Dragon de Glace, George R. R. Martin, Éditions ActuSF, collection hélios, juin 2019

Publié le par Maude Elyther

illustration de couverture par Andy Brase

illustration de couverture par Andy Brase

4ème de couverture

« D’un blanc cristallin, ce blanc dur et froid, presque bleu, le dragon de glace était couvert de givre ; quand il se déplaçait, sa peau se craquelait telle la croûte de neige sous les bottes d’un marcheur et des paillettes de glace en tombaient. Il avait des yeux clairs, profonds, glacés. Il avait des glaçons pour dents, trois rangées de lances inégales, blanches dans la caverne bleue de sa bouche.

S’il battait des ailes, la bise se levait, la neige voltigeait, tourbillonnait, le monde se recroquevillait, frissonnait.

S’il ouvrait sa vaste gueule pour souffler, il n’en jaillissait pas le feu à la puanteur sulfureuse des dragons inférieurs.

Le dragon de glace soufflait du froid. »


Auteur du fabuleux cycle du Trône de Fer, George R. R. Martin nous prouve à travers les quatre nouvelles de ce recueil qu’il est aussi bon romancier que noveliste. Il sait tisser des intrigues passionnantes et des personnages puissants, aussi attirants qu’inquiétants.

Avant-propos

Je remercie Jérôme et les Éditions ActuSF pour l'envoi de ce service-presse !

Ici, il s'agit d'un recueil de 4 nouvelles, deux dans des mondes de fantasy et les 2 autres à notre époque, avec une touche de fantastique.

Je vous présenterai donc chacun de ces textes.

Mots clefs

recueil de nouvelles - fantasy - fantastique - imaginaire - création - dragon - hiver - loup-garou - paranoïa - conte - sorcière - auteur

Adara, qui avait les mains douces et fraîches, pouvait tenir les lézards aussi longtemps qu'elle le voulait sans leur faire de mal ; Geoff, boudeur, la harcelait de questions à ce sujet. Parfois elle s'étendait dans la neige glaciale et mouillée pour laisser les créatures grouiller sur son corps et elle se délectait des chatouillis de leurs pieds sur sa figure. Il lui arrivait aussi d'en porter cachés dans ses cheveux quand elle vaquait à ses tâches ménagères, même si elle prenait garde de ne jamais les amener à l'intérieur : la chaleur du feu les aurait tués. Après chaque repas familial, elle ramassait les restes, les apportait sur le lieu secret où elle bâtissait son château, et les répandait là. Chacun de ses châteaux regorgeait donc de rois et de courtisans - de petites bêtes à fourrure qui se faufilaient hors des bois, des oiseaux d'hiver au plumage blanc comme neige, et, bien sûr, des centaines et des centaines de lézards de glace agiles et pressés, froids, vifs et gras. Adara préférait ces derniers à tous les animaux de compagnie que sa famille avait eus au fil des ans.

Dragon de Glace, George R. R. Martin, Éditions ActuSF, collection hélios, juin 2019

Le Dragon de Glace

Pitch : Adara est une enfant particulière. Elle est froide comme l'hiver qui l'a "contaminée" alors qu'elle n'était encore qu'un embryon. En plus de cela, Adara aime la solitude et la nature. Avec une préférence pour l'hiver : ses lézards de glace, la construction hivernale d'un château secret... et surtout, le dragon de glace. Dans cet univers de fantasy médiévale, la guerre et ses dragonniers approchent.

Ce premier récit installe un joli conte hiémal avec Adara, jeune fille solitaire qui aime s'aventurer dans la campagne et aux abords du bois. Le dragon de glace est-il cependant réel ? Je me suis rapidement posé la question durant la lecture. Ami imaginaire ou métaphore correspondent bien mieux à cette histoire : le passage à l'âge adulte. Car Adara va apprendre à ressentir les émotions, à se rendre compte de la cruauté de la vie (ici la guerre). Au départ, un peu enfant sauvage, elle voit ce qui l'entoure (sa famille) sans les comprendre/ressentir. Et ces modifications qui opèrent en elle, transforment également le dragon de glace.

Un conte d'hiver sur le passage de l'enfance - le sauvage, la liberté, les aventures - à l'âge adulte - les émotions, l'appréhension nouvelle sur la vie.

