Émilie Querbalec, Les Chants de Nüying, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 août 2022

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Manchu

illustration de couverture par Manchu

4ème de couverture

La planète Nüying, située à vingt-quatre années-lumière du Système solaire, partage de nombreux traits avec la Terre d’il y a trois milliards d’années. On y trouve de l’eau à l’état liquide. Son activité volcanique est importante. Ses fonds marins sont parcourus de failles et comportent quantités de sources hydrothermales. Elle possède une magnétosphère et une atmosphère dense, protectrice. Tout cela en fait une bonne candidate pour héberger la vie. La sonde Mariner a transmis des enregistrements sonores de Nüying : des chants qui évoquent par analogie ceux des baleines.

Quand elle était enfant, Brume a entendu cet appel. Désormais adulte, spécialisée dans le domaine de la bioacoustique marine, elle s’apprête à participer à la plus grande aventure dans laquelle se soit jamais lancée l’Humanité : rejoindre Nüying au terme d’un voyage spatial de vingt-sept années. Que va-t-elle découvrir là-bas ?

Une civilisation extraterrestre ou une remise en cause totale de ses certitudes ?

Avec Les Chants de Nüying, Emilie Querbalec signe un ambitieux roman de premier contact comme la science-fiction de langue française en a, de fait, proposé assez peu au cours de son histoire. Cette œuvre ample, qui brasse tous les enjeux de demain, de l’écologie à la sauvegarde informatique de la conscience humaine, ne manque pas d’évoquer les utopies d’Ursula K. Le Guin et les vertigineuses visions spéculatives de Kim Stanley Robinson.

Avant-propos

Je remercie Gilles Dumay et les Éditions Albin Michel Imaginaire pour leur confiance dans l’envoi de ce service presse !

La Science-Fiction est un genre avec lequel je prends désormais plaisir à me familiariser, j’y trouve des sujets et thématiques qui font écho à mes propres réflexions.

Avec ce roman d’Émilie Querbalec, il est vrai que je m’attendais plus à découvrir et explorer la planète Nüying, à être confrontée à l’inconnu, mais le propos de l’autrice nous entraîne dans plusieurs réflexions à propos de l’humanité, de l’identité humaine, du monde de demain.

Vous embarquez avec moi ?

Mots clefs

Science-Fiction – transhumanisme – religion – voyage spatial – représentation – humanité – identité humaine – clones – voyage – survie – planètes – Réalité Virtuelle – illusion – roman réflexif – monde de demain – écologie – premier contact – culture – asiafuturisme – famille – immortalité

Représentation

asiafuturisme

personnages de différentes origines : africaines, asiatiques...

couple FF

Émilie Querbalec, Les Chants de Nüying, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 août 2022

Mon retour

Avec Les Chants de Nüying, je découvre la plume d’Émile Querbalec, qui a déjà sévi dans le milieu littéraire via des romans et nouvelles. Ici, j’ai été attirée par l’évocation des fonds marins, de chants émanant d’une autre planète que la nôtre et étant, par analogie, rapprochés à ceux des baleines. Toutefois, l’exploration de Nüying et les recherches quant à l’origines de ces chants ne sont pas le propos principal de cet ouvrage : ils sont le prétexte à plusieurs réflexions autour de l’humanité.

— Nous nous construisons sur notre héritage culturel (...). Et la culture est un milieu vivant, qui évolue et grandit en même temps que ceux qui la font vivre. N'est-ce pas ?

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

Découpé en 3 parties, le récit propose la succession de personnages dont nous allons suivre l’évolution, judicieusement ponctuée d'ellipses : de la préparation à la mission vers Nüying en 2563, au voyage en lui-même, et à l’approche de la planète. La mission Shun de l’entrepreneur Jonathan Wei n’a pas uniquement pour but les chants, nous le découvrons au fur et à mesure.

— (...) vous n'avez toujours rien sur l'origine du "chant" ?
Meriem secoua la tête :
— Non. Mais le premier qui verra une sirène aura gagné le droit de les nommer d'après son nom.
Anouk n'eut pas l'air de trouver ça drôle :
— C'est idiot, critiqua-t-elle. Pourquoi devons-nous toujours nommer ce que nous ne comprenons pas ?
— Comment veux-tu que l'on fasse ? protesta Dana, perplexe. Il faut bien nommer les choses pour pouvoir en parler, non ?
— Ce que je veux dire, c'est que ces êtres possèdent peut-être un langage, et des manières de se désigner qui leur sont propres. Nommer sans respecter les usages linguistiques, c'est déjà une façon d'aliéner.

