Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, Pépite de l'imaginaire 2024, 21 février 2024

Publié le par Maude Elyther

illustration : Cyrielle Foucher / design : Atelier Octobre Rouge

illustration : Cyrielle Foucher / design : Atelier Octobre Rouge

4ème de couverture

Dans un monde inexorablement englouti par une brume remontant du passé, Keb Gris-de-pierre, berger de son état, a tout perdu. Maramazoe, guerrière renommée du peuple des mers, est une paria. Autrefois ennemis, ils arpentent ensemble les sentiers de montagne et les crêtes escarpées à la recherche d’une échappatoire, mais également de réponses… Quel qu’en soit le prix.

Narrant le destin poignant de deux héros que tout oppose, pris dans les ombres de leur passé et contraints de devoir sceller une alliance pour la survie de leur monde, La brume l’emportera captive de la première à la dernière page par sa voix singulière et son émotion vibrante.

Stéphane Arnier est un auteur français qui vit en Finlande. Entre un double expresso et une balade en forêt, il écrit des romans de fantasy et des jeux de rôle. Il publie également de nombreux articles dédiés à l’écriture de récits de fiction dans lesquels il aborde les aspects techniques liés à la narration et la dramaturgie.

Avant-propos

En premier lieu, je remercie Estelle et les Éditions Mnémos qui m’ont envoyé ce service de presse surprise ! Férue de leurs Pépites de l’imaginaire, c’était en plus l’occasion de découvrir la plume et l’univers de Stéphane Arnier, qui m’ont enchantée.

Mots clefs

Fantasy – post-apocalyptique – amitié – choc des cultures – passé – épopée – voyages – voyages dans le temps – quête – paysages – aventures – épopées – magie – deuil – tatouage – coutumes tribales – résilience – rédemption – souvenirs – mémoire – impermanence

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, Pépite de l'imaginaire 2024, 21 février 2024

Mon retour

Brume et ruines

« — (…) Si nous pouvions contempler les souvenirs du monde, si nous pouvions nous rappeler qui nous avions été, si nous pouvions regagner les pouvoirs enfouis sous la terre, nous redeviendrions le grand peuple de jadis. »

Ne vous fiez pas au résumé de La brume l’emportera, sous son air classique, ce one-shot que nous propose Stéphane Arnier est une invitation au voyage, fruit de réflexions sur la mémoire, les actes manqués, le deuil et la rédemption. Avec la rencontre inopinée d’un berger Dak et d’une guerrière Ta’moaza, c’est un véritable choc des cultures duquel naît peu à peu une touchante amitié.

Cela fait huit ans que la brume engloutit peu à peu le monde : les océans, les plaines… elle a commencé l’ascension vers les sommets, vers les montagnes. La brume vaporise les êtres vivants qu’elle touche : les humains et les animaux disparaissent sans laisser de trace, comme s’ils n’avaient jamais existé. Cela fait huit ans que Keb a perdu sa femme enceinte, son frère jumeau, sa bergerie familiale, son troupeau. En compagnie de sa chienne Lampoza, il marche vers les hauteurs, mais pourra-t-il échapper indéfiniment à la brume ?

Keb en est psychologiquement au point de ne plus s’interroger sur la brume – qu’elle-t-elle ? d’où vient-elle ? Malgré tout, suite à un triste accident durant lequel il frôle la brume en tentant de sauver sa chienne, le voilà pourvu d’une étrange aptitude, à moins qu’il ne commence sérieusement à perdre la tête ? Lorsqu’il retient sa respiration, le voilà plonger dans une autre époque. Dans ses ruines qu’il arpente à la recherche de nourriture et d’eau potable, il se retrouve piégé dans une cellule à cause de cette nouvelle faculté. C’est alors qu’il va faire la rencontre de Maramazoe, une femme guerrière du peuple avec lequel le sien était en guerre, il y a huit ans.