— Il y a vraiment des êtres qui réussissent à survivre au milieu de toute cette désolation ?
— Oh, oui ! Il faut avoir l'œil exercé pour les voir, il faut bien connaître les Contrées Perdues, mais il y a de la vie, pas de doute. D'étranges bêtes aux formes torturées telles qu'on n'en voit jamais au-delà des montagnes, des créatures légendaires surgies tout droit des cauchemars, des êtres enchantés et maudits, des êtres dont la chair est incroyablement rare et incroyablement délicieuse. Et des humains, aussi, ou des choses presque humaines. Des métamorphes, des garous et des silhouettes grises qu'on ne voit qu'au crépuscule, des créatures lentes mi-vivantes, mi-mortes. Mais vous devez savoir tout ceci », ajouta-t-il avec un sourire doux et railleur à la fois. « Vous êtes Alys la Grise. On dit qu'un jour, il y a bien longtemps, vous-même avez surgi des Contrées Perdues.
— C'est ce qu'on dit, convint Alys la Grise.

Dragon de Glace, George R. R. Martin, Éditions ActuSF, collection hélios, juin 2019

Dans les contrées perdues

Pitch : On confie à Alys la grise une nouvelle commande, le don de métamorphose en loup, sans les aléas de la pleine lune. Or, il plane des légendes sur Alys la grise, et l'on dit qu'aucun client n'est réellement satisfait de sa commande quand bien même elle leur a livré ce qu'ils désiraient. Cette fois, la voilà qui part, accompagnée d'un guide, dans les Contrées Perdues, munie d'une incroyable garde robe pour remplir son œuvre...

J'ai particulièrement apprécié l'univers de ce texte ! Ces Contrés Perdues dans lesquelles moult créatures survivent, le paysage désolé... Nous y suivons donc Alys la grise, de l'entente sur une nouvelle commande à sa façon de procéder, la livraison, puis l'utilisation par l'acquéreur. Alys est un personnage mystérieux, mille histoires circulent à son sujet. Si bien, qu'ici le lecteur ne peut que supputer, car l'auteur ne nous apprend rien de son enfance, de son passé, seulement des "on dit". L'on sait qu'elle a le don de métamorphose, qu'elle viendrait des Contrés Perdues, et il est vrai que ce décor lui sied particulièrement.

En ce qui concerne son cheminement dans ces Contrées Perdues en compagnie de Boyce, le lien avec la commande qu'elle doit satisfaire est évident. Malgré tout, cela accentue sur la complexité d'Alys la grise : manipulatrice, ensorceleuse, cruelle aussi, indifférente... Bref un personnage que j'aimerai retrouver dans un roman ! (il y a matière, assurément !)

Un récit de fantasy aux accents certes classiques mais avec un personnage principal féminin complexe et mystérieux qui m'a ravit ! Paysages et faune désertiques, torturées, métamorphoses, un soupçon de sorcellerie - ? - ; un univers captivant !

Minuit approchait lorsqu'elle termina, épuisée, mais lorsqu'elle se recula pour jauger son œuvre, elle en fut enchantée. L'homme était devenu un vrai héros Pirouette : un débauché, un voyou, un excessif dont l'apparence solide cachait une âme rêveuse, poétique, mélancolique. Il n'avait absolument rien de l'homme en forme de poire. Adrian en aurait des chaleurs. En proie à une saine fatigue, Jessie alla se coucher assez satisfaite d'elle-même. Peut-être Selby avait-il raison, elle avait trop d'imagination, elle avait vraiment laissé l'homme en forme de poire l'atteindre. Mais le travail, le bon vieux travail à la dure, constituait l'antidote parfait à ses peurs informes. Ce soir, elle n'en doutait pas un instant, elle dormirait profondément sans faire de rêves.

Dragon de Glace, George R. R. Martin, Éditions ActuSF, collection hélios, juin 2019

L'homme en forme de poire

Pitch : Jessie vient d'emménager avec son amie Angela dans un appartement. Illustratrice peintre, elle travaille à domicile, et termine actuellement un nouveau projet pour Pirouette Publishing, maison d'édition dédiée à la romance. Tout paraît aller dans le meilleur des mondes s'il n'y avait pas l'étrange et répugnant voisin du sous-sol, l'homme en forme de poire...

À peine emménagée avec Angela, et voilà que Jessie voit l'homme en forme de poire partout. Voisin logeant au sous-sol de leur immeuble, il semble toujours à l'affut de la jeune femme : depuis l'extérieur il l'observe, la guette lors de ses occasionnels allers et venues hors de l'appartement etc. Le pire c'est que son amie se moque d'elle lorsqu'elle lui en parle ! Personne ne connaît le nom de cet homme, son travail, s'il en a un ; pas même à l'agence qui loue les appartements de l'immeuble où elle habite !

L'homme en forme de poire pourrait tout bonnement être simple d'esprit ou encore grotesque, s'il n'était pas répugnant et n'instillait pas tant de malaise. De plus, son discours étrange lorsqu'il aborde Jessie l'oppresse rapidement. Ce personnage l’horripile. Et cela se manifeste bientôt dans son quotidien : ses rêves, son travail, sa routine, tout est chamboulé à cause de l'homme en forme de poire.