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

Dans ce monde de demain que présente l’autrice, la science cherche des solutions pour trouver un nouvel environnement où s’établir. Ainsi, autres l’espèce humaine, nous rencontrons les Sélènes, qui grâce à des implants sont mieux adaptés à la vie hors de la Terre, certaines générations n’ont d’ailleurs jamais mis les pieds sur la Planète Bleue. Ils sont établis sur Taihe-Concordia, une cité lunaire qui comporte également des humains et accueille des touristes.


— Voilà presque sept semaines que vous supervisez mon éveil à la conscience, et je vous en remercie. Grâce à vos efforts et votre constante attention, j'ai pu imaginer, un instant, être redevenu moi-même. Mais vous semblez oublier une chose.
— Quoi donc, Jon ? murmura-t-elle.
Il lut le désarroi, la peur et la tristesse dans ses yeux, mais cela ne l'arrêta pas.
— Je ne suis pas l'homme que vous croyez.
— Qui, alors ?
Sa voix n'était plus qu'un filet.
— Je ne suis personne, dit-il. Je ne suis rien.
Rien qu'une boîte vide, que l'on avait remplie de souvenirs et de désirs ayant appartenu à des morts, ajouta-t-il mentalement.

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

Plusieurs corps de métier ont été regroupé pour préparer la mission Shun, ainsi l’on se familiarise avec les implants-neuros, la RV (Réalité Virtuelle) qui est un art, mais surtout avec Réceptacle : le projet de Jonathan Wei, l’immortalité. Il s’agit d’un procédé de transhumanisme s’appuyant sur le clonage humain et la sauvegarde des souvenirs relatifs à l’identité de la personne.

De loin en loin, Jonathan apercevait l'éclat métallique d'un casque. Des gardes équipés de plastrons et de tasers surveillaient les intersections, des renforts se tenaient prêts à intervenir dans les allées latérales. Jonathan n'avait pas eu son mot à dire sur ces mesures de sécurité, imposées par une Tamaki aux abois. Lui-même se sentait d'humeur étrange, comme si la peur de mourir s'était soudain sublimée au contact de cette marée humaine, se nourrissant de cette énergie latente pour se transformer en un flux concret – une excitation, une euphorie insolente qui coulaient dans ses veines comme un poison, un charme.

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

À bord du « Rêve du lapin de jade », le cargo-monde Yùtù Mèng, alors que Jonathan Wei se donne à Réceptacle, une partie de l’équipe dort en stase de cryogénie, tandis que les Sélènes continuent leur vie durant ce voyage de 24 années-lumière. Toutefois, rien ne va se passer comme prévu : des renaissances de Jonathan Wei, aux émeutes entre les fidèles de l’Éveil Vrai, dont Jonathan est proche du guru, et les forces militaires. Le pire pronostic évoqué lors des nombreuses préparations à cette mission va se réaliser ; les survivants sauront-ils faire face ?

Laisse-toi porter par la vague.
La pulsation sourde qui montait de la fosse lui évoqua la plainte d'un animal gigantesque. Le chant, repris, répété, modulé à l'infini, emplit peu à peu tout l'espace, comme si le cargo-monde lui-même s'éveillait, monstre de métal et de roche fusionnés accouchant d'un rêve fou.

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

D’une plume limpide, Émilie Querbalec développe la thématique de l’humanité, de l’identité humaine, via la famille, la science comme la religion et donc le rapport à la mort (entre autres), mais aussi en confrontant ses personnages à la catastrophe, les livrant à eux-mêmes dans un environnement inconnu. Si d’un côté les Sélènes apparaissent comme l’évolution humaine, ils ne sont pas réellement acceptés par les êtres humains. La religion de l’Éveil Vrai, mêlant bouddhisme radical à la science semble quant à elle une secte, dangereusement attirée par l’illusion (la RV) comme réalité. Et puis Réceptacle dont le vertigineux procédé questionne l’égo humain (encore et toujours) tout comme l’humain en lui-même. D’ailleurs l’autrice propose une scène de mise en abyme où l’un des Jonathan se trouve face à ses clones, à différents stades de vie (enfant à adulte).

