Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éditions ActuSF, collection Bad Wolf, 21 juin 2023

Publié le par Maude Elyther

illustration : Dogan Oztel

illustration : Dogan Oztel

4ème de couverture

« Tôt ou tard, tous les masques tombent. »

Luperque, l’orgueilleuse capitale impériale, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Son empereur, réfugié dans un ballon flottant pour échapper aux tentatives d’assassinat, essaye d’en enrayer l’étiolement, qui semble inéluctable.

Lors d’une mission pour retrouver des esclaves en fuite dans la forêt de l’Arquesylve, le centurion Ludovico fait une découverte qui manque de lui coûter la vie : des années après une guerre meurtrière, les lycans sont de retour. Pour Luperque, pas de doute : sa rivale Vexine est responsable. Il revient à Ludovico d’infiltrer la fière cité marchande aux mœurs progressistes pour en percer les secrets. Mais la détermination d’un seul homme sera-t-elle suffisante face à la légendaire magie des masques ? 

Après La Forêt des araignées tristes, Colin Heine continue d’explorer son univers envahi par une brume mystérieuse, la vape, aux multiples dangers. Les Loups de cendres mortes nous emmène cette fois au cœur d’une passionnante lutte de pouvoir entre deux sociétés que tout oppose.

Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éditions ActuSF, collection Bad Wolf, 21 juin 2023

Avant-propos

Avec Les Loups de Cendres Mortes, Colin Heine nous propose un nouveau récit dans l’univers de son premier roman, La forêt des araignées tristes, que j’avais beaucoup aimé. C’est avec grand plaisir que j’ai pu découvrir ce récit, et je remercie Jérôme Vincent et les Éditions ActuSF pour l’envoi de ce service presse !

Cet opus, un one-shot, est très différent de son prédécesseur : la narration, le bestiaire, les décors… L’auteur livre une nouvelle fois un roman à l’intrigue sociétale, par le biais de deux sociétés, domination et émancipation sont au cœur de la lutte de pouvoir.

Anecdote : La forêt des araignées tristes est le premier roman que j’ai reçu dans le cadre de mon partenariat avec les Éditons ActuSF 😊

Mots clefs

Dark fantasy – steampunk – sorcellerie – gladiateur – forêt – mystique – monstres – lycans – sociétés – intrigue sociétale – liberté – bestiaires monstrueux – gargouilles

Trigger warning

Esclavage, bagne, violence, arène/combats de gladiateurs, pillage de tombe, cadavres d’animaux, torture, mise à mort d’autochtones

Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éditions ActuSF, collection Bad Wolf, 21 juin 2023

Mon retour

« Des formes féroces lui passent devant les yeux. Des silhouettes sauvages, à moitié humaines, rampantes ou galopantes, filant à travers les arbres ou virevoltant entre leurs branches. Des griffes, des becs et des serres, des morsures et des venins… Des consciences ni animales ni pleinement humaines, unies dans le même désir de fondre sur Luperque et de détruire la ville. »

Un jour, la vape a tout recouvert. Aujourd’hui, ce sont des continents, ruines et civilisations qui ont disparu ; les cartes sont à refaire. Mais les explorations comme les voies de déplacement (dans les airs comme sur terre) sont dangereuses, car de la vape, ce brouillard épais et méphitique, des créatures monstrueuses prennent vie. La vape ne se laisse pas dompter et n’hésite pas à récupérer son territoire dérobé par les hommes. C’est dans La forêt des araignées tristes que nous avions découvert cet univers steampunk aux airs de Belle Époque. Environ 4 ans après, Colin Heine y revient pour nous faire découvrir une autre parcelle de ce monde…

… Et quel dépaysement ! Nous voilà dans l’arène auprès d’un gladiateur qui livre son dernier combat pour gagner sa liberté. Cette fois, ce ne sont pas d’autres gladiateurs, ni des fauves qui lui font face, mais un monstre né de la vape. En effet, à Luperque, l’Empereur aime divertir son peuple, alors dans le cirque a été imaginé un gouffre duquel on invoque les créatures de la vape. Passé la stupeur du décor et des jeux, bien différents de la Gale (dans La forêt des araignées tristes), nous poursuivons notre visite de Luperque.

Luperque s’étend en largeur, sur un territoire épargné par la vape. Sa société est fondée sur l’esclavage, les esclaves étant des « indigènes » de l’Arquesylve, la forêt fourbe dominée par la vape. Ces esclaves sont plus ou moins bien traités, surtout s’ils sont dans des familles à effectuer des tâches domestiques, d’autres n’ont pas cette chance et deviennent gladiateurs ou nourriture aux monstres du cirque. Forte de sa stature, Luperque se moque du progrès, et n’utilise que très peu l’ignum, dont use à tout va Vexine, la cité qui cherche coûte que coûte à s’émanciper de l’ombre de l’Empereur.