— Vous pensez que changer le monde est si facile ? Qu’il vous suffit de retenir votre souffle et nier vos anciennes bêtises pour tout arranger ? Même ma fille, kaipuna aux pouvoirs de fileuse, liée à Pu’uza elle-même, y œuvre depuis des années sans encore avoir terminé ! Elle manipule des puissances naturelles enfouies depuis toujours au cœur du monde, des forces auxquelles nos peuples ne devraient pas oser toucher, pour faire bifurquer l’Histoire !

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, 2024

Les forces du récit

Plusieurs forces façonnent ce récit. Dès les premières lignes, la narration nous entraîne. En effet, nous rencontrons Keb Gris-de-pierre qui conte son incroyable épopée en compagnie de Maramazoe A’oraza, alias Mara, aux Ta’moaza qui l’ont recueilli. Imaginez ce Dak, petit à la peau noire comme le sont les siens, face aux impressionnants Ta’moaza, grands, leur peau cuivré ornée de tatouages tribaux qui révèrent les volcans (il m’ont instantanément fait penser aux Maori). Le choc des cultures est amoindri par le fait que Keb connaît dorénavant leurs coutumes, leurs mythes. Toutefois, il a attendu d’être en possession du bâton-oiseau pour leur narrer son récit, car Mara est muo moa – tabou, contagieuse – chez les Ta’moaza.

La maîtrise de la narration de l’auteur s’étend donc ici à un récit oral, à la 1ère personne, qui interpelle à l’occasion son auditoire présent. Quant à l’épopée, le sens de l’intrigue, les détails, les informations nécessaires, les descriptions, les interactions entre les personnages, … : rien n’est laissé au hasard, offrant une exceptionnelle cohésion. La mémoire hautement précise de Keb trouve bien entendu un lien avec son don, mais ça, vous le constaterez par vous-même.

À travers la reviviscence de Keb, nous suivons son évolution et celle de Mara. Dire que leur rencontre et le début de leur périple n’a pas été facile frôle l’euphémisme, et c’est appréciable d’être témoin de l’amitié qui va naître entre eux deux, pas à pas.

— Chez nous (…), nous révérons quelque chose que nous appelons Pu’uza, qu’on pourrait traduire par "la Source". Dans nos croyance, c’est la mémoire du monde. Elle dort sous la terre et elle se souvient de tout ce qui a jamais existé. À chaque fois que quelque chose naît ou est créé, cela s’ajoute à Pu’uza. Celle-ci ne fait que grandir et grandir encore, tant et si bien que, parfois, le monde peine à la contenir. Des montagnes tremblent et se brisent, et des bouffées de Pu’uza s’en échappent – pour nous, les volcans sont sacrés, car il n’y a qu’en leur cœur qu’il est possible d’entrer en contact avec Pu’uza.

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, 2024

Les fantômes du passé

Mara a besoin de Keb pour lever la brume, elle le lie à elle avec sa magie pour qu’il l’accompagne. Bien sûr, Keb tergiverse, traîne des pieds, mais après tout, son but était de gagner les hauteurs, pas vrai ? C’est justement ce chemin qu’emprunte Mara. Sur la route, c’est l’occasion pour Keb d’expérimenter son don, de se retrouver dans le passé, 8 ans avant. Lié à Mara par le don de fileuse de celle-ci, ils sont complémentaires, ce qui les aide à franchir de nombreux obstacles sur le chemin les menant à Ketuma. Un sentier arraché par un éboulement rocheux, un pont détaché : le duo retient sa respiration pour emprunter la piste sûre d’hier.

À Ketuma, Keb rencontre littéralement son lui-même et son épouse, Driss, d’il y a huit ans ; ils étaient venus sceller leur union au temple, c’est ici que Driss lui avait annoncé qu’elle était enceinte. Ici que Keb avait préparé leur avenir en empruntant de l’argent à Piotr.

Mara a beau lui expliquer ce qu’est la brume, son rôle, il est tellement attaché au fantôme de Driss, à leur vie manquée, qu’il est en désaccord avec la guerrière. Lui souhaite revenir en arrière alors que son acolyte répète qu’il faut aller de l’avant, qu’on ne peut pas effacer ses erreurs en revenant en arrière, en réincarnant une ancienne version de nous-même au mépris de celle que nous sommes devenus, que nous sommes là maintenant.