Enfant, elle se voyait voguer vers l'un de ces univers lointains, alors qu'elle se tenait blottie sous sa couette dans le noir, avec pour seule lumière la phosphorescence des étoiles en plastique collées au plafond. Elle dialoguait avec des créatures étranges, oursins multicolores ou libellules d'eau aux ailes évanescentes qui lui ouvraient les portes de palais sous-marins aux jardins de corail. Intermédiaire hybride entre races que tout séparait, elle décodait leurs couinements, crissements et éructations, se faisant l'ambassadrice et l'interprète d'une humanité que rien n'avait préparée à de telles rencontres. Ces fantaisies avaient fini par se cristalliser dans son cœur, à mesure qu'elle grandissait. Et le rêve ne s'était jamais complètement éteint (...).

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

Ces trois axes amènent de riches réflexions autour de l’être humain ; de son rapport au monde, tangible comme intangible : le besoin ou la nécessité de quitter la Terre, atteindre une « Terre Promise », trouver sa place. Les notions d’individualité et de collectivité, voire de fusion (neurotechnologie avec les implants) sont au cœur de cet ample brassage que propose l’autrice. Ces interrogations fascinent, effraient, donnent le vertige, à la fois familières comme hors de portée, défrayant l’éthique, les valeurs individualistes, ou tout bonnement la conscience.

— Le problème, dit-elle, c'est que nous avons trop souvent tendance à voir et interpréter le monde à travers le filtre de notre expérience.
— C'est-à-dire ?
Il régnait sous le couvert végétal une chaleur moite, et une entêtante odeur de pourriture provenait des déchets coincés dans les filets tendus au-dessus de la terrasse.
— C'est quelque chose que j'ai appris en fréquentant les mammifères marins, expliqua Brume.
— L'inévitable anthropocentrisme, plaisanta William.
— C'est ça, concéda-t-elle avec un sourire (...).
— Donc tu vois, je me demande si ce n'est pas ça qui nous empêche d'"entendre" la vie sur Nüying.

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

Les œuvres de Science-Fiction parlent du monde d’aujourd’hui à travers des futurs plausibles, nous confrontant à nos limites, à notre orgueil et notre égo qui nous poussent à vouloir toujours plus, toujours plus loin, jusqu’à dépasser notre corps et notre conscience. En ceci, Émilie Querbalec participe à ces réflexions, en proposant des axes autour de l’humanité, du transhumanisme, de la religion, ou encore de la survie. D’ailleurs Nüying offrira une ouverture mystique à cet ensemble.

Elles s'arrêtèrent pour respirer le parfum d'un bosquet de fleurs aux lourds pétales carmin. Ces sensations n'étaient-elles aussi que des illusions ? se demanda Dana, ébranlée. La physique avait démontré depuis longtemps que la matière, en soi, n'existait pas. Même la véritable nature d'un photon leur échappait. Le monde comme une création vivante de l'esprit – un pur esprit, détaché de la chair qui l'avait produit, et transféré dans une machine...

Les Chants de Nüying, Émilie Querbakec, Ed. Albin Michel Imaginaire, 2022

En bref : d’une plume limpide, tantôt poétique, Émilie Querbalec nous propose un roman de Science-Fiction faisant la part belle aux réflexions sur l’humanité, via des thématiques tournant autour du transhumanisme, de la religion, de la science. Beautés comme horreurs dépeignent le tableau d’une humanité cherchant à dépasser les limites imposées par sa condition. Nous sommes face au vertige d’un futur possible, peut-être pas si loin que cela aux vues de recherches scientifiques actuelles. Mais plus que de propositions, l’autrice souligne les dangers de l’égo humain.

Émilie Querbalec, Les Chants de Nüying, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 août 2022

Je souligne que les Éditions Albin Michel Imaginaire prennent à cœur de publier des autrices françaises, merci à eux !

Dans ma PAL, Widjigo d'Estelle Faye m'attend, et j'aimerais beaucoup découvrir Les Flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert !

Émilie Querbalec, Les Chants de Nüying, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 août 2022
Émilie Querbalec, Les Chants de Nüying, Éditions Albin Michel Imaginaire, 31 août 2022

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