Serait-il un meurtrier ? Ou bien Jessie a-telle développé une crise de paranoïa ? Aidée par ses amis, elle se décide à affronter l'homme en forme de poire. Quand bien même cela coïncide exactement avec son cauchemar récurrent...

Ce texte est malaisant, on s'enfonce avec Jessie dans une spirale qui va crescendo, jusqu'à la chute, vertigineuse.

— Ce n'est pas juste se plaignit-elle. Ce n'est qu'un personnage. Lui, c'est notre bébé.
— Juste ? Tu veux que ce soit juste ? OK. Je vais rendre ça juste. Notre fils aîné s'appellera Edward. C'est assez juste pour toi ? »
Le visage d'Helen s'adoucit. Elle sourit timidement.
Il leva une main avant qu'elle ait une chance de dire quelque chose. « Bien sûr, j'imagine qu'il ne me reste plus qu'un mois environ, avant de finir ce sacré truc, si jamais tu cesses de m'interrompre. Toi, il t'en reste un peu plus. Mais je ne peux pas faire plus juste que ça. Tu le sors avant que je tape le mot FIN, et tu gardes le nom. Sinon, mon bébé qui est là… » il gifla à nouveau le manuscrit « est… l'aîné.
— Tu ne peux pas… », commença-t-elle.
Cantling se remit à écrire.

Dragon de Glace, George R. R. Martin, Éditions ActuSF, collection hélios, juin 2019

Portrait de famille

Pitch : Richard Cantling, auteur de romans qui ont fait parler de lui pour certains, vit seul, retranché dans son chalet. Son épouse décédée, sa fille, peintre, et lui ont une dispute violente, elle aussi l'a quitté. Pour lui, la vraie vie est dans ses livres, ses personnages sont à ses yeux des êtres humains ayant plus de valeur et de profondeur que ceux de la réalité qui ne comprennent pas son art. Ruminant sa dispute avec sa fille Michelle, il attend qu'elle s'excuse, lui-même étant trop égocentrique pour faire le premier. C'est alors qu'il reçoit un paquet, une toile de Michelle que l'enfer ou la vraie vie commence.

Nous voilà plongés dans le quotidien morne et solitaire de Richard Cantling, écrivain ayant connu des hauts et des bas dans son métier. Son épouse est décédée plusieurs années plus tôt, et son quotidien est aujourd'hui émaillé par sa violente dispute avec sa fille Michelle. Commence alors l'étrange ballet des toiles qui arrivent ponctuellement à son domicile : les excuses de Michelle (qui est peintre) ?

Les personnages peints vont prendre consistance lors de ses soirées esseulées. Des dialogues sur sa vie, des passages de son passé, de ses actions et décisions. Car il faut bien le dire : Cantling est antipathique : son "art", il l'a placé sur un piédestal, au détriment de sa famille, ou de toute autre relation. Le réel et l'imaginaire (ses écrits) se mêlent, s'entremêlent, avec en toile de fond, sa dispute avec Michelle. Est-ce un coup monté de cette dernière ? Cantling sombre-t-il dans la folie ? Ou est-ce autre chose... ? Au final, la boucle est bouclée, sans pour autant avouer des remords ou la culpabilité du personnage.

Portrait de famille interroge sur la place du travail, est ici plus spécifiquement de l'imaginaire. Confrontation avec soi-même, avec ce que l'on a créé... : ce texte propose des discours sur différentes étapes de la vie, questionne la solitude, la notion de famille. Cantling est un personnage détestable et pourtant nous nous attachons aux différentes vagues qui façonnent ce récit, récit qui boucle la boucle et offre alors seulement une réelle vision d'ensemble.

La nouvelle "Dragon de Glace" connaît également une publication éponyme aux Éditions Flammarion, illustrée par Luis Royo !La nouvelle "Dragon de Glace" connaît également une publication éponyme aux Éditions Flammarion, illustrée par Luis Royo !La nouvelle "Dragon de Glace" connaît également une publication éponyme aux Éditions Flammarion, illustrée par Luis Royo !

La nouvelle "Dragon de Glace" connaît également une publication éponyme aux Éditions Flammarion, illustrée par Luis Royo !

Pour conclure

George R. R. Martin, mondialement connu pour sa saga Game of Thrones (adaptée en série dont la dernière saison a été diffusé cette année), démontre ici son talent pour les récits courts, aux univers riches (conte, captivant, malaisant, vertigineux) et aux personnages percutants.

Les codes du genre - fantasy et fantastique - demeurent classiques mais offrent de la qualité et de sympathiques instants de lecture qui nous font passer par plusieurs émotions.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article