Le voile autour de nous s’est déchiré.
Nous nous trouvions à flanc d’une montagne gigantesque, et celle-ci appartenait à une longue chaîne qui s’étirait au loin. Entre les tortillons de fumée et les volutes blanchâtres, c’était une vraie palette de peintre : un torrent ardant cascadait pour alimenter un bassin ovale aux éclats saphir et aux bordures d’un orange flamboyant ; un autre réservoir, plus loin, proposait un vert laiteux moins engageant ; une coulure rosâtre dégoulinait d’un contrefort ; des poches de boue bouillonnaient en bulles beiges ; des fumerolles aux effluves infects fusaient de monticules d’une poudre jaune vif. L’air moite m’étouffait, tandis que la pluie me glaçait le dos.

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, 2024

Épopée et voyages dans le temps

Ketuma va les confronter à leur passé respectif. Si Keb pense éperdument retrouver son épouse et pouvoir vivre la vie qu’ils n’ont pas pu avoir à cause de la brume, Mara, elle, court après sa fille, car c’est elle qui est à l’origine de la brume. Le premier souhaite que la brume fasse son office, ramène le monde d’hier, tandis que la seconde souhaite la stopper, vivre la vie d’aujourd’hui en la réapprenant. Aussi improbable que cela puisse paraître du fait de leur opinion divergente, Keb et Mara avancent ensemble, voyagent ensemble, aujourd’hui comme dans les sillages d’il y a huit ans.

À Ketuma, ils vont faire une découverte, elle concerne des artefacts d’obsidienne. En obsidienne comme les boucles d’oreilles de Keb, souvenir de Driss ; en obsidienne comme l’encre des tatouages de Mara, des Ta’moaza en général. Leur voyage se transforme alors en véritable épopée, ils vont découvrir plusieurs territoires, autant de pièces qui constituent l’histoire de la terre, l’Histoire de leurs peuples respectifs. Ils vont remonter le cours des civilisations, découvrir qui était le peuple qui a laissé derrière lui ses immenses bâtiments dans les hauteurs comme celui de Ketuma.

Entre l’impermanence et le souci de mémoire, c’est toute une réflexion à laquelle nous invite Stéphane Arnier, une réflexion à la fois intime et universelle. Le passé, les fantômes du passé forgent la personne que nous sommes aujourd’hui, c’est donc à l’instant présent qu’il faut se connecter ; ne pas regarder en arrière avec regret, mais avoir conscience du chemin parcouru, de l’évolution qui ont fait de nous ce que nous sommes.

[…] du sommet de cette époustouflante muraille naturelle, nous avions une vue d’aigle sur l’intérieur du cratère, au fond duquel dormait un bassin d’un noir étrange, perlé et iridescent. Jamais paysage minéral ne m’avait paru si vivant et organique : des fumerolles pulsaient comme une respiration, et j’imaginais le lent mouvement d’une poitrine géante sous mes pieds. Dedans les oreilles, des cliquetis et clapotements me semblaient provenir de moi-même, comme quand on garde la tête sous l’eau.

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, 2024

J’aimerais vous en dire plus, mais je m’arrête ici : je vous laisse le soin de découvrir vous-même cette véritable pépite !

C’était comme comprendre que les continents ne sont pas immobiles, et qu’au contraire ils se meuvent à la surface du monde. Même les plus hauts sommets naissent puis meurent, saviez-vous ça ?

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, 2024

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, Pépite de l'imaginaire 2024, 21 février 2024

En bref

Avec La brume l’emportera, Stéphane Arnier nous offre une véritable pépite. Une fantasy originale parsemée de décors époustouflants digne de la Nouvelle-Zélande, avec des personnages attachants, une narration maîtrisée et visuelle, pour une quête d’apparence classique qui nous interroge sur l’impermanence, le vivre ensemble. Nous ne devons pas oublier le passé, mais il ne faut pas le répéter, au risque de « remuer des ombres aux pays des regrets ».

Stéphane Arnier, La brume l'emportera, Éditions Mnémos, Pépite de l'imaginaire 2024, 21 février 2024

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