À l’opposé de Luperque, Vexine s’érige vers le ciel, les pieds dans les marais desquels sont extraits la tourbe transformée en pierre légère pour ses constructions. Contrairement à Luperque, elle est entourée par la vape, c’est une lutte de tous les jours pour les fangeux qui triment dans la vase. Mais le bagne, c’est encore pire. Tandis que dans les hauteurs, la bourgeoisie coule à flot, vaniteuse et l’esprit mou, qui se pense libre alors qu’elle vit dans une prison dorée.

« — (…) tu sais aussi bien que moi que la forêt n’est pas un territoire dont la vape nous a fait cadeau. Elle semble même le disputer à notre réalité, pour des raisons que nous sommes bien en peine de définir. Elle y stagne en bancs plus ou moins fluctuants. Et nous ne parvenons pas à gagner sur elle le terrain qui nous manque. Que nos bûcherons défrichent une partie de l’Arquesylve, et rien ne dit que la vape ne sera pas passée par là deux semaines plus tard en laissant derrière elle un bois aussi touffu qu’alors, avec des arbres qu’on jurerait avoir trois cents ans d’âge.
— La vape… » fait Ludovico. Le brouillard lourd, la brume poisseuse qui recouvre la majeure partie du monde. Le phénomène inexpliqué qui a tout changé…

Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éd. ActuSF, 2023

Ces deux cités sont séparées par l’Arquesylve, où Ludovico a été envoyé par l’Empereur pour retrouver des esclaves renégats ayant tué leurs maîtres à Luperque. Mais dans la forêt, le centurion et ses hommes vont être témoins de l’impossible : les lycans sont de retour. Alors qu’une autochtone, Suavia, lui sauve la vie, il n’a plus qu’une pensée en tête : prévenir l’Empereur. Car la menace qui pèse sur Luperque est précisée : Vexine veut renverser l’Empereur. Pour en comprendre les tenants et aboutissements et contrecarrer cette traîtrise, Ludovico est envoyé à Vexine retrouver un espion à la solde de l’Empereur, Salone. Pour se faire, il aura également besoin de Suavia, l’esclave qui connaît Lilith : la sorcière qui fomente avec Vexine la chute de Luperque.

À Vexine, les faux-semblants sont de mise, mais les masques finissent toujours par tomber. La sorcellerie primitive de Lilith s’étend à bien des pantins, sa sombre magie que l’on pensait simple légende se révèle réelle, tandis que les masques se multiplient. Du bagne pour retrouver une pilleuse de tombes qui a des informations sur l’un des pions de Lilith, des hauteurs de Vexine, alors que la décadence des gentes bourgeoises donne la nausée, dans des tunnels marins, la mission de Ludovico le met à rude épreuve.

— Lilith semble née… eh bien, c’est la vape qui lui a donné corps. Oh, pas la vape de nos esquifs qui sillonnent les cieux, des engins qui traitent la boue que les fangeux y déversent ou des calculateurs qui gèrent nos opérations comptables… (…) Non (…), je parle de la vape qui a tout recouvert. De celle que nos aïeux ont conjurée sans le vouloir et qui a tout plongé dans la brume de l’oubli.

Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éd. ActuSF, 2023

Nimbé de steampunk, l’univers des Loups de Cendres Mortes se colore au gré du sang et de la poussière d’une arène de gladiateur, de l’effervescence insipide et creuse de festivités dans une Venise dérivée. Mais aussi de la boue et de la vase des marais et des tombes, des odeurs fétides des souterrains du bagne où l’on meurt de froid et de fatigue si ce n’est entre les pinces des carapinces. Tandis que l’Arquesylve incarne le berceau d’une sorcellerie primitive et sombre.

Les Loups de Cendres Mortes démontre un mélange original : une touche de steampunk à la Vingt mille lieues sous les mers, une note de Rome Antique assoiffée par les combats dans les arènes, une grosse pincée de faux-semblants dans une Venise alternative où la liberté n’est en réalité qu’une cage dorée, avec, pour lier le tout, une larme de sorcellerie primitive qui termine l’aspect de dark fantasy.

