, par région elle est monotone, de l’herbe haute comme des arbres, des fleurs dont les petits courent, des arbres déracinés par la crue de la rivière. Les paysages sont riches : désert, forêts, marais, îlots, montagnes, plaines, plaines volcaniques. Les astres, splendides, ne serait-ce qu’avec la lune en éruption.

On peut dire que le roman est ainsi construit : le premier contact, l’apprentissage, les rencontres avec leur lot de découvertes et de péripéties. De nombreuses pistes réflexives sont ici distillées : le rapport à la nature, la sexualité, la religion, l’artisanat, le mythe, le modèle sociétal… et ce toujours avec comme comparaison la Terre. Puis arrive la dernière étape : le retour auprès de l’équipage. À partir de là, l’autrice retourne son récit : les autochtones entrevoient les terriens comme des extraterrestres, avec leur immense campement, leurs machines, leurs bateaux à moteur. Cette partie prend un fort accent politique. Et alors que cette nouvelle humanité se gargarise de ses efforts pour un rapport plus sain à leur planète d’origine, les voilà à débattre quant au non-sens de la non-intervention.

L’on découvre une humanité en partie encore lourdement marquée par les dérives du passé (les colonisations, les génocides) quand l’autre part affirme être respectueuse et penser à bien. J’ai été mal à l’aise par les propos de ces derniers, qui se posent en sauveur, en messie, car ils peuvent apporter connaissances et technologies à un peuple « inférieur ». En parallèle, ils pensent également déjà à un commerce interstellaire avec les ressources de cette nouvelle planète…

Sous ses airs de découvertes contemplatives non dénouées de péripéties, Les Nomades du Fer propose une réflexion sur l’humanité, sur son avidité, sa soif de conquête, d’expansion (ici interstellaire). Ce premier contact donnera lieu à un premier pas humain sur cette planète. Toutefois, autre chose est née, l’amitié entre Nia et Lixia. La fin, très ouverte, laisse de nombreux sous-entendus, l’autrice ne nous donne pas les clefs, pour que nous construisions notre propre réflexion, autant sur le roman que sur notre humanité.

Eleanor Arnason, Les Nomades du Fer, Éditions Argyll, 3 novembre 2023

En bref

Un roman dense et coloré porteur de nombreuses réflexions quant à notre humanité. Il brasse, sous un regard anthropologique, le planet opera, le premier contact, comme l’apprentissage, les découvertes et rencontres, l’aventure, l’amitié interstellaire, la magie aussi avec les femmes chamanes et l’Oracle. Au sein de ce monde où prône le modèle de société matriarcale, ce sont les humains qui sont les extraterrestres. Les Nomades du Fer propose un récit entre Histoire et impermanence. L'autrice a initié un récit terriblement actuel bien que publié pour la première fois en 1991.

Eleanor Arnason, Les Nomades du Fer, Éditions Argyll, 3 novembre 2023

Vous aimerez aussi :

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article