Sacha Bazet, Ce qui nous hante, Éditions Mnémos, collection Naos, mars 2021

Publié le par Maude Elyther

illustration : Vince Haig ; graphisme : Atelier Octobre Rouge

illustration : Vince Haig ; graphisme : Atelier Octobre Rouge

4ème de couverture

Après un long sommeil dans son coin de forêt, le château de Loubet reprend enfin vie. Le temps d’un été, il accueille la création d’un opéra contemporain par de jeunes artistes venus de tout le pays. Absorbés par leurs ambitions, leurs conflits et leurs espoirs, Bassem, Thelma et Giulia ne voient pas les griffes de la demeure au passé macabre se refermer sur eux.

Seul le solitaire Gaspard soupçonne quelque chose : un certain Camille, un inconnu moqueur et invisible, s’est insinué dans les pages de son journal intime. Entre deux railleries, il le met en garde contre les dangers anciens qui rôdent dans les couloirs du château…

Découvrez un thriller fantastique haletant, où se croise une galerie de personnages modernes et attachants qui ne vous laisseront pas indifférents. Un roman où le surnaturel est au service de thématiques profondes et intimes. Attention : ce château vous hantera longtemps…

Sacha Bazet se trouve fréquemment à deux endroits à la fois : ce n’est pas toujours pratique, mais cela lui permet de développer au quotidien deux points de vue, deux sensibilités qui dialoguent. Deux carrières aussi, entre traduction et humanitaire. C’est l’union de ces facettes multiples et son amour de la littérature et de l’imaginaire qui ont fait naître ce premier roman.

Avant-propos

Comme certaines et certains d’entre vous, j’avais repéré depuis un moment cette nouvelle parution des Éditions Mnémos. Notamment grâce à sa splendide couverture rouge avec cet entrelacs végétal central sur cette main à la fois vivante et statufiée (d’ailleurs, les détails sur celle-ci ont une grande importance). Puis par le titre, évocateur de lieux abandonnés, de fantômes, de passés tourmentés, de choses enfouies…

Puis, la lecture du synopsis a confirmé tout cela mais a surtout augmenté mon envie absolue de me procurer ce premier roman de Sacha Bazet : si château hanté il se profilait bel et bien, ce serait lors du montage d’un opéra contemporain ! Ajouter le milieu artistique sur le reste entendu et promis par la 4ème de couverture ? Voilà de quoi se ruer en librairie !

Mais alors : la lecture était-elle à la hauteur ? Si je lui consacre, vous avez la réponse…

Trêve de bavardage, je vous livre dès à présent mon retour. Comme d’habitude, préparez-vous une boisson chaude et installez-vous confortablement pour la découvrir. Pour les personnes pour qui ma chronique serait trop longue ou qui ne veulent en savoir que l’essentiel, rendez-vous tout en bas de la page pour la conclusion en gras 😉

Mots clefs

Young Adult – fantastique – château – château hanté – fantastique – étrange – thriller – fantômes – arts – artistes – troupe d’artistes – opéra – contemporain – dangers – surnaturel – passé – premier roman

Sacha Bazet, Ce qui nous hante, Éditions Mnémos, collection Naos, mars 2021

Opéra moderne

Durant un été, de jeunes gens issus de toute la France se retrouvent au château de Loubet pour un travail saisonnier : monter un opéra moderne sur l’adaptation d’Anna et Aud, sœur et frère qui luttent contre le Diable en personne avec lequel leurs parents ont passé un contrat. Il y a les comédiens, les chanteurs, les musiciens, les danseurs, les monteurs de décors et puis sûr les coordinateurs avec un réalisateur en vogue, une compositrice etc, et l’équipe encadrant directement les jeunes pour le travail, les répétitions, la mise en place. Tout ce beau monde découvre leur lieu de résidence pour les deux mois à venir : le château de Loubet, vaste, lumineux, assez réhabilité pour ravir les regards tout en gardant son charme d’antan.

Étrangetés

Le rêve vous avez dit ? C’est ce que tous pensent au tout début. Mais bien vite, l’on perçoit des petites choses étranges. Le talent de Sacha Bazet intervient déjà là. Car le lecteur/la lectrice, à l’instar des protagonistes, vient de rencontrer les personnages et pourtant, il/elle sent comme d’infimes décalages. En effet, réactions comme émotions ne semblent parfois pas coller avec l’image qu’on commençait à se faire d’un ou deux personnages. Eux ne se rendent compte de rien. À part Gaspard qui lui pense devenir complètement fou : il a des trous noirs et, plus inquiétant encore, alors qu’il tente de mettre ses idées au clair dans un journal intime, un certain Camille s’immisce dans la rédaction. Camille, un trublion détestable, raciste, insolent, sarcastique, le parfait opposé de Gaspard, l’assistant décorateur.

Hanté par Camille

Camille empêche Gaspard de demander de l’aide, lui qui se pense dangereux et aimerait quitter le château. En parallèle, le « groupe de partage », moments de réunion pour apprendre à mieux se connaître, à débattre, auquel doit participer Gaspard, est constitué de Bassem (comédien), Thelma (musicienne), Esther (danseuse) et est dirigé par Giulia (chanteuse d’à peine 30 ans). Alors que Gaspard fait tout pour passer inaperçu – plutôt asociale celui-là ! –, il va tout mettre en œuvre, s’escrimant verbalement avec Camille dont il subit à l’occasion quelques foudres physiques, pour partager ce qu’il a fini par découvrir. Car voyez-vous, Camille n’est pas très causant finalement, surtout depuis qu’il a réussi à faire comprendre à Gaspard qu’il était un fantôme… et loin d’être le seul hantant Loubet.

Dangers

Je n’entrerai pas dans les détails en ce qui concerne les fantômes, à part qu’il en existe de plusieurs sortes. Et si Camille garde secrets sa mort et moult détails de sa vie de vivant, c’est parce qu’il a peur. Alors si son fantôme a peur, il est urgent que tout le monde quitte le château ! Ah oui, j’oubliais : personne ne peut quitter Loubet. Les légendes locales rapportées par Esther pèsent de plus en plus sur Gaspard : la disparition non expliquée du propriétaire d’antan du château, qui a écrit Anna et Aud, plus tard la mort d’enfants entre les murs du château, le fantôme de la Maquerelle… Il y a eu un accident grave dont personne ne se souvient à part Gaspard, mais en plus de ce genre de dangers, mourir de faim s’ajoute au programme, d’autant plus que personne ne s’inquiète réellement des cuisinier endormis et des plats pitoyables proposés.

Sous la surface

À propos des personnages, comme dit, nous allons surtout suivre Gaspard, Thelma, Bassem, Esther et Giulia, cependant les échanges et interactions avec les personnages « secondaires » sont bien présents et permettent de contraster davantage les petites étrangetés déjà mentionnées. Les protagonistes peuvent paraître stéréotypés : la belle danseuse, le comédien arrogant, l’assistant décors effacé, la prof mal à l’aise, la musicienne très ouverte aux autres… Pourtant, nous allons mieux les connaître, découvrir force, sensibilité, indépendance, débrouillardise sous la surface. Et même ce fripon de Camille devient attachant (si si, vous verrez).

Artistes

J’ai adoré être plongé dans un monde artistique. On est dans l’effervescence, l’ébullition… puis dans la frustration, foudroyé en plein élan car les directives artistiques venant d’au-dessus changent sans cesse, refroidissent les ardeurs. Si d’abord les groupes par catégories (comédiens, chanteurs, danseurs, musiciens) restent ensemble, ils vont se mélanger, se lier d’amitié. Amitié, coup de foudre sont assurément au rendez-vous, le tout exacerbé par le surnaturel des lieux… Ce qui offre deux lectures, en même temps que sont soulignés l’importance d’être soi-même, de construire sa propre identité, de prendre en compte ses émotions…

Correspondances

Il y a une double narration avec Gaspard et Camille, mais pour eux, cela s’articule physiquement, via leurs échanges écrits dans le journal intime de l’assistant décorateur. D’ailleurs, au niveau de la forme, leur correspondance, si je puis dire, propose une mise en page spécifique, avec typographies différentes pour différencier les deux, avec un arrière-fond effet cahier sous le texte.

Attention, lecture captivante !

Pour rester sur la forme, celle-ci ne s’arrête pas là : le texte est découpé en actes, et les chapitres commencent par un extrait d’Anna et Aud. Ce qui pousse le lecteur/la lectrice à faire des parallèles avec le temps et les événements modernes… ou bien de l’égarer… car Sacha Bazet parvient à nous surprendre, nous emmenant dans des directions divergentes. La mise en forme, avec le découpage, la double narration/lecture, et les différents protagonistes que nous suivons offrent un rythme captivant. Cette lecture a été pour moins très immersive, me faisant tourner les pages sans m’en rendre compte (et c’est un beau premier né de 510 pages que nous propose Sacha). Si bien que lorsqu’arrive une scène où je pensais reprendre mon souffle, tout en me disant « mais, ça ne peut pas finir comme ça quand même… ? » eh bien, boum ! d’autres retournements sont arrivés.

Huis-clos

L’intrigue se passe en huis-clos dans ce château qui respire, qui détient les mystères du passé, et dans lequel errent les fantômes comme les vivants. L’étau se resserre de plus en plus sur les personnages qui font face avec leurs moyens, qui s’unissent pour s’en sortir. Une sensation de claustrophobie pourrait bien vous gagner, d’autant plus vers la fin, tout en apothéose ! Loubet a vu commettre des meurtres : passés macabres, fantômes… que s’est-il passé dans le château de Loubet ? Les réponses sont-elles dans le texte d’Anna et Aud ?

Sacha Bazet, Ce qui nous hante, Éditions Mnémos, collection Naos, mars 2021

En bref : Sacha Bazet signe avec Ce qui nous hante son premier roman, une très grande réussite à bien des égards ! Des jeunes gens se retrouvent dans un vaste château pour l’été avec pour travail de monter un opéra. Bien vite, de légers décalages ajoutent de-ci de-là des touches étranges… avec la mise en place, aussi bien sur le fond que la forme, d’une double narration/lecture qui nous immerge encore plus dans les pages. Le passé du château de Loubet se révèle sombre, tout comme ce qui attend la troupe saisonnière si elle ne parvient pas à sortir de ses murs. En huis-clos, l’intrigue offre un rythme captivant, durant lequel Sacha Bazet berne ses lecteurs, les essoufflant dans une course effrénée. Fantômes vous avez-dit ? Et si vous veniez vous confronter à ceux du château de Loubet ? N’achetez qu’un billet aller, je doute que celui de retour vous soit utile…

Sacha Bazet, Ce qui nous hante, Éditions Mnémos, collection Naos, mars 2021

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Publié dans chronique personnelle

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