Ici, l’intrigue est linéaire, chaque chapitre s’emboîtant pour former une narration cohérente qui distille la matière suffisante pour comprendre l’univers et les enjeux, en même temps qu’elle garde quelques mystères. L’enquête est musclée, Ludovico ne s’épargne aucune douleur, aucun inconfort, aucun danger, même de mort, pour mener à bien sa mission et protéger son Empereur. Loyauté et dévotion se mêlent, que ce soit Ludovico envers son Empereur, où les indigènes et autres jouets de Lilith. En cela, l’auteur questionne doublement la notion de liberté.

À travers les fenêtres, il observe la foule qui lui tourne le dos et jouit d’un spectacle qu’il ne peut pas voir. Il y a des paons et des cerfs, des truies rosâtres et des bécasses, des loutres et des vouivres. Il y a des plumes, des cornes, des queues et des pelages, des bois et des soies. Et des odeurs de gens, parfumées et fausses comme le reste.
L’homme-bête scrute, cherche, fixe chaque forme, observe chaque silhouette qui bat des mains au rythme d’instruments invisibles.

Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éd. ActuSF, 2023

Ici, trois personnages féminins s’extraient de la majorité masculine : Suavia, qui redoute Lilith au point d’aider Ludovico, la pilleuse de tombes, et Lilith. Au contact de Suavia, la perception de Ludovico évolue. La pilleuse de tombes (que je ne nomme pas à escient) se révèle un pilier de la mission. Quant à Lilith, si elle est diabolisée, au final, elle n’est ni bonne ni mauvaise, elle représente pour moi une Gaïa vengeresse qui punit les hommes pour leur irrespect : c’est dans cet interstice qu’est concentrée la réflexion écologique que l’on avait déjà dans La forêt des araignées tristes. Alors quoi, la vape serait l’émanation d’une déité plutôt qu’une pollution induite par les hommes et leurs machineries ? À vous de vous faire votre idée.

Si vous avez lu La forêt des araignées tristes, vous voyez à quel point cet opus-ci est différent, autant sur le fond que la forme, bien que l’on retrouve des éléments comme les gargouilles (moyen de locomotion), la vape et ses monstres, l’utilisation de l’ignum qui produit de la vape… Si certains éléments vous avez déplus, comme la narration chorale, le nombre de personnages, le personnage principal anti-héros (moi j’avais aimé tout cela), ici vous découvrirez une intrigue linéaire, un personnage principal, Ludovico, plus taillé pour affronter les horreurs et dangers, même s’il demeure imparfait. Le récit est plus musclé, dépaysant (on voyage entre une Rome Antique et une Venise alternative), sombre aussi avec l’Arquesylve et Lilith. De quoi vous donner l’envie de redonner une chance à cet auteur je l’espère !

Fun fact : Le clin d’œil à un certain fleuriste avec sa fleur en boutonnière m'a fait plaisir ! (pour la référence, il faut avoir lu La forêt des araignées tristes ;) )

Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éditions ActuSF, collection Bad Wolf, 21 juin 2023

En bref

Après La forêt des araignées tristes, Colin Heine nous revient avec Les Loups de Cendres Mortes ! Avec son nouveau roman, l’auteur démontre un mélange original : une touche de steampunk à la Vingt mille lieues sous les mers, une note de Rome Antique assoiffée par les combats dans les arènes, une grosse pincée de faux-semblants dans une Venise alternative où la liberté n’est en réalité qu’une cage dorée, avec, pour lier le tout, une larme de sorcellerie primitive qui termine l’aspect de dark fantasy.

Ici, l’intrigue est linéaire, chaque chapitre s’emboîtant pour former une narration cohérente qui distille la matière suffisante pour comprendre l’univers et les enjeux, en même temps qu’elle garde quelques mystères. N’oublions le bestiaire monstrueux : entre les monstres nés de la vape, les lycans et les sauvageries de Lilith, des créatures entre homme et animal.

Affrontant deux sociétés qui baignent dans l’ombre d’une sombre sorcellerie primitive, l’auteur interroge la notion de liberté. Et j’entends encore le rire de Ludovico qui conclut ce sujet.

(…) des choses se ruent sur les spectateurs et répandent la mort. Des choses bestiales. Des natures parodiées. Des semblances animales qui furent peut-être humaines dans une vie oubliée. Le mariage de deux mondes que tout devrait séparer.
Des lycans. Ludovico les reconnaît. Leurs corps contrefaits bondissent sur les fuyards et les mettent en pièces. Et d’autres êtres. Derrière les caricatures d’humanité, il voit la forêt. Il voit les sauvageries.

Colin Heine, Les Loups de Cendres Mortes, Éd. ActuSF, 